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Billet de blog 3 avril 2023

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Crépuscule impérial sur la République dorée

La crise politique française se mue en crise de régime sous les yeux interdits du monde. Le raidissement autoritaire et la remise en cause du statu quo démocratique éclairent les sources et le devenir impérial de la Vème République.

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Illustration 1

Si la grisaille humide du mois de mars n’évitera pas la sécheresse à la France, on appréciera l'arrière-plan atmosphérique qu’elle apporte à la déliquescence de la vie politique nationale. Sans trop donner dans le nombrilisme national, qui considère souvent la France comme un lieu de première importance des soubresauts du monde, il est aujourd’hui pertinent de parler de « situation française ». Situation qui, paraît-il, inquiète dans toute l'Europe, est l'objet de déclarations de la Maison Blanche et des rires édentés de la Russie poutinienne. Emmanuel Macron a même réussi à expulser de l'actualité l'expérience collapsologique que mènent les Tories en Angleterre. 

Nous ferons au lecteur l'économie d'un rappel de ce qui a été écrit ces derniers jours, il ou elle l'ayant probablement en tête, sans compter qu'une énumération des manquements aux droits et des sorties inadmissibles du gouvernement français serait fort longue ; ce qui, d'ailleurs, suffit à résumer la gravité de la situation présente. C'est avec la connaissance de ces faits que nous pouvons méditer les jours qui viennent à nous.

L'œil du cyclone

Bref état des lieux pour commencer. Difficile d'imaginer la fin de la crise conjoncturelle de la réforme des retraites. Nul ne peut prédire ce que les prochaines mobilisations syndicales donneront. Le Front National, lui, commence à s'égosiller en cœur avec la majorité et accuse la gauche de nazisme. J'imagine un sourire jaune se coller sur le visage du lecteur, quand on se demande comment pareil ineptie n'est pas sanctionnée par un électorat qui, dit-on, est en recherche de respectabilité et de calme. Il est probablement dans l'avantage des frontistes de procéder ainsi : ils s'évitent les tirs de barrage des macronistes et renforcent la dynamique de bipartisme qu'ils souhaitent créer avec le centre, mais ils risquent de paraître plus effacés. Des scénarios que j'envisageais précédemment, celui du parti de l'ordre semble se réaliser, bien qu'une sainte alliance des nationalistes pro-business et du pôle capitaliste macronien semble toujours hypothétique, tout comme celle d'un rassemblement de leurs électorats, fortement antagonistes. On constate aussi un effondrement de la côte du Président et de Renaissance dans les sondages qui testent une dissolution prochaine.

Ces considérations paraissent bien prosaïques, comme si l'on commentait un simple cycle politique parmi d'autres. La crise des retraites connaîtra probablement une fin ; mais la crise politique plus large, ouverte par un Emmanuel Macron visiblement décidé à en découdre, a déjà jeté un voile de mauvais présage sur la France. Qui saurait dire quand la boîte de Pandore fut ouverte : 13 mai 1958 ? 1er décembre 2018 ? Le fait est que le diable est sorti de sa boîte, et il convient de peser combien le pays est en déroute : les blessés graves se comptent déjà par dizaines, les intimidations sont chaque jour plus féroces, les déclarations du gouvernement chaque heure plus paranoïaques.

Chaque jour, un nouveau groupe d'éditorialistes tente de trancher sur la sortie de la crise ; souhaitons qu'ils ne soient pas trop déçus d'apprendre qu'Elisabeth Borne aussi espère "une idée de génie", un deus ex machina qui soulagerait sa conscience du carnage qu'ils mettent en place dans les rues. Le ralentissement, pour ne pas dire la chute de la productivité française, couplé à la cupidité des capitalistes nationaux, décidemment niais et sans idées, et soutenus en ceci par l'incurie fiscale du bloc néolibéral au pouvoir, n’offrent même pas d’espace de respiration à la société. Pas de deniers à larguer ici ou là pour tenter d'apaiser le volcan, ou, de notre côté, de réserves pour donner les moyens de grèves plus importantes aux travailleurs.

Illustration 2

On se dira qu'on exagère, peut-être, aspirés que nous sommes par ces images terrifiantes, que ces dernières finissent par écarter les autres, plus joyeuses, de nos mobilisations. On se félicitera que la troupe ne tire pas dans la foule, tout de même ! Nous sommes en démocratie. On oublierait par là qu’il s’agit en réalité d’une technique grossière, propre aux régime attardé ou bas du front, comme celui d’Iran. Il n’est aujourd’hui plus nécessaire d’abattre à balles réelles sa population, quand on peut la mutiler avec des armes « non-létales » ou l’arrêter par milliers. Monsieur Poutine n’a pas fait mitrailler les foules qui se sont pressées à Moscou contre l’invasion de l’Ukraine en février 2022. On peut longtemps attendre qu'on tire à balles réelles sur une manifestation pour sonner l'alerte, mais le système politique français sera déjà verrouillé, sans retour immédiat au libéralisme politique envisageable. 

La République impériale

L'état profondément dégradé des libertés civiques en France, couplé à l'irascibilité d'Emmanuel Macron, m'amènent à considérer la chose suivante : nous assistons à une sorte de coup d’Etat au ralenti de la macronie. Elle n'oserait jamais ouvertement mettre fin à la démocratie, bien sûr. Elle ne va jamais jusqu’au bout du processus de coup d'Etat ni ne s'en réclame, car, comme l’expérience nous l’a montré, il lui suffit d’enfoncer des portes ici et là, quand l’opportunité se présente – On pense aux différentes lois sécuritaires, à l'intégration dans le droit commun de l'état d'urgence, ou à la banalisation du traitement guerrier des manifestations. En procédant ainsi, la macronie s’évite alors les conséquences politiques d’un putsch clair et net. L'exemple trumpiste montre bien en quoi des coups de semonce flous et limités contre la démocratie entretiennent un doute sur les intentions de leurs auteurs, ce qui joue à l'avantage de ces derniers. Qu'on observe le paysage français : arrestations arbitraires, cavalerie sur quad sortie de nulle part, tactiques évidemment non réglementaires à l’Assemblée ; par différents bouts, les piliers démocratiques et légaux sont abattus ou outrepassés, sans jamais que l’un de ces actes, pris isolement, ne puissent trahir l’intention ou du moins le mouvement plus large à l’œuvre - pour le plus grand bonheur des commentateurs de plateaux télés aux mines inquiètes, qui peuvent alors couler des nuits tranquilles. 

Nos lois, nos procédures, nos codes déontologiques semblent s'évaporer dans l’air, l’arbitraire gouvernemental et le fait du Prince s'en saisissant pour mieux les fouler au sol. Dans ce processus, l’Etat se vide de son autonomie propre et s’identifie de plus en plus à l’exécutif, exécutif aujourd’hui réduit à Emmanuel Macron et aux quelques pauvres âmes qu’il tolère encore à ses côtés ; le Directoire ici désigné régnant, lui, sur une masse de fonctionnaires déboussolés et de policiers goguenards attendant leur heure.

Les barrières de papier de la Constitution décrites par Hobbes sont déchirées et écrabouillées sous les roues des quads de la BRAV-M, sur lesquels sont juchés un duo de truands en uniformes, bousillant tout sur leur chemin à coups de grenades. Le spectacle des bouts de corps arrachés volant en l'air puis avalés par une brume de lacrymo reçoit l'onction du sénile Raffarin en pleine liquéfaction : voilà le spectacle du front républicain. La mécanique diabolique est lancée.

Illustration 3

Sans trop donner dans le téléologique, tout ceci prend un air d'Apocalypse, dans le sens d'une révélation par la fin. La Vème République semble se prendre les pieds dans une crise terminale et paroxystique qui révèle ce qu'il en coûte d'octroyer de si grandes largesses au Président. Constater que les origines de ce régime semblent prédéterminer ses fins est un raisonnement intellectuellement élégant, mais qui n'est pas dénué de sens. L'ouvrage de Grey Anderson, La guerre civile en France, 1958-1962. Du coup d’État gaulliste à la fin de l’OAS, donnera à chacun la mesure de l'histoire de la naissance de notre République, prise dans une crise impériale et les jeux troubles de de Gaulle, un épisode refoulé dans l'inconscient national. L'homme n'a pas connu de "traversée du désert" pour rien. C'est bien dans le compagnonnage de son épopée londonienne que Weil écrivit Notes sur la suppression générale des partis politiques. La première fois comme tragédie, la deuxième fois comme farce, comme disait l'ancien ; mais devant un régime modérément démocratique né d'un coup d'Etat et terminant son déclin autoritaire dans un nouveau coup de force, on peine à trouver la farce dans la répétition.

Arendt décrit dans L'Impérialisme les spécificités du gouvernement impérialiste, à savoir un gouvernement d'administrateurs à la tête d'une bureaucratie, menant les populations à coups de décrets et de circulaires, légalisant l'arbitraire. Les empires européens ont produit cette croissance prodigieuse des secteurs armés, de la bureaucratie, et favorisé cet acoquinement d'un exécutif boursouflé par les "impératifs" de la domination impériale et des représentants des capitaux superflus, ne demandant qu'à s'épanouir sur les terres d'autrui.

On évoque souvent "l'effet boomerang" de la domination impériale ; c'est-à-dire les brèches qu'elle ouvre dans le système de la puissance colonisatrice, et qui menace de s'étendre jusqu'à la métropole, où se déverserait alors la violence raciste et le despotisme légal de l'impérialisme. D'une certaine façon, l'effet boomerang de l'empire français est la Vème République. La IVème République était une démocratie dominant un empire ; l'instabilité qu'on évoque toujours de façon très vague comme cause de sa chute provient (entre autre) de cette dichotomie, chaque nation étant, historiquement, amené à choisir entre l'empire et la nation-démocratie. Cette contradiction finit d'empêtrer la France dans des crises, la guerre civile menace ; un coup d'Etat est mené, un général se retrouve à la tête de l'Etat, et alors qu'elle se replie sur le continent, la France rapatrie en métropole le ferment des institutions impériales. 

Illustration 4

Le système de gouvernement français achève sa mue impériale sous nos yeux, avril 2023. Un exécutif fort, qui a pour chasse gardée l’international et les forces armées, qui s’entoure de barbouzes, réduit un parlement déjà diminué à une sorte conseil consultatif ; un Président, exécutant sa politique par ordonnances et décrets (pardon, des articles de la Constitution autorisant le gouvernement à adapter le véhicule législatif), qui ne se refuse pas la force, qui peuple les CA d’entreprises où l’Etat a des parts de ses suppléants, téléguidant l’ensemble depuis l’Elysée, où Emmanuel Macron épuise ses nuits en messes basses sur Telegram ; la République française a pour modalités de gouvernement quelque chose qui ressemble bien plus à un empire, une qualité qu’elle hérite de l’empire mourant dont elle a jailli, des souhaits fiévreux du militaire qui a accouché du « coup d’Etat permanent » au travers d’un coup d’Etat. Elle est aussi monarchique dans l’identification, à présent presque parachevée, du « souverain » à l’Etat lui-même.

La République des dorures, cet ensemble loufoque et bigarré mené par un Président qu'elle entoure d’une garde républicaine au look Second Empire et qui siège dans le décor rococo d’un hôtel Ancien Régime... Cette blague qu’on pouvait trouver cocasse, jadis, pittoresque de par son décorum anachronique au XXIème siècle - cette blague est en train de se transformer en cauchemar sous nos yeux.

Illustration 5

La situation, maussade, donne à voir la France se bunkeriser en une sorte de donjon de l'Europe. Mais mon ton crépusculaire ne doit cependant pas mettre de la fatalité dans un contexte ouvert. Le système politique n'est pas encore verrouillé, et le pays est sillonné par l'un des plus grands mouvements sociaux de son Histoire. Dans l'éventualité d'une dissolution, la gauche battrait le centre et se tiendrait au coude-à-coude avec le RN. A elle de tirer profit de cette situation, ne serait-ce que pour nous éviter la catastrophe.

Illustration 6

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