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Billet de blog 2 juillet 2018

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« Nique tes mort Léopold » ou le diplome national du brevet DNB 2018

Je souhaite un très bel été aux élèves de troisième et à leurs enseignants qui ont travaillé avec assiduité et confiance en vue du DNB. Je n’accorderai pas la mention très bien à ceux qui ont rédigé le sujet de français du DNB 2018.

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Après la première matinée des épreuves du DNB, ma fille rentre dépitée: «  Ils se sont bien foutus de nous quand ils nous ont dit : ‘les troisièmes ne vous inquiétez pas, le brevet c’est facile’ ». De retour de l’épreuve de maths, elle s’écrie: « C’était encore pire que ce matin ».

Je suis surprise car ma fille  (17. 5 de moyenne au dernier trimestre dans son collège public) est une bonne élève et je regarde les sujets de près.

28 juin 2018 : épreuve de français, extrait d’Uranus de Marcel Aymé.

Je trouve le texte beau mais complexe. L’insertion d’extraits d’Andromaque dans le récit présentait une difficulté de compréhension. Il n’est pas certain que la majorité des élèves de troisième soient suffisamment familiers avec cette pièce pour naviguer de la tragédie de Racine au récit de Marcel Aymé et vice versa, dans une situation d’examen en temps limité. Puis-je suggérer pour le DNB 2019 un texte comprenant quelques citations de Shakespeare, non traduites évidemment?

Question 5b : Ma fille n’a pas repéré ce qui pouvait « relever également du comique dans la fin du texte », et moi non plus d’ailleurs. Elle trouvait l’incompréhension entre Léopold et sa femme, triste, touchante, voire tragique (après tout, la référence à Andromaque tend plus vers la tragédie que vers la comédie) mais cette interprétation-là n’était pas recevable vue la formulation fermée de la question.  C’est dommage pour une question placée dans une rubrique intitulée « compréhension et compétences d’interprétation », ce qui sous-entend la possibilité de multiples interprétations et la prise en compte de la subjectivité du candidat dans l’élaboration de sa réponse.

L’extrait d’Uranus met l’accent sur l’émotion suscitée par la lecture d’un texte littéraire, sur l’identification possible du lecteur et du héros et sur la possibilité d’enseigner et d’apprendre en dehors de la traditionnelle salle de cours, parfois même en se versant « un verre de blanc ». Ce texte est une ode à la littérature, à l’enseignement et à la vie qui se reconstruit après la fin de la guerre. Je n’ai pas trouvé comique que le cours se déroule dans un café ou que son tenancier s’identifie aux héros d’une tragédie, que les larmes ruissellent « sur ses joues cramoisies » ou que sa femme le considère comme un étranger (cf. question 8b). J’ai été émue par la description du professeur Didier, par sa bienveillance et sa conception de l’enseignement: « Il notait avec indulgence. […] il voulait les encourager et souhaitait que l’école, autant que possible, leur offrît les sourires que leur refusait trop souvent une existence troublée. »  J’ai même pensé que le jury malicieux avait choisi cet extrait pour mettre en perspective la scène avec l’enseignement pratiqué dans les collèges aujourd’hui. Je souhaite que, tel le professeur Didier, il note avec « indulgence ».

Question 8b : De nombreux candidats n’ont pas compris la question et n’ont pas vu la pertinence du lien entre l’adjectif « étrange » et son étymologie dans ce contexte précis.

Ceux qui en étaient encore à se demander qui était Léopold, s’il était marié à Andromaque, ce qu’Hermione faisait sur le zinc, mais surtout où se passait la scène, ont eu bien du mal à repérer l’emploi ironique du terme « étrange » pour qualifier l’époux !

Passons sur l’épreuve de mathématiques : même les meilleurs élèves n’ont pas compris certaines questions et n’ont pu terminer le devoir dans les temps. Plusieurs élèves de la classe de ma fille sont sortis de l’épreuve en déclarant avoir pratiquement rendu copie blanche, ce qui me laisse songeuse…

À ma connaissance, le DNB est un examen permettant d’évaluer les acquis de la fin du collège, ce n’est pas un concours d’entrée au lycée visant à sélectionner les meilleurs. En outre, faut-il que le premier examen auquel sont confrontés les élèves dans l’enseignement secondaire public en France (ce qui n’est pas le cas de l’enseignement privé dans lequel la sélection est présente dès l’entrée), les mette dans une situation d’échec qui souligne le fossé entre les meilleurs élèves et les autres, c’est à dire la majorité ? Ah, ce système scolaire si français qui décourage au lieu d’encourager, qui met l’accent sur ce que l’on n’a pas su faire et non sur ce que l’on sait faire !

Les élèves de troisième ont réagi avec beaucoup d’humour le soir même et ceux qui étaient vraiment « deg de la life » ont pu se divertir (au sens étymologique du terme, comme aime le rappeler l’éducation nationale) devant le match Belgique-Angleterre, avant d’entamer leur deuxième journée d’épreuves, dont ils sont sortis ragaillardis car la difficulté des sujets correspondait à ce qui avait été enseigné au cours de l’année.

Je souhaite un très bel été aux élèves de troisième et à leurs enseignants qui ont travaillé avec assiduité et confiance en vue du DNB. Je n’accorderai pas la mention très bien à ceux qui ont rédigé le sujet de français du DNB 2018.

Ci-dessous quelques commentaires choisis parmi la déferlante sur l’Instagram de ma fille:

« Léopold reprend tes études et arrête de chialer à cause de Odette qui récite l’histoire d’Andromaque »

-« Si on retrouve Léopold demain en histoire j’me jette par la fenêtre »

« Léoplode de merde la j’ai niquer la moitier de mes point a cause de lui miskine au final tu sais toujours pas si c’est le patron, le barman, le prof, ta sœur ou l’amant d’ta mère ce fdp »

« Oh Léopold par ci oh Léopold par là moi j’ai une tête comme ça là »

« Vous pouvez retourner les sujets - C’est le sujet qui va me retourner »

« Nique tes mort Léopold »

Léopoldine Lorrain

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