Lettre ouverte à Edwy Plenel : Quand Mediapart invite l'Académie sans l'interroger

Monsieur Plenel,

Vous recevez François Héran comme "expert" incontournable sur les questions migratoires. Vous hochez la tête à ses analyses "nuancées" qui relativisent le rôle du colonialisme dans les migrations contemporaines. Vous ne lui posez jamais LA question qui fâche : comment peut-on prétendre à l'objectivité scientifique quand on siège dans une institution - l'Académie des sciences morales et politiques - qui incarne depuis 1666 le réductionnisme colonial au service du pouvoir ?

Cette question, vous ne la posez pas. Pire, vous ne semblez même pas la voir. Pourtant, Mediapart se targue d'être le journal qui "révèle", qui "enquête", qui "n'a peur de rien". Vraiment ?

L'Académie des sciences : 350 ans d'impunité

Permettez-moi de vous présenter cette institution que vous semblez méconnaître. L'Académie des sciences française n'est pas un gentil club de savants désintéressés. C'est, depuis sa fondation par Colbert, l'architecte et la gardienne d'un paradigme réductionniste qui a légitimé scientifiquement :

L'esclavage et le racisme scientifique

• Georges Cuvier, secrétaire perpétuel, qui dissèque Saartjie Baartman, la "Vénus Hottentote", la compare à un orang-outan et conserve ses organes génitaux dans du formol
• Paul Broca qui mesure des milliers de crânes pour "prouver" l'infériorité des races colonisées
• Buffon qui hiérarchise "scientifiquement" les races humaines pour justifier la traite

L'Académie a-t-elle jamais fait son mea culpa ? Jamais. Les bustes de ces criminels ornent toujours ses murs.

La destruction coloniale

L'Académie a organisé les missions "scientifiques" qui préparaient la conquête :

• Cartographie pour l'armée
• Inventaire des ressources à piller
• Vol systématique des pharmacopées traditionnelles (le quinquina et tant d'autres)
• Destruction des épistémologies non-occidentales

Aujourd'hui encore, elle perpétue le néocolonialisme académique en formant les élites du Sud selon son modèle, maintenant la dépendance épistémique.

Les catastrophes écologiques et sanitaires

L'Académie a systématiquement légitimé les poisons industriels :

• Le DDT défendu contre Rachel Carson
• L'amiante : un siècle de déni, 100 000 morts annoncés
• Le chlordécone aux Antilles : 90% de la population contaminée, silence total
• Les pesticides validés par René Truhaut et sa "Dose Journalière Admissible"
• Les OGM promus malgré les alertes

À chaque fois le même schéma : l'Académie fournit la caution scientifique, marginalise les lanceurs d'alerte, nie les évidences jusqu'à la catastrophe.

François Héran, ou l'incarnation du problème

Quand François Héran minimise le rôle du colonialisme dans les migrations, il ne fait pas de la science neutre. Il perpétue la tradition de son institution : fragmenter pour ne pas voir, quantifier pour ne pas comprendre, techniciser pour ne pas politiser.

Son approche "multifactorielle" qui noie le colonialisme parmi d'autres "facteurs" reproduit exactement le réductionnisme académique : on découpe, on isole, on mesure, mais on ne recompose jamais la totalité du système d'oppression.

Comment s'en étonner ? Il siège dans la même institution qui a fourni les justifications "scientifiques" à l'esclavage et à la colonisation. Le loup peut-il enquêter objectivement sur la disparition des moutons ?

Mediapart, complice par omission ?

Monsieur Plenel, votre silence sur l'Académie est assourdissant. Pas une enquête. Pas une investigation. Pas même une question embarrassante à ses membres que vous recevez avec déférence.

Pourquoi cette immunité médiatique ?

• Peur de s'attaquer à une institution "prestigieuse" ?
• Fascination pour les titres académiques ?
• Méconnaissance de l'histoire ?
• Ou plus troublant : partage implicite du même paradigme réductionniste ?

Car enfin, comment expliquer que le journal qui a révélé l'affaire Cahuzac, qui traque les conflits d'intérêts, qui dénonce les réseaux de pouvoir, devienne soudain aveugle face à l'Académie ?

Les questions que vous ne posez jamais

Voici les questions que vous devriez poser à François Héran et à tout académicien que vous recevez :

1. L'Académie a-t-elle fait son examen de conscience sur son rôle dans l'esclavage et la colonisation ?
2. Pourquoi les bustes de Cuvier et Broca ornent-ils toujours vos murs ?
3. Combien d'académiciens ont des liens financiers avec l'industrie chimique, pharmaceutique, agroalimentaire ?
4. Pourquoi l'Académie a-t-elle systématiquement défendu DDT, amiante, pesticides, OGM ?
5. Comment prétendre à l'objectivité quand votre institution perpétue depuis 350 ans le même paradigme réductionniste ?

L'urgence d'un journalisme vraiment critique

Nous vivons une crise civilisationnelle totale. Le paradigme réductionniste que l'Académie incarne et perpétue nous mène à la catastrophe : effondrement écologique, sixième extinction, empoisonnement généralisé.

Dans ce contexte, inviter ses membres sans jamais questionner l'institution elle-même n'est pas du journalisme. C'est de la promotion institutionnelle.

Monsieur Plenel, vous qui avez écrit sur la nécessité d'un "journalisme de combat", vous qui appelez à "prendre parti pour la vérité", il est temps d'appliquer ces principes à l'Académie.

Enquêtez sur :

• Les réseaux de pouvoir qui la structurent
• Les conflits d'intérêts de ses membres
• Son rôle historique et actuel dans la légitimation des dominations
• Sa responsabilité dans les catastrophes sanitaires et écologiques

Ou continuez à recevoir ses membres avec déférence, validant ainsi 350 ans d'impunité.

Pour conclure

Cette lettre n'est pas une attaque personnelle. C'est un appel à la cohérence. Comment Mediapart peut-il prétendre "défendre la démocratie" tout en offrant une tribune non critique aux gardiens d'un paradigme qui détruit le vivant et perpétue les dominations ?

François Héran n'est pas un expert neutre. Il est membre d'une institution qui a du sang sur les mains et refuse de le reconnaître. Tant que vous ne poserez pas cette question, vous serez complice de cette amnésie.

L'Académie des sciences n'a jamais été enquêtée sérieusement par la presse française. N'est-il pas temps que Mediapart brise ce tabou ?

Nous attendons votre réponse. Et surtout, nous attendons vos actes.

Un lecteur qui n'a plus de patience pour les révérences aux institutions mortifères