Parmi les quelques régions roumaines n’ayant pas placé l’extrême-droite en tête du premier tour du scrutin présidentiel dimanche dernier, se trouvent celles où vivent les minorités hongroises de Roumanie. Héritage de plusieurs siècles de domination austro-hongroise sur la Transylvanie, les Hongrois seraient plus d’un million dans le pays, selon un recensement réalisé en 2022.
Celui qui a obtenu leurs suffrages, c’est Crin Antonescu, le candidat issu de la coalition gouvernementale. Loin des 20% obtenus par ce dernier au niveau national, il a été largement plébiscité dans les régions à forte population hongroise, récoltant jusqu’à 75% des voix dans le canton d’Harghita, au cœur du Pays sicule.

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En cause, le ralliement de l’Union démocrate magyare de Roumanie (UDMR), principal parti ethnique représentant la minorité hongroise, aux partis de gouvernement, sociaux-démocrates (PSD) et libéraux (PNL). Mais leur alliance électorale “Roumanie en avant”, lancée en février 2025 pour porter la candidature de Crin Antonescu à la présidence, a échoué face à un puissant vent de dégagisme, favorable à l’extrême-droite de George Simion, du parti Alliance pour l’unité des Roumains (AUR, 41% des voix), et, dans une moindre mesure, au centriste Nicușor Dan (indépendant, 21% des voix). Son candidat resté aux portes du second tour, la minorité hongroise n’aura pas de représentant le 18 mai prochain.
L’attachement à l’identité culturelle et linguistique hongroise
La minorité hongroise de Roumanie exprime un fort attachement à son identité culturelle et linguistique, et à sa reconnaissance par l’État central. Victime de discriminations sous le régime de Nicolae Ceaușescu, elle s’est affirmée depuis les années 1990, protégée par la Constitution roumaine qui garantit à 19 minorités, dont les Hongrois, l’utilisation de leur langue maternelle à l’école, ainsi que dans l’administration, dans les localités où les personnes minoritaires représentent plus de 20% de la population.
Des tensions ont régulièrement éclaté ces dernières décennies autour de revendications autonomistes du Pays sicule — région historique à large majorité hongroise, formée des cantons de Harghita et Covasna, ainsi que d’une partie de Mureș —, dont les nombreux projets portés au Parlement par des députés issus de la minorité n’ont jamais présenté de réelles chances d’aboutir. “Formellement, ces demandes font toujours partie du programme de l’UDMR, mais dans la pratique, il n’y a pas de stratégie pour les mettre en œuvre, explique Tamás Kiss, chercheur à l’Institut roumain de recherche sur les minorités nationales. Dans l'agenda des négociations entre Bucarest et les représentants des Hongrois, ces demandes d'autonomie ne sont pas vraiment à l'ordre du jour. Il s'agit plutôt de maintenir la structure institutionnelle de niveau intermédiaire (les écoles de langue hongroise, les municipalités locales gouvernées par des Hongrois…) et l’agentivité politique qu’elles permettent aux communautés”, poursuit-il.
La crainte d’une victoire du nationaliste George Simion
La perspective d’une victoire du candidat d’extrême-droite George Simion, qui a largement dominé le premier tour de l’élection présidentielle en récoltant 41% des suffrages, inquiète les Hongrois. Le leader de l’AUR n’a de cesse d’exalter l’identité et la souveraineté roumaines, une rhétorique nationaliste qui suscite de “vives préoccupations parmi les associations culturelles hongroises de Transylvanie”, selon Cristina Fodor, chercheuse au sein de l’une d’elles, la Société culturelle hongroise de Transylvanie.
Si cette organisation basée à Cluj-Napoca et engagée dans la préservation de l’héritage culturel hongrois existe depuis 1885, elle a été mise sous silence entre 1948 et 1990, pendant la période communiste. “Chaque changement politique est une source d’incertitude. L’histoire de notre organisation en est la preuve, observe-t-elle. Nous craignons qu'un climat politique nationaliste n'exacerbe les problèmes existants et entraine une réduction des financements, davantage d’obstacles bureaucratiques et une forme subtile de marginalisation culturelle.”
Pour attirer les votes de la communauté hongroise, l’AUR essaie de dépasser le clivage communautaire. Ainsi, la présidente du parti dans la région sicule de Covasna, Dana Varga, appelait, dans un média local, “les Roumains, Hongrois et Roms” à voter pour “rompre avec le passé politique”, ajoutant, “quelles que soient nos origines ethniques ou nos choix politiques antérieurs, nous aspirons tous à une Roumanie digne, prospère et respectée” .
George Simion quant à lui utilise la figure de Viktor Orbán pour mobiliser. Dans une interview pour Euronews, il a fait valoir son ambition de “suivre ses traces”, rappelant leur proximité idéologique sur des sujets tels que “la famille, la préservation de la population et le christianisme dans les institutions de l’UE” – laissant de côté leurs différends, au niveau européen notamment.
Viktor Orbán, le président hongrois, est apprécié des communautés magyares, dont il est un grand soutien partout en Europe de l’Est. Le site d’information Balkan Insight révélait en 2020 l’abondance des financements de Budapest à destination d’institutions culturelles, religieuses et sportives, ainsi que de médias en langue hongroise en Transylvanie. Autant de moyens de diffuser son idéologie illibérale, à laquelle les Hongrois de Roumanie sont réceptifs, et sur laquelle George Simion essaie de capitaliser.
“Le vote hongrois est un vote ethnique avant tout”
“La propagande politique de Viktor Orbán fonctionne. Beaucoup des Hongrois de Roumanie soutiennent son souverainisme, partagent ses positions anti-Ukrainiens, contre les LGBT et les Roms, explique Tamás Kiss. Mais pour autant, cela ne signifie pas qu’ils soutiennent le souverainisme de Simion. Au contraire, ce sont des contradictions qui co-existent dans les attitudes politiques de la minorité hongroise.”
Les appels du pied de l’extrême-droite aux minorités devraient donc avoir un faible écho, selon Tamás Kiss. Le chercheur l’assure : “Les minorités voient Simion, et Georgescu avant lui, comme des forces anti-hongroises, et cela prime sur toutes les similarités idéologiques. Certes, ces dernières existent, mais elles sont secondaires. Le vote hongrois est un vote ethnique avant tout”, poursuit-il.
De fait, les leaders de l’UDMR n’ont pas tardé, au lendemain du vote, à apporter leur soutien à Nicușor Dan, le maire de Bucarest qui affrontera George Simion au second tour. “Si Simion devient président, ce sera une tragédie”, peut-on lire sur le compte Facebook du parti, ou encore, “#STOPSimion Protégeons notre langue maternelle, nos droits, nos écoles” dans un autre post.
Un réservoir de votes pour Nicușor Dan
“Les craintes d’une victoire possible de l’AUR et la panique dont est prise la communauté hongroise pourrait conduire à une mobilisation plus importante qu’au premier tour”, explique Tamás Kiss. Un élément important au vu du taux de participation particulièrement bas enregistré dimanche dernier dans les régions du Pays sicule – autour des 40%, contre 53% au niveau national.
“Nicușor Dan représente une approche plus modérée, confirme Cristina Fodor. Il est plus susceptible de garantir une relation stable entre les associations culturelles minoritaires et les structures gouvernementales. Pour nous, maintenir le dialogue est le plus important”, conclut-elle.
La mobilisation des membres de la minorité hongroise pourrait bien constituer un réservoir de votes conséquent et nécessaire à Nicușor Dan pour battre son adversaire.