Prose Élite. Le titre du projet, clin d’œil supposé au Prose Combat de MC Solaar, annonce d'emblée la couleur. A travers les 13 titres qui le composeront, le rappeur continuera (comme il l'a toujours fait depuis 2002) à emprunter « les voies de la provoc », son arme favorite, pour tenter de nous « amener à [son] message1». Aucune référence à la religion n'est pourtant faite dans le morceau éponyme (dont le clip sorti jeudi dernier comptabilise en une semaine plus de 445 000 vues), n'en déplaise aux détracteurs de l'artiste qui dans le passé ont souvent eu tendance à utiliser ce motif pour porter leurs accusations. Ce fut par exemple le cas de Caroline Fourest et d'Alain Finkielkraut qui, après la sortie le 1er janvier 2014 du clip Don't Laïk, n'ont pas hésité à taxer le texte d' « intégriste » et de « francophobe », alors que celui-ci se voulait être au contraire, pour reprendre les propos de l'auteur dans l'un de ses articles, « précisément une caricature tendue aux fondamentalismes [...] qui singe à la fois ceux qui font de la laïcité un outil d’exclusion, et à la fois ceux qui la subissent et l’expriment à travers une réaction d’hyper-identification de circonstance2». Par ailleurs, il est intéressant de noter que dans son dernier album Protest Song, le rappeur semble moins « provocateur » que d'habitude, laissant beaucoup plus de place à la musique et aux refrains chantés (présents alors sur 4 titres). La sortie de ce nouvel opus sera donc l'occasion de voir où se situe l'artiste par rapport à cela : va t-il revenir à ses « plans de bataille » et l'envoi massif de piques et de symboles, va t-il continuer à donner plus d'espace aux émotions, ou va t-il réussir à trouver l'équilibre parfait entre fond et forme ?
Les paroles, le clip et la cover de l'album de Prose Elite (voir ci-dessous) nous donnent un premier élément de réponse. Médine a clairement souhaité y mettre en évidence la relation entre culture et rap des quartiers que certains refusent encore de reconnaître, à l'image d'Eric Zemmour et sa déclaration devenue fameuse de 2008 selon laquelle le rap ne serait « qu'une sous-culture d'analphabètes3 ». Dans les lyrics, l'Arabian Panther fait effectivement la jonction à la fois entre la Rue et la Poésie (« Je cause comme un bouquin, je suis pas écrivain / Mais j'décris la vie urbaine en alexandrins », « Brassens, Brel et Ferré c'est l'album de La Ligue [faisant référence au groupe qu'il déclare former avec les deux autres rappeurs « conscients » Youssoupha et Kery James] », « Mes hagouns [comprendre ironiquement : mes compères idiots/illétrés] démomifient Louis Aragon »), la Philosophie (« Moi mon Socrate habite le 93 [faisant référence au rappeur Mac Tyer dont le véritable nom est Socrate Petteng] »), l'Histoire (« Le rap : un sport d'esclave qui porte l'espoir / D'une jeunesse oubliée, on fait du street art sur les bancs de l'Histoire ») et la Littérature en général (« Un rappeur qui meurt : une biblio' qui brûle / J'suis membre d'un gang et d'un club de lecture », « Tulipe Noire »).
Agrandissement : Illustration 2
Quant au clip réalisé par Florin Defrance grâce au projet artistique Affichez-vous de Hugues Anhes, nous pouvons y voir plusieurs affiches de rappeurs déchirées, laissant entrevoir les portraits de « grands » penseurs tels que Victor Hugo, Freud, Socrate, Brassens et Césaire. Ainsi, pour Médine, il semble grand temps de faire entendre dans le débat national la voix des jeunes des quartiers populaires qui, contrairement à ce que certains voudraient faire croire, ont accès à la culture au même titre que les autres classes sociales et ont le droit de s'exprimer sur des sujets de société au même titre que n'importe quel journaliste de média dominant (« Ici, j'lis plus le journal, sauf www.bondyblog »). Ce que l'artiste a d'ailleurs fait en publiant en 2012 un essai sur l'islamophobie avec Pascal Boniface, géopolitologue et directeur de l'IRIS. Rappelons aussi que la même année, le MC voyait (à son insu) les paroles de son titre 17 octobre intégrées dans certains manuels scolaires de première. De quoi inspirer les générations futures, à l'heure où le rap fait toujours état d'un important mépris social, notamment de la part des hommes politiques qui finalement le connaissent très peu (y compris à gauche) du fait de leur éloignement avec les réalités des quartiers.
« Un rappeur qui meurt : une biblio' qui brûle / J'suis membre d'un gang et d'un club de lecture »
Si le track éponyme nous parle de culture, rien ne nous indique précisément de quoi sera fait le reste de ce cinquième album solo. Nous avons cependant quelques pistes. Deux autres extraits ont à ce jour tout d'abord été publiés : Rappeur 2 Force (conçu pour être la suite du morceau Rappeur de force de 2006) dans lequel le « parolier des parloirs » pousse un coup de gueule sur divers sujets, et Global, ultime morceau de l'opus en référence à son premier nom de scène, beaucoup plus personnel, où il revient de manière assez nostalgique sur ses « 20 ans de partage, de passion, d'aventure mais aussi 20 ans de compétition, de doutes, de tiraillements » dans le rap, comme il l'a déclaré sur sa page Facebook. Autre avant-goût de l'album, sa tracklisting (dévoilée le 23 novembre, voir ci-dessous), qui nous permet de voir que le Haut-Normand sera très bien accompagné dans les featurings avec la présence de vieux habitués (Lino, Youssoupha, Brav) mais aussi de jeunes pousses (Sofiane, Alivor) en passant par la grande figure du rap contestataire, Keny Arkana. Cette liste nous donne enfin des indices sur certaines thématiques susceptibles d'être traitées par Médine : l'oppression des Rohingyas avec Enfant du destin (Nour), qui sera la suite très attendue de la série de chansons « Enfant du destin » entamée en 2004 et qui s'appuiera sûrement sur son récent voyage en Birmanie; l'Algérie (son pays d'origine) avec Alger Roi, clin d'oeil à l'excellent Alger Pleure; et son rôle de père de trois enfants avec Papamobile, en collaboration avec 20syl). Bien qu'il reste à écouter tout le fruit de ce travail, nous pouvons être confiants quant à la qualité du résultat. Sera t-il l'album de la maturité ? L'artiste a en tout cas assuré sur les réseaux sociaux qu'il ne nous décevrait pas. RDV le 24 février.
Tracklisting :
I - Le Khan
II - Urbain 1er
III - Grand Paris Feat. Lartiste, Lino, Fianso, Alivor, Seth Gueko, Ninho SDT & Youssoupha
IV - Raison sociale
V - Allumettes
VI - Enfant du destin (Rohingyas)
VII - Prose élite
VIII - Alger roi
IX - Mort kilomètre Feat. Keny Arkana & Brav
X - L'homme qui répare les femmes Feat. NORAA
XI - Papamobile Feat. 20syl
XII - Rappeur 2 force
XIII - Porteur saint
XIV - Global
Quelques dates :
- 1983 : naissance au Havre
- 2004 : sortie de l'album 11 septembre, récit du 11e jour
- 2005 : sortie de l'album Jihad, le plus grand combat est contre soi-même
- 2008 : sortie de l'album Arabian Panther
- 2013 : sortie de l'album Protest Song
- 2012 : sortie du livre Don't Panik avec Pascal Boniface
- 2017 : sortie de l'album Prose Elite
1Médine, Premier Sang, dans Jihad, le plus grand combat est contre soi-même, 2005.
2Médine, « Ma chanson "Don't Laïk" vilipendée : c'est pourtant du pur esprit Charlie ! », édité par Hélène Decommer et publié le 13 janvier 2015 sur Le Plus de l'Obs : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1305180-ma-chanson-don-t-laik-vilipendee-c-est-pourtant-du-pur-esprit-charlie.html
3Voir l'article « Les meilleures déclarations anti-rap », publié le 14 mars 2015 par Julien Rebucci sur Les Inrocks :http://www.lesinrocks.com/2015/03/14/actualite/les-meilleures-declarations-anti-rap-11588147/