Kyasid

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 20 juillet 2023

Kyasid

Abonné·e de Mediapart

L'école de la révolte

[Rediffusion] Qui veut encore travailler dans l'Education Nationale ? Le dernier remaniement ne fait que confirmer la volonté du gouvernement de dévaloriser une institution qui a perdu sa mission première : promouvoir le droit à l'éducation des enfants sans distinction. Avec Gabriel Attal, on sonne le glas de l'école publique. Faut-il préparer la rentrée des classes ou la révolte ?

Kyasid

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Qui peut encore se targuer de promouvoir le droit fondamental à l’éducation dans l’école publique aujourd’hui ? Qui peut encore souhaiter intégrer ou rester dans l’éducation nationale après ce remaniement, dernière humiliation en date qui s’ajoute aux réformes plus absurdes les unes que les autres de ces dernières années, l’instrumentalisation du cas Samuel Paty, la mort d’un élève en pleine épreuve du bac entouré de huit adultes assassins ?

Comment, alors qu’on exécute les gamins, qu’on les humilie, qu’on les agresse, qu’on les viole, qu’on les exploite et qu’on leur refuse le statut d’être humain dans toutes les franges de la société, vanter, comme le faisait Claude Millet, présidente du Directoire du CAPES de Lettres Modernes cette année, « le plus beau métier du monde » (avant de se reprendre, tout de même, « prof, c’est pas un métier d’autiste hein », ouf ! On aurait pu croire l’école inclusive).

Qui sont ces profs complètement déconnectés, atteints tellement profondément dans leur humanité, qu’ils pensent qu’un enfant dont ils ont la responsabilité puisse feindre, en pleine épreuve du bac, une crise cardiaque et pire, menacent ses camarades d’exclusion quand ils demandent à appeler les urgences, ou simplement, tentent de le mettre en position latérale de sécurité ? Des enfants auxquels on a démontré, de la manière la plus violente qui soit, qu’ils ne sont rien. Si ce gamin a crevé, de toute façon, il aurait fait de la mauvaise chair à prolo. Et ce qu’on veut, au sortir du bac, c’est de la bonne viande à exploiter. Voilà notre substantifique moelle, à nous, enseignants, complices du gouvernement.

Aujourd’hui donc, c’est Gabriel Attal qui est nommé ministre de l’Éducation Nationale, dont la mission principale sera d’assumer l’agonie de notre beau service public. « Désétatiser ». « Durcir ». Rattraper un « naufrage » nous dit le Président comme si ce n’était pas lui à la barre. Attal est donc un de ceux qui ont réussi selon Macron mais qui n’a jamais foutu les pieds dans une école publique. Qui ne sait pas les repas à la cantine où grouillent les insectes mais qu’on mange quand même en vitesse avant qu’une plaque du plafond tombe encore dans notre plat et qu’on refuse de nous donner de nouveau à manger. Qui ne sait pas les contrôles de CRS racistes à l’entrée des lycées pro (doux souvenirs de 2007 en banlieue parisienne où moi, gamine blanche, n’ai jamais été contrôlée, mais Yassine, lui, a pris un coup, gratuit, cadeau de la République, parce qu’il avait dit que « dans sa boîte à lunettes, il n’y avait que des lunettes », et que c’était vrai.)

Un de ceux qui ne sait rien du traumatisme de recevoir une mutation à 800km de chez soi alors qu’on a construit sa vie, qu’on connaît son territoire et que l’académie qu’on voulait, on le sait, déplorera à la rentrée un manque cruel d’enseignants. Qui ne sait rien de l’humiliation lors des concours où des vieux vous gueulent dessus au prétexte de « vous tester ». Nous tester ? Tester notre motivation ? A nous ? A nous qui payons une année, voire deux pour passer des concours dont les programmes sont coûteux, dont les écrits imposent à certain.e.s de payer une semaine de logement dans une autre ville que la leur pour passer les premières épreuves, puis pour les oraux (et gare à vous si vous passez l’agrégation et le capes en même temps :vous devrez prévoir 3 jours à Paris, suivis de 3 jours à Angers avant de revenir à Paris pour 2 jours. Quant à prévoir vos horaires de trains, oubliez tout de suite, vos horaires de passage vous seront communiquées la veille de votre première épreuve. Cette dernière a lieu après le dernier train pour rentrer chez vous ? Démerdez-vous pour vous loger sur place à la dernière minute, un dimanche ou priez pour qu’il vous reste une place dans ce bus de nuit qui vous ramènera chez vous en une petite dizaine d’heures à tarif élevé puisque la réservation est de dernière minute). Nous tester, nous ? Vraiment ?

Alors, combien d’humiliations faudra-t-il au corps enseignant pour se révolter ? Combien de temps pour accepter que ce gouvernement ne nous sauvera pas du naufrage, qu’on fera comme pour la méditerranée finalement, on laissera les gamins crever et subir toute la violence du système sans leur fournir ne serait-ce que des armes pour penser ce qui leur arrive ? Que les flashmobs, les chansons et les jolies pancartes calligraphiées en manifestations ne suffisent pas ?

Moi, j’ai de la chance, je sais que je pourrai retourner bosser ailleurs, dans un autre domaine et militer. J’ai de la chance parce que je peux refuser de participer au massacre. Refuser d’humilier les gosses au nom d’une dépolitisation flegmatique, d’un asservissement économique qui nous vole notre humanité. Aujourd’hui, anniversaire de Frantz Fanon, je me souviens de ses mots : « Chacun de mes actes engage l’homme. Chacune de mes réticences, chacune de mes lâchetés, manifeste l’homme. »

Camarades, collègues, ami.e.s, vous n’avez pas signé pour ça. Vous n’avez pas voulu de cette éducation nationale. Vous avez voulu la libération des esprits et des corps, parce que vous savez à quel point la connaissance sauve. Refusez de participer au massacre. Faites grève, démissionnez, mettez-vous en arrêt, en disponibilité, refusez les programmes et les réformes absurdes, les inspections, brûlez les copies du baccalauréat, bloquez vos établissements avec vos élèves, c’est ça la vraie valeur de la République : enseigner librement et passionnément.

Il faut qu’on puisse parler à nos élèves de ce qui se passe dans le pays, de la gravité de la situation, qu’on leur crée des espaces de paroles pour qu’enfin les savoirs deviennent pratiques citoyennes et humaines. Rendez-leur la dignité et l’humanité qu’ils méritent. Eux n’oublieront jamais comment le système les a traités et nous en faisons partie.

Professeur, j’ai aussi envie d’y croire, est le plus beau métier du monde, mais il doit être révolutionnaire. Alors aujourd’hui, « on se lève et on se casse. »

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.