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Stabilité sociale : apaiser les tensions
En1945, le partage de la valeur ajoutée était relativement équilibré — autour de 45 % pour le capital et 55 % pour le travail — et assez homogène entre les secteurs. Aujourd’hui, ce partage est devenu profondément inégal : dans les GAFAM ou les grandes plateformes numériques, à peine 20 % de la richesse créée va aux salaires ; dans les petites entreprises, c’est l’inverse — 80 % pour le travail, et des marges écrasées.
Ces déséquilibres nourrissent les tensions sociales. Les TPE/PME, qui emploient près de la moitié des salariés, sont prises en étau entre la pression sur les prix imposée par les grandes structures et la spéculation sur les coûts fixes (loyers, énergie, transports). Elles ne souffrent pas d’un "coût du travail" excessif — les salaires s’érodent, les exonérations se multiplient — mais d’un modèle où la valeur leur échappe avant même d’être répartie.
Ce fossé entre petites structures intensives en emploi et grandes entreprises capitalistiques alimente un sentiment d’injustice, renforcé lors des grandes réformes sociales. Rééquilibrer ce partage, c’est redonner de l’oxygène au tissu productif local, aux travailleurs, et à l’économie réelle.
Stabilité économique : dynamiser et rassurer
Un partage équitable de la valeur ajoutée peut relancer l'économie. La chute des salaires à 58 % (contre 66,9 % en 1983, Économistes atterrés) réduit le pouvoir d’achat, freinant la consommation. Parallèlement, la vitesse de circulation de la monnaie — indicateur clé de dynamisme économique — est passée de 2,5 en 2000 à 1,5 en 2023 (Banque de France), signe d’un ralentissement global des échanges.
Pour redonner souffle à l’économie, seule une réforme permettant d’augmenter le pouvoir d’achat, de renforcer l’emploi local et de relancer les exportations pourrait enclencher un cercle vertueux. En ciblant mieux les contributions des entreprises selon leur capacité réelle à créer de la valeur, une telle réforme restaurerait un équilibre plus sain entre production, redistribution et investissement.
Stabilité financière : lisibilité contre autoritarisme
Les marchés financiers valorisent la stabilité. Comme le note Marie Charrel (Le Monde, 10 juillet 2025), « les investisseurs préfèrent la stabilité d’un régime penchant vers l’autoritarisme aux soubresauts inhérents aux démocraties », comme en Italie sous Giorgia Meloni (déficit réduit de 8,9 % à 3,4 % du PIB). Mais l’autoritarisme est fragile à long terme, car il sape les contre-pouvoirs. La CVA, en revanche, offre une stabilité durable et démocratique, via l’équité, comme le montre le fonds souverain norvégien (1,4 trillion USD), qui prospère dans un modèle social équilibré.
Ce qui fait fuir les investisseurs? L’arbitraire.
En Turquie, après plusieurs limogeages de gouverneurs de la banque centrale décidés par le président Erdoğan entre 2020 et 2021, les taux d’intérêt à 10 ans ont bondi de 12,5 % à 19 % en quelques semaines. Le message était clair : l’État devient imprévisible.
À l’inverse, l’Italie a vu ses spreads se resserrer après l’arrivée de Mario Draghi, non pas parce qu’il était autoritaire, mais parce qu’il incarnait une feuille de route lisible, respectée, compatible avec l’eurozone.
En Hongrie, malgré un pouvoir central fort, les taux souverains ont grimpé à 8 % en 2022, car la dérive institutionnelle (justice, médias) et les tensions avec Bruxelles ont créé de l’instabilité systémique.
👉 Les marchés ne votent pas pour la démocratie, mais ils fuient l’opacité.
Ce que veulent vraiment les investisseurs
Les investisseurs ne recherchent ni le libéralisme intégral, ni la dictature efficace.
Ils veulent, très simplement :
- Des règles prévisibles
- Un cadre légal stable
- Une assiette fiscale compréhensible
- Une trajectoire budgétaire cohérente
👉 Ils cherchent de la continuité lisible. Ce que la démocratie garantit souvent mieux que les régimes autoritaires, du moment qu’elle reste solide institutionnellement.
Fiscalité : la stabilité de l’assiette plus que son niveau
Cette même logique vaut pour la fiscalité : ce n’est pas le niveau d’imposition qui fait fuir, mais son instabilité ou son absurdité.
La réforme de la Cotisation sur la Valeur Ajoutée (CVA) part de ce constat. Elle ne propose pas « plus ou moins de cotisations », mais une assiette plus juste et plus prévisible : la valeur ajoutée.
Une entreprise qui sait que sa contribution sera stable, lisible, corrélée à ce qu’elle produit — plutôt qu’à des variables administratives mouvantes — y gagne en visibilité.
👉 C’est la stabilité de l’assiette, pas sa baisse aveugle, qui attire la confiance.
Conclusion : une cotisation pour la stabilité
En 1945, la France a fait le pari d’un modèle fondé sur le partage équilibré de la richesse créée. Ce pari a structuré l’État social, la cohésion nationale et la prospérité de l’après-guerre. Mais cet équilibre a été détricoté au fil des décennies : aujourd’hui, les petites entreprises croulent sous des contraintes externes alors qu’elles créent l’emploi, pendant que de grands groupes captent la valeur sans contribuer à hauteur de leur puissance économique.
Une réforme fiscale bien pensée ne consiste pas à baisser les prélèvements au hasard, mais à repenser leur assiette pour la rendre lisible, stable et juste. Dans ce contexte, redonner de la cohérence au partage de la valeur ajoutée n’est pas qu’un enjeu de justice sociale : c’est une condition de stabilité économique, de sérénité politique, et de confiance pour les investisseurs comme pour les citoyens.
Une nouvelle architecture contributive peut restaurer cet équilibre sans verser ni dans la régression libérale, ni dans l’autoritarisme comptable. Elle peut répondre au défi posé par Emmanuel Macron en 2025 (« notre modèle repose trop sur le travail »), tout en rendant au pays une assise fiscale à la fois efficace, démocratique et soutenable.
Source d’inspiration pour l’article « Les investisseurs préfèrent la stabilité d’un régime pas l’autoritarisme » :
Titre : "Les investisseurs préfèrent la stabilité d'un régime penchant vers l'autoritarisme aux soubresauts inhérents aux démocraties"
Autrice : Marie Charrel Date : 10 juillet 2025