Pourquoi les cotisations sociales ne sont pas un "coût du travail"
On les appelle “charges sociales” et on les accuse de plomber le “coût du travail”. Pourtant, les cotisations sociales sont avant tout une part socialisée de la valeur ajoutée. Ce texte démonte les idées reçues et propose une autre lecture : historique, politique, contributive.
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🌐 Introduction : Un coût ? Vraiment ?
"Le coût du travail est trop élevé en France." Cette formule revient comme un métronome dans les débats économiques et politiques. Elle sert de justification aux politiques d’exonération, à la modération salariale, à la flexibilisation du marché du travail.
Mais que recouvre vraiment cette notion de "coût du travail" ? Et surtout, les cotisations sociales doivent-elles y figurer ?
Ce texte propose de déconstruire cette idée reçue. Non pas au nom d'une posture idéologique, mais à partir des faits, de l'histoire, et de la logique économique. Car ce que nous appelons « charges sociales » n’est pas un destin : c’est un choix d’assiette, une convention comptable, une décision politique.
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I. 📜 Une construction historique, pas une vérité économique
En 1945, la création de la Sécurité sociale inaugure un nouveau modèle de solidarité : fondé sur des cotisations, et non sur l'impôt.
Deux prélèvements sont alors institués :
la cotisation salariale, prélevée sur la part des salaires (naissance des termes salaire brut / salaire net),
la cotisation patronale, prélevée sur la part du capital.
Les deux sont donc extraites de la valeur ajoutée réalisée par l'entreprise, avant sa répartition entre salaires, profits et impôts. La VA devient la base implicite de la solidarité.
L'objectif ? Assurer une protection sociale universelle, sans passer par le budget de l'État. Les cotisations sont affectées (santé, retraite, famille) et gérées paritairement (syndicats et patronat).
⚡ Conseil d'État, 2000 : les cotisations sociales ne sont ni un impôt ni une taxe, car elles ont une affectation et une autonomie de gestion.
📚 Mariana Mazzucato, dans The Value of Everything, développe la notion de co-production institutionnelle de la valeur : la richesse économique n’est pas produite isolément par le secteur privé, mais résulte d’un processus collectif impliquant infrastructures publiques, éducation, recherche, normes juridiques et sociales.
II. 📊 Le "coût du travail" : un indicateur idéologique
La notion de "coût du travail" inclut généralement le salaire brut + les cotisations patronales. C'est une construction comptable, normalisée dans les années 1980 par l'OCDE, la DGFIP ou Eurostat.
Mais cet indicateur pose plusieurs problèmes :
Il naturalise une convention : là où il y a un choix politique (financer la Sécu par cotisation), il prétend à une donnée technique.
Il biaise les comparaisons internationales, selon les méthodes de calcul.
Il assimile une solidarité à un fardeau, sans interroger sa finalité.
🎓 Travaux de Bozio & Wasmer (2024) et de Piketty et al. (2022) : le partage VA entre capital et travail est fortement influencé par les conventions comptables et les rapports de force.
III. 🔧 L’assiette est un choix politique
On présente souvent les cotisations comme "liées aux salaires". Mais ce lien est un choix d'assiette. On pourrait très bien les assoir sur :
le chiffre d'affaires,
la valeur ajoutée (comme la CVAE ou l'IRAP),
ou tout autre indicateur de richesse créée.
⚖️ Exemple : la TVA a été conçue comme un impôt sur la valeur ajoutée. Mais son assiette finale est le chiffre d'affaires. Cela n'en fait pas un impôt sur les ventes.
🔹 L'assiette est donc un choix politique, pas une essence économique.
💡 Et si… on avait assis les cotisations sociales sur la part du capital (VA - salaires) ? Aurait-on parlé de “coût du capital” plutôt que de “coût du travail” ?
Ce que nous appelons “coût” reflète moins la nature économique du prélèvement… que le point de vue idéologique de ceux qui le désignent.
IV. 🤯 Quand le capital reprend sa mise : le cas français 1945–1960
📖 Selon le World Inequality Report 2022 et le rapport France Stratégie 2024 (Bozio & Wasmer), voici ce qui s’est passé :
Avant 1945 : la VA est partagée à 55 % pour le travail, 45 % pour le capital.
Après 1945 : les cotisations sociales font passer la part du capital à 40 %.
Années 50 : la croissance permet au capital de retrouver ses 45 %, sans baisser les cotisations.
💡 Les salaires bruts ont juste stagné. L’employeur a absorbé les cotisations en ajustant la rémunération.
L’assiette n’empêche pas la lutte.
V. 🩹 Cotisation salariale, cotisation patronale… même logique
On distingue souvent la cotisation "salariale" et "patronale". Mais les deux procèdent d’une même logique : socialiser une part de la VA.
La cotisation salariale est une solidarité entre travailleurs.
La cotisation patronale est une solidarité de tous pour tous : l’entreprise verse une part de la VA produite avant de la partager entre salaires, profits et impôts.
📈 En 1945, on prélève sur le capital. Mais le capital réagit : il remonte sa part. 🧍 Donc : le problème n’est pas la cotisation, c’est l’assiette et le rapport de force.
🌟 Propos de Mariana Mazzucato à mobiliser : toute production de valeur est collective. Il est donc légitime que la collectivité en capte une part.
VI. 📈 Changer l’assiette, changer les effets
Si on décide d'assoir les cotisations sur la valeur ajoutée :
Le "coût du travail" diminue (moins lié au volume d’emplois).
Le taux de PO baisse (car la cotisation affectée sort du champ des PO).
L’effort est mieux réparti entre secteurs et entreprises.
✅ Même droits. Mêmes recettes. Mais une meilleure lisibilité, plus de justice, et moins d’effets pervers.
🔄 Conclusion : Et si on changeait de regard ?
Et si on cessait d’appeler "coût du travail" ce qui est en réalité une forme d'organisation solidaire de la valeur ?
Et si on reconnaissait que les cotisations sociales sont un outil de civilisation : elles organisent la solidarité à partir de la richesse réellement produite, sans fiscalisation, sans dette, et sans conditionnalité ?
Changer l’assiette, ce n’est pas fragiliser le modèle. C’est le réaligner sur la réalité économique.
La cotisation sociale n’est pas un coût. C’est un choix. Et un choix d’avenir.
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