S'il fallait encore convaincre de l'urgence climatique, cet été a définitivement mis fin à l'insouciance que certains pouvaient encore avoir. Loin d'être préservée par des phénomènes météorologiques dont nous savons qu'ils seront plus fréquents, la Bretagne a connu des chaleurs extrêmes, une sécheresse et des risques de pénurie d'eau. Un contexte climatique qui vient s'ajouter à une vulnérabilité de nos sols, dont la capacité de rétention en eau s'est vu largement diminuée par l'artificialisation, certaines pratiques agricoles et la disparition des zones humides, pourtant essentielles pour restituer progressivement aux nappes phréatiques et aux rivières l'eau accumulée durant les périodes plus humides. Quand la majeure partie de l'eau potable consommée en Bretagne provient de ressources en eau superficielle, on mesure alors notre fragilité et l'urgence d'adapter nos activités à l'aune de ces contraintes.
L'agriculture, qui occupe 60% du territoire breton est bien sur la première activité impactée. Les paysages et les champs jaunies ne laissent guère de doutes cette année sur l'impact de la sécheresse sur les rendements. Revient alors le débat sur le stockage artificiel de l'eau, que la FNSEA appelle à développer, y compris sur nos territoires. Mais avoir recours aux bassines sur lits de plastique pour irriguer le maïs résoudra t-il la crise de l'eau à venir ?
"Le stockage artificiel est une réponse curative qui risque de verrouiller des pratiques de plus en plus inadaptées au climat qui change". Ces mots sont de Magali Reghezza, géographe et co-directrice du Centre de formation sur l’environnement et la société de l'Ecole Nationale Supérieure. A l'instar de beaucoup de solutions techniques envisagées hors d'une approche globale, ces solutions ralentissent voire empêchent l'évolution vers des systèmes alimentaires plus durables.
Nous savons que l'agriculture en Bretagne est responsable de près de la moitié des émissions de GES (principalement sous forme de méthane (CH4) et de protoxyde d’azote (N2O), issus des élevages). Les fermes bretonnes fournissent plus du tiers des animaux finis produits dans le pays et assurent 40 % de la production nationale d'aliments pour les animaux de ferme. Cette sur-spécialisation, qui se traduit par des assolements simplifiés dédiés majoritairement à l'alimentation des animaux (maïs) et une concentration des animaux en bâtiment est aussi la première cause de dégradation de la qualité de l'eau, on le voit avec les nitrates ou les pesticides de synthèse.
Dans ce contexte, ajouter une plus forte pression sur la ressource en eau pour favoriser les cultures dédiées aux animaux d'élevages, comme le maïs, au détriment d'activités plus essentielles pour l'autonomie alimentaire de nos territoires (cultures destinées à l'alimentation humaine, eau potable...) parait totalement irresponsable.
La gestion de la sécheresse et la lutte contre le changement climatique relèvent de choix sociétaux et concernent bien sûr, au-delà de la production agricole, toutes nos pratiques alimentaires. Parmi les nombreux leviers à actionner aujourd'hui pour réduire l'empreinte carbone de l'agriculture comme sa dépendance à la ressource eau, la diminution du cheptel et le développement des fermes en agroécologie basées sur des activités diversifiées sont les plus pertinentes. Ces solutions nécessitent cependant un accompagnement technique et financier des agriculteurs en s'appuyant également sur des politiques qui privilégient les installations agricoles sur ces modèles. Végétaliser le modèle agricole breton ne sera pas sans conséquences et devra nécessairement se traduire par des changements de pratiques alimentaires, en diminuant par exemple notre consommation de viande et en accompagnant la mutation des emplois de l'agro-alimentaire sur des filières relocalisées. On le voit, pour encourager une gestion durable de la ressource en eau il nous faut aussi agir en faveur d'une alimentation plus équilibrée, durable et locale.
Construire des bassines ne modifiera pas les causes de la vulnérabilité de l'agriculture bretonne aux sécheresses. Seules des actions systémiques permettront de rendre plus résiliente notre agriculture pour garantir notre souveraineté alimentaire et une gestion durable de la ressource en eau.
Article plus complet à retrouver ici: http://eccill.over-blog.fr/2022/08/face-aux-secheresses-developpons-une-agriculture-plus-resiliente.html
Ludovic BROSSARD
Technicien agricole
Conseiller municipal de Rennes délégué à l'alimentation durable et l'agriculture urbaine
Vice-Président de la Collectivité Eau du Bassin Rennais en charge de l'adaptation au changement climatique, recherche et développement