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En commission mixte paritaire, les parlementaires viennent d'approuver le “Projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture”.
C'est un projet de loi qui marque un recul historique en matière de protection de l'environnement (retrait des objectifs de surface en bio Ré autorisation de pesticides, contournement des dérogations espèces protégées…) et qui vient s'ajouter à une décennie de renoncement en matière d'écologie (rappelons la dérogation récente sur la destruction des zones humides[1] ).
Difficile de percevoir dans ces conditions comment la France compte respecter ses engagements pris à l'égard de la préservation de la biodiversité ou de la qualité de l'eau.
Si certaines mobilisations et luttes locales viennent contrecarrer l'apathie et la résignation ambiante (opposition actuelle au chantier de l'autoroute A 69, projets de bassines jugés illégaux dans les Deux-Sèvres[2] grâce à la mobilisation des associations environnementales ), il existe heureusement d'autres combats qui démontrent que localement, nous avons des marges de manœuvre pour défendre et préserver le vivant.
Illustration avec la révision actuelle du Schéma d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) du bassin versant de la Vilaine.
Depuis désormais 3 ans, la Commission locale de l'eau (CLE) du bassin versant de la Vilaine élabore le prochain SAGE de la Vilaine. Dans le cadre de cette révision, les débats actuels poussent à restreindre enfin l'usage des pesticides de synthèse, ce qui serait un première pour un SAGE et un espoir pour celles et ceux qui luttent depuis des décennies contre les dégâts de ces produits sur la santé humaine ou l'environnement.
Un SAGE est un document qui définit à long terme les objectifs et les orientations d’utilisation et de protection des ressources en eau et des écosystèmes aquatiques, sur un territoire appelé « bassin versant ». L'objectif de ce document est d'atteindre le bon état des masses d’eau. Son règlement contient des règles édictées par la commission locale de l’eau (CLE), véritable parlement de l'eau est composée d’élu.es, d’usagers et de représentants de l’état.
Cet article relate les discussions actuelles et les enjeux autour de la sortie des pesticides de synthèse sur le bassin versant de la Vilaine.
Une pollution généralisée des cours d'eau
Sur le bassin versant de la Vilaine, l'accès à l'eau est de plus en plus préoccupant du fait de la présence de polluants tels que les pesticides de synthèse[3] et des impacts du changement climatique[4] puisque ce dernier va accroître le processus de concentration des polluants. Ce risque est majeur puisque sur la période 1980-2019, près de 12 500 captages d'eau potable - sur les quelque 33 000 que compte la France - ont déjà été fermés[5]. Or la concentration de polluants pourrait conduire à augmenter ces fermetures avec un impact dramatique pour la disponibilité de la ressource en eau.
Rappelons que l'ambition du SAGE est d'atteindre le bon état des masses d'eau, un objectif majeur assigné par la Directive Cadre sur l'Eau[6] aux États. Or, sur le bassin versant de la Vilaine, seulement 7% des masses d’eau superficielles satisfont aujourd’hui au bon état. Pour rappel, ce bon état devait être atteint en décembre 2015, à force de dérogations, aujourd'hui ce bon état, pour la moitié des masses d'eau du bassin versant de la Vilaine doit être atteint au plus tard à décembre 2027. Un objectif aujourd'hui inatteignable.
La faute en grande partie à la pollution généralisée des pesticides de synthèse et leurs impacts sur la faune invertébrées et l'état chimique des cours d'eau[7], un constat étayé par un diagnostic qui a été réalisé en 2022 et validé par la CLE du SAGE Vilaine.
Il est utile de rappeler qu'en France, les traitements de l'eau pour éliminer pesticides et engrais azotés minéraux génèrent 750 millions d'euros de dépenses chaque année, des dépenses assumées par les collectivités qui produisent de l'eau potable. Face à la contamination croissante, beaucoup de collectivité se trouvent donc face à un mur d'investissement, ce qui se répercutera inexorablement sur la facture de l'eau. Un bonne raison pour penser à des actions préventives plutôt que curatives.
Sortir des pesticides de synthèse : un principe de précaution
On sait la situation préoccupante du point de vue de la santé publique, les études menées montrent en effet une augmentation de la fréquence de certains cancers chez les utilisateurs de pesticides (lymphomes non hodgkiniens, myélome multiple, cancer de la prostate, maladie de Parkinson, etc)[8]. Des pesticides de synthèse également suspectés d'être à l'origine de certains cancers pédiatriques, malformation ou encore troubles du neurodéveloppement dans certaines régions de France[9]
La contamination des ressources en eau par les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées, ou « polluants éternels »), dont certaines sont d'origines agricoles laisse également présager des difficultés grandissantes pour assurer la production d'une eau de qualité suffisante.
Face à ce constat sur les enjeux de santé publique et de qualité de l'eau, le futur règlement du SAGE Vilaine propose une règle, aujourd'hui débattu au sein de la CLE, et qui fait l'objet d'un consensus autour de la restriction d'usage d'herbicides de synthèse sur les parcelles de maïs à risque d'érosion (fort et moyen) sur les aires d'alimentation de captage définies comme prioritaires par l'Agence de l'eau Loire Bretagne. Cela correspond à une toute petite partie des surfaces agricoles du bassin versant de la vilaine (environ 4,1 %) et ne concerne pas l'ensemble des captages d'eau de ce territoire.
C'est une proposition à minima qui fait l'objet d'un compromis fragile entre toutes les parties prenantes, y compris les élus FNSEA de la Chambre d'Agriculture, même si ceux-ci plaident pour une réduction de l'aire d'application et des dérogations en cas de météo défavorable qui rendrait compliquée la mise en œuvre du désherbage mécanique. À côté de cela, nous plaidons, en tant qu'élu.es, associations ou professionnels tels que le groupement d'agriculteurs biologiques, pour un élargissement de l'aire d'application de cette règle et surtout une progressivité qui consisterait à interdire les herbicides (utilisés sur les cultures de maïs et de céréales et dont les métabolites des herbicides utilisées sur les cultures de maïs font partie des molécules les plus détectées dans les eaux brutes) puis l'ensemble des pesticides de synthèse sur l'ensemble des aires d'alimentation de captages d'eau.
Cette règle, qui fera l'objet de débats et d'un vote lors d'une prochaine réunion de la CLE du SAGE Vilaine, serait une première en France.
La sortie des pesticides de synthèse, un choix plus politique que technique
La mise en œuvre d'une règle sur l'interdiction d'usage des pesticides de synthèse doit être accompagnée d'outils accompagnant la transformation des pratiques agricoles. Cette transformation est inéluctable et la majorité des agriculteurs et agricultrices, conscients des multiples impacts sociétaux, environnementaux et sanitaires liés à l'usage des pesticides de synthèse, souhaitent s’y associer à la condition d'un accompagnement à la hauteur.
A la contrainte que suppose le renoncement à utiliser des pesticides pour certains agriculteurs et agricultrices, il est possible localement de construire des politiques publiques qui proposent des réponses qui ne seront pas seulement techniques, mais qui engageront une reconception en profondeur de notre système alimentaire.
Ces solutions existent : les Mesures Agro-Environnementales Climatiques, les Zones Soumises à Contrainte Environnementales, les Paiements pour Services Environnementaux, les Plans Alimentaires Territoriaux ou les Aménagements Fonciers Agricoles Forestiers et Environnementaux qui donnent plus de cohérence et la possibilité aux fermes d'allonger les rotations et de diversifier les assolements.
Un changement de système et un abandon des intrants chimiques peut représenter une réelle prise de risque pour celles et ceux qui doivent conduire ces transformations à l'échelle de leur ferme. D'autant plus que les principaux soutiens publics au système alimentaire (48 milliards d'euros par an selon une étude de la Fédération Française des Diabétiques, le Secours Catholique, les CIVAM et Solidarités Paysans Basic [10]) sont peu orientés vers un changement de pratiques agricoles.
Le contexte est également peu encourageant : revenus faibles, contrats de filières asymétriques et contraignants, offre de débouchés trop faible. Parce qu'il n’est pas acceptable qu'une telle démarche remette en cause l’équilibre économique d'une ferme, nous pensons qu'aux dispositifs mentionnés précédemment pourrait également s’ajouter la création d'un fonds d'indemnisation où serait mis à contribution l'ensemble des filières et des pouvoirs publics.
Ceci, afin d'assurer aux agriculteurs un soutien suffisant pour s'engager vers des pratiques vertueuses et massifier ainsi l'agroécologie sur nos territoires. Ces solutions doivent pleinement engager les filières amont et aval, notamment les entreprises de l'agroalimentaire et les acteurs de la grande distribution, trop souvent absents des négociations, que cela soit sur les questions de qualité de l'eau ou de la juste rémunération des agriculteurs.
Le futur règlement du SAGE ne s'intéresse pas seulement aux pesticides, mais également à d'autres pollutions diffuses (les pollutions liées aux rejets de stations d'épuration par exemple) et la préservation d'éléments du paysage qui concourent à préserver la qualité de l'eau, comme les zones humides, des milieux naturels qui doivent aujourd'hui être véritablement sanctuarisées et restaurés, tout comme le bocage.
Les épisodes récents d'inondations sur le bassin versant de la Vilaine nous ont montré combien ces éléments sont précieux pour mieux réguler ces phénomènes climatiques extrêmes et assurer une bonne épuration naturelle de l'eau. De la même manière et afin de préserver nos capacités futures en matière d'approvisionnement en eau, nous devons limiter le recours au stockage de l'eau et accompagner la sobriété des usages, y compris dans nos choix en matière de production agricole.
Le parlement de l'eau que constitue la CLE du SAGE Vilaine permet d'instaurer un dialogue et d'instituer des rapports de force dans un cadre démocratique, loin d'enfermer le débat dans des dialogues de sourds entre agriculteurs, riverains, militants associatifs, élu.es. Ce dialogue, aujourd'hui éclairé par des faits scientifiques et dans une perspective de long terme et de l’intérêt général, doit désormais conduire à prendre des mesures concrètes pour soustraire nos captages d'eau du danger que font peser ces polluants. Et c'est parce que c'est une responsabilité collective que nous devons mobiliser des moyens et des outils pour accompagner celles et ceux qui s'engagent déjà, comme les agriculteurs biologiques ou qui s'engageront demain vers une réduction de l'usage des pesticides de synthèse, en commençant par les herbicides.
Le travail amorcé dans le cadre de la révision du SAGE de la Vilaine, montre qu'au côté des nécessaires mobilisation citoyenne et associative, la voie politique n'est ni à sens unique, ni une voie sans issue pour celles et ceux qui défendent de nouveaux rapports au Vivant.
Ludovic Brossard, technicien agricole, élu Ville de Rennes délégué à l'alimentation durable, Vice-président de la collectivité Eau du bassin rennais, membre de la Commission Locale de l'Eau du SAGE Vilaine
La nécessité de préserver nos aires d'alimentation de captage est d'ailleurs reprise par la proposition de loi « protéger durablement la qualité de l’eau potable » présentée par le Député de Loire-Atlantique Jean-Claude Raux et appuyée récemment par une tribune transpartisane de 150 élu.es de Loire-Atlantique[11].
Des élu.es locaux de différentes sensibilités politiques, issu.es de l'ensemble du territoire du bassin versant de la Vilaine, des chercheurs[12] et des médecins investis sur les questions d'impacts environnementaux des pesticides de synthèse, soutiennent une tribune qui défend la sortie des pesticides de synthèse sur les aires d'alimentation de captage.
C'est aussi ce que défendent les associations comme Eau et rivières de Bretagne, la Fédération des pécheurs ou les groupements d'agriculteurs biologiques qui appellent à une mobilisation à Redon le 22 février prochain : https://www.eau-et-rivieres.org/redon-rassemblement-dans-leau-des-poissons-pas-des-poisons
[1] https://fne.asso.fr/communique-presse/regression-des-zones-humides-fne-saisit-le-conseil-d-etat
[2] https://www.francebleu.fr/infos/environnement/bassines-agricoles-jugees-illegales-les-reactions-dans-les-deux-sevres-6032503
[3] En Bretagne, 99% des eaux brutes sont contaminés par les pesticides avec une omniprésence des herbicides et des métabolites, Observatoire de l'Environnement en Bretagne https://bretagne-environnement.fr/tableau-de-bord/pesticides-dans-les-cours-deau-bretons-analyse-de-levolution-annuelle-depuis-1995
[4] Observatoire de l'Environnement en Bretagne https://bretagne-environnement.fr/article/secheresses-en-bretagne-vulnerabilites-et-changement-climatique
[5] Rapport interministériel de l’agriculture, de la santé et de la transition écologique, juin 2024
[6] Directive 2000/60/CE du parlement européen et du conseil du 23 octobre 2000, dite « Directive Cadre sur l’Eau » ou « DCE »
[7] Réf. : « Analyse du risque environnemental des pesticides en Bretagne », par Elodie Bardon (OEB), en collaboration avec Yves-Marie Héno (DREAL) et Thibault Vigneron (AFB), mise à jour : 23 novembre 2020,
https://bretagne-environnement.fr/article/ecotoxicite-pesticides-bretagne.
[8] https://presse.inserm.fr/publication-de-lexpertise-collective-inserm-pesticides-et-effets-sur-la-sante-nouvelles-donnees/43303/
[9] https://presse.inserm.fr/une-etude-de-linserm-sinteresse-au-lien-entre-le-risque-de-leucemie-pediatrique-et-le-fait-dhabiter-a-proximite-de-vignes/67576/?mc_cid=5dfabc2426&mc_eid=75583e586c
[10] https://www.federationdesdiabetiques.org/federation/actualites/publication-de-letude-linjuste-prix-de-notre-alimentation
[11] En Loire-Atlantique, 150 élus de tous bords politiques appellent à protéger l’eau potable des pesticides Le Monde, février 2025 https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/02/06/en-loire-atlantique-un-appel-transpartisan-des-elus-pour-proteger-l-eau-potable-des-pesticides_6534980_3244.html
[12] Cécile Chevrier, Epidémiologiste, directrice de recherche Inserm à l'Irset (Institut de recherche en santé, environnement et travail), Cécile Le Lann, Biologiste, Maître de Conférences au CNRS, Laboratoire ECOBIO_ UMR 6553 UR-CNRS de l'Université de Rennes, Pierre-Michel Périnaud, Docteur, Président de l'association "Alerte des Médecins sur les Pesticides", Florence Habets, Hydroclimatologue, directrice de recherche au CNRS et professeure attachée à l'ENS, Charline Warembourg, Epidémiologiste, Inserm, Luc Aquilina, Hydrogéologue, professeur titulaire de la Chaire Eaux et territoires de la fondation de l'université de Rennes, laboratoire de Géosciences de l’Observatoire des sciences de l’université de Rennes (Osur), Chantal Gascuel, Agronome, Directrice de recherche à l'INRAE / UMR SAS, Fariborz Livardjani, toxicologue, Université de Strasbourg…