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Billet de blog 30 janvier 2024

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Une agriculture du vivant pour des territoires vivants

Le temps n'est plus à s'interroger ou reculer face aux défis climatiques, au dépassement continue des limites planétaires, au déclin de la biodiversité. Il n'est plus de temps de reporter à demain le nécessaire débat autour de notre alimentation. Le moment que nous traversons est décisif pour construire des solutions à la hauteur du défi posé par un système alimentaire qui marche sur la tête.

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Depuis trop longtemps, notre société et singulièrement celles et ceux qui nous nourrissent se retrouvent pris dans des injonctions contradictoires, avec comme point d'orgue, l'injustice que constitue la faiblesse de rémunération des agriculteurs et agricultrices quand dans le même temps nous attendons de ces acteurs une transformation profonde de leurs pratiques.

Notre système alimentaire dysfonctionne, l'agriculture, tout à la fois victime des catastrophes écologiques et humaines est aussi, par certaines pratiques agricoles, un accélérateur des bouleversements en cours. Si tout le monde se désole de l'effondrement de 80% des populations d'insectes en 30 ans et la disparition de 36 % des oiseaux communs spécialistes des milieux agricoles entre 1989 et 2021, dû essentiellement à l'usage des pesticides de synthèse, où sont les politiques qui permettent d'en réduire l'usage de façon radicale? Si la précarité alimentaire touche désormais près de 11 millions de français dans un contexte où l'inflation alimentaire a progressé de près de 12% en 2023, où sont les politiques qui permettent de réduire le nombre de personne qui ont recours à l'aide alimentaire ou qui souffrent de problèmes de santé liés à une mauvaise alimentation ?

Ces constats sont les deux faces d'un même problème, l'absence de politique publique à la hauteur de la nécessaire transformation écologique et sociale de notre système alimentaire.

Il nous faut d'abord généraliser l'agroécologie et en finir avec le discours et les politiques qui laissent penser que des modèles peuvent coexister. Cette antienne est dépassée et dangereuse, il suffit de regarder les conséquences du développement de l'agro-industrie sur la qualité de l'eau en Bretagne ou l'accaparement du foncier, conséquences de politiques qui ont laissé prospérer des acteurs et des intérêts privés à rebours des enjeux environnementaux et d'une agriculture de proximité, ancrée sur le territoire. Pour répondre à la nécessité de maintenir de nombreuses fermes sur nos territoires, préoccupation au carrefour de multiples enjeux tels que le renouvellement des générations ou l’accès au foncier, les pouvoirs publics doivent prioriser leur soutien vers une agriculture qui conjugue :

  • Séquestration du carbone dans le sol (cela passe par le maintien d'un élevage herbager autonome et économe en intrant),
  • Préservation et le renouvellement des milieux naturels comme les haies ou les zones humides,
  • Maintien de la capacité de rétention d'eau dans les sols,
  • Diversification des semences et recours aux variétés rustiques,
  • Absence d'usage de pesticides de synthèse et d'engrais minéraux,

Ensuite, organiser démocratiquement la gouvernance des politiques alimentaires sur nos territoires. Combien d'agriculteur.rice.s demain? Quelles productions privilégier ? Dans quelles conditions permettre à tous et toutes de bénéficier d'un accès digne à une alimentation choisie produite dans des conditions socialement, économiquement et écologiquement durable ? L'alimentation mérite un débat qui implique l'ensemble des citoyen.ne.s, agriculteur.rice.s et l'ensemble du système alimentaire.

Ce débat doit avoir lieu sur nos territoires, afin d'offrir aussi l'opportunité d'un questionnement profond sur le rapport que nos sociétés entretiennent avec l'alimentation et le Vivant. Cela doit aussi passer par la reprise en main d'instruments qui aujourd'hui amplifient les phénomènes de concentration (à ce jour, ⅔ des surfaces libérées partent à l’agrandissement notamment des exploitations voisines, symptôme d'une régulation insuffisante de l’accès au foncier) et de financiarisation des terres.

À ce titre les Chambres d'Agricultures, majoritairement  dominées par les syndicats FNSEA et JA, doivent introduire davantage de proportionnelle dans leur mode de scrutin tout en garantissant aux syndicats des financements publics cohérents. Elles doivent également être au service d'un projet de territoire, construit avec les collectivités, associations et citoyens, en s'appuyant sur les orientations des Plans Alimentaires Territoriaux.

Enfin nous avons besoin d'Europe et d'une politique agricole commune qui réaffirme l'ambition d'une souveraineté alimentaire telle qu’adoptée par les Nations Unies, qui est “le droit des peuples de définir leurs systèmes alimentaires et agricoles et le droit à une alimentation saine et culturellement appropriée produite avec des méthodes écologiques et durables respectueuses des droits de l’homme”. 

L'Europe doit donner la priorité à la production alimentaire destinée aux marchés nationaux et locaux, basée sur des systèmes de production diversifiés et agroécologiques, par exemple en proposant une exception alimentaire, qui s'appuierait sur un règlement autorisant la valorisation des productions locales dans le cadre de la commande publique (une proposition relayée notamment par France urbaine, les réseaux Agores, Eating City…).

Une telle disposition ferait écho aux Contrats Alimentaires Territoriaux, qui, à l'échelle des territoires feraient des Plans Alimentaires Territoriaux de véritables outils créateurs d’obligations réciproques entre tous les maillons de la chaîne alimentaire: acteurs locaux, publics et privés, institutionnels, citoyens et économiques (voir la proposition de loi relative au renforcement de la planification alimentaire territoriale et à la résilience des systèmes alimentaires territoriaux– Bodiguel L., Bréger T. (2023), Atlass2). 

Assurer aux agriculteurs et aux agricultrices des prix justes et rémunérateurs nécessite de déconstruire les relations asymétriques entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs des produits agricoles. La loi Egalim, qui était censée aboutir à plus d’équité entre les acteurs de ce secteur est en ce sens largement insuffisante.  La priorité doit être la construction de mécanismes européens de régulation des marchés (stocks publics, prix garantis, tunnels de prix…) et la fin des accords de libre échange qui doivent être remplacés par des accords de coopération bilatéraux.

En l'absence de régulation, l'économie de marché ne génèrera jamais de concurrence loyale. Le modèle hyper-productiviste qui prospère actuellement au sein d'un marché alimentaire dérégulé permet surtout de conforter des rentes de situations au profit d'acteurs qui aujourd'hui dominent le système agricole. Pour preuve, le marché du lait: une étude réalisée par la Fondation pour la Nature et l'Homme montre qu'en 2022 (comparé à 2001), les éleveurs ont perçu 4% de moins sur la vente d’un litre de lait demi-écrémé, au profit de la grande distribution (+188%) et de l’industrie agro-alimentaire (+64%).

Cette captation de la valeur ajoutée par des firmes et les GMS, rend inopérant toute politique de transformation écologique des pratiques agricoles. Or, s'il est un scandale aussi grand que la paupérisation des agriculteur.rice.s, c'est d'observer que ce sont encore les contribuables qui doivent payer les coûts sanitaires et environnementaux d'un système qui n'en finie pas de sombrer.

S'il appartient désormais au citoyen de soutenir les revendications autour d'une plus juste rémunération des agriculteur.rice.s et de mettre en cohérence, pour celles et ceux qui le peuvent, ses propres actes d'achat, il appartient surtout au pouvoir public de mener en profondeur la transformation d'un système, en faveur d'une agriculture du vivant et d'une gouvernance démocratique de l'agriculture et de l'alimentation.

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