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Billet de blog 31 mars 2020

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Nos jours d'après: grande distribution, la faim de l'abondance ?

Grande distribution, la faim de l'abondance ?

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Faire nos courses en grande surface représente une des rares occasions de rompre l’isolement du confinement. Le contexte, pour le moins anxiogène, rend ces lieux de consommation alimentaire plus que jamais indispensables et les personnes qui y travaillent (ces travailleurs du « dernier kilomètre »), comme les caissiers ou caissières, un maillon essentiel de la chaîne alimentaire. Ces dernier.es étant, il faut le rappeler, trop peu protégé.es du risque sanitaire.  

Aujourd’hui nécessaires, ces lieux de consommation le seront-ils demain, quand nos sociétés devront inciter à consommer moins et mieux et préparer une trajectoire compatible avec la neutralité carbone en 2050 ? La grande distribution s’adaptera-t-elle, alors que l’on constate que cette consommation de masse, sous le vernis de l’abondance semble retarder plus que jamais le basculement vers des modes de consommation plus durable ?  

Nous avons fait le choix, dans les années 60 et 70, au nom du pouvoir d’achat, de privilégier la concentration de l’offre alimentaire en laissant de grandes surfaces commerciales s’installer (et leurs infrastructures routères), le plus souvent en périphérie des villes, grignotant par la même occasion toujours un peu plus de foncier. La distribution de masse a ainsi mis à la disposition d’un nombre croissant de Français des objets de consommation de plus en plus nombreux et diversifiés. En se développant autour du triptyque « marge réduite, prix bas, gros volume », la grande distribution a favorisé une standardisation des denrées alimentaires dont on retrouve trace jusque dans le faible choix variétal des semences. Développement qui s’est accompagné par une concentration des moyens de transformation et de distribution, via de gigantesque plateforme de logistique.

La grande distribution est adaptée à une consommation de masse indifférenciée dont elle a favorisé l’épanouissement. Aujourd’hui, pas son organisation, cette formule peine à s’adapter aux évolutions démographiques, sociales et culturelle, comme la demande de produits locaux ou la recherche d’un juste prix pour les agriculteur.rices. Exemple parmi d’autres, dans une étude publiée le 22 août 2019, l’association de consommateurs UFC-Que Choisir présentait les sur-marges appliquées par les enseignes de la grande distribution aux produits issus de l’agriculture biologique, démontrant le manque de transparence d’un système qui a fait le pari de l’abondance plutôt que du sens.

Le 24 mars 2020, Bruno Le Maire, Ministre de l’économie, pour répondre à l’interdiction des marchés de plein air, appelait la grande distribution à privilégier les produits agricoles français. Cette annonce révélait, au mieux une preuve de la méconnaissance totale du fonctionnement de la filière alimentaire, au pire, un cynisme incroyable.

Tout comme la majorité du e-commerce (est-il besoin de rappeler les impacts d’Amazon ?), la grande distribution, pour des raisons autant structurelles (la dépendance au centrale d’achat, l’actionnariat…) qu’en raison de l’ADN de son modèle économique (« marge réduite, prix bas, gros volume ») ne pourra jamais assimiler des produits de faible volume, non calibrés. Nous ne retrouverons jamais dans ses rayons les produits que d’ordinaires nous retrouvons sur les marchés de plein air ou des magasins de producteur.rices. Toutefois, elle a démontré qu’elle pouvait, pendant cette crise (et pourquoi pas après ?), privilégier les produits français lorsque ces produits, issus des filières de l’agro-industrie, refoulés par la fermeture des frontières ne trouvaient plus leur chemin vers les caddies des consommateurs du monde entier. 

Jean Tirolle, prix nobel d’économie en 2014 évoquait dans le journal Le Monde daté du 26 mars dernier « l’irrationalité collective » dont nous faisons preuve face à des défis comme celui du réchauffement climatique. Il semble inévitable d’y répondre en construisant des comportements plus coopératifs et altruistes. En matière d’alimentation par exemple, les intérêts des consommateur.rices et des producteur.rices ne peuvent que converger quand les uns demandent des produits de meilleurs qualités et les autres une plus juste rémunération. Les magasins coopératifs (BreizhiCoop sur Rennes), de producteurs (Brin d’herbe à Chantepie et Vezin le Coquet) ou les initiatives privés (Tigrains dans le quartier de Maurepas Les Gayeulles à Rennes) montrent que de ces considérations peuvent émerger des modèles économiques qui fonctionnent et donc, des alternatives à encourager. 

Développer les commerces de petites dimensions, plus souples dans leur organisation (moins d’intermédiaires) et qui permettront de proposer des produits frais et locaux ne sera possible que si l’on aide également à se structurer les filières locales qui pourront les approvisionner (groupements de producteur.rices, outils de transformation collectif,  plateformes de logistique ou marchés d'intérêts régionaux…). Indispensable également, d’accompagner la relocalisation et la réorientation de la production vers plus de durabilité (agriculture biologique, production végétale…). Enfin ce développement constituera autant d’occasions d’embauche, sur nos territoires, de travailleur.ses affecté.es hier à des taches au sein de la grande distribution. Cette dernière considération nous imposant d’accompagner ces reconversions par la formation et des plans de filières à la hauteur.

 Agir sur la distribution n’est donc qu’une étape de la nécessaire transition de nos systèmes alimentaires. Une étape également pour construire des territoires résilients face aux désagréments à venir. En pleine période de crise sanitaire et alors que légitimement, l’attention est portée vers la sécurité de nos concitoyens, prenons toutefois le temps de nous interroger sur l’autonomie alimentaire de nos territoires. C’est en tout cas une réflexion indispensable qu’il nous faudra mener pour les jours d’après.

A lire ici: http://eccill.over-blog.fr/2020/03/nos-jours-d-apres.html

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