Je poussais la poussette ( quand vous tirez une poussette elle s’appelle toujours une poussette, pas logique ) dans le carrefour et venais de m’engager sur le passage piétonnier qu’une silhouette verte lumineuse en hauteur accrochée au poteau désignait comme accessible aux piétons, quand au même moment venant furieusement de la droite ( tout ce qui vient de la droite en ce moment est furieux) un bus rempli de voyageurs fatigués força le passage , junior, la poussette, doudou et moi continuâmes notre marche, le feu était vert pour nous, dans la féroce ville mugit le féroce bus, il accéléra , je tentai un pas, le bus écrasa l’asphalte dans un grand rugissement , je reculai tirant la poussette - que nous appellerons tirette- vers moi, le bus gagna la bataille, junior babillait insensible à ce chambardement, je hurlai C’EST VERT !!! au moment où les roues du bus ratatinèrent doudou que junior avait lâché dans l’embardée, moi dans le mouvement inouï que je fis pour éviter le ratatinement je perdis mes lunettes, je jetai l’éponge, - je me promène toujours à bordeaux avec une éponge ça peut toujours servir - le cœur battant à exploser, junior hurla car doudou avait triste mine je le ramassai, et repoussai la tirette- que nous appellerons poussette de nouveau- je ne pus retrouver mes lunettes car pour les retrouver j’aurais eu besoin de lunettes et je ne voulais pas rester sur ce passage pas franchement piétonnier, c’était un passage busier, et son conducteur une triple buse qui me regarda d’un air amusé en nous abandonnant, mon cœur battait à tout cœur, la pompe faillit se rompre
Cette fois je m’arqueboutoi ( les anglais hors de France) pour que les roulettes de la poussette ( appelée du coup, arqueboutette , vocable utilisé seulement sur les très hauts trottoirs de bordeaux ) escaladassent correctement la montagne bitumée sur laquelle je devais continuer mon chemin à l’abri de la folie de tout bus - que nous appellerons jupette, c’était un bus femelle
Un bruit m’interpella, Cling Cling, je relevai mes yeux délunettés et assez hagards, un mur mouvant de publicités me surplombait, sur le pignon de la laverie, et le bruit que j’entendais Cling Cling c’était quand l’image puzzle se défaisait, chaque partie longitudinale pivotait sur la droite et passé cette rotation cliquetante, Cling Cling donnait à voir une autre merveille appelant les foules à un consumérisme resplendissant, je restais plusieurs minutes, j’avais donné à junior une sucette - que nous appellerons sucette- il en oublia le doudou défait l’enfant a une mémoire médiocre quand il suce une sucette- que nous appellerons leurette quand elle est donnée à un enfant pour qu’il perde la mémoire immédiate - ce ballet visuel et auditif me fascinait et je ne pouvais plus décoller de ce trop tard , comment cela était-il réalisé ? je ne distinguai pas exactement les lettres et me demandai quels étaient ces produits pour lesquels ces lames faisaient Cling Cling, junior cria et me montra le bâton de sa leurette sucée, cela m’arracha à ma torpeur, je scotchai le doudou au bout du bâton de l’absence de leurette, junior le suçotta tranquillement , doudou ne sentait plus la fraise après l’accident , plutôt le vieux pneu - nous l’appellerons pneuette - mais qu’importe, une femme qui voulait entrer dans la laverie nous bouscula, la pneuette valdingua sur le balcon au-dessus de nous, puis fut violemment renvoyée par un individu que je ne pouvais pas bien voir, je remerciai le balcon, junior était assommé de chaleur et par pneuette dans son arqueboutette, temps de le coucher, je rentrai à la maison
Quelques trente minutes plus tard, junior dormant, je ressortis pour aller rejeter un oeil sur le ballet publicitaire, j’avais chaussé mes lunettes solaires noires de vue - nous les appellerons des Greta Garbettes- ainsi j’eus une vue contre-plongeante sur Balcon, figé sur son balcon, ses cheveux blancs acier lui dessinant une sorte de casque, et j’entrai dans la laverie pour me donner un genre et un peu d ‘hygiène, tout en sachant que quand il y a hygiène il n’y a pas de plaisir, mais mes vêtements et pneuette appelaient le propre de toutes leurs fibres, sploutchhh, pleuk, craac, blang, (arrivée bruyante de l’eau dans l’habitacle à lessive, effondrement du tas de lessive dans l’eau, chaise craquant sous les fesses d'un chat ronronnant, fermeture violente et appuyée du hublot)
Pendant que mes fringues clapotaient dans leur bain purificateur je tendis l’oreille - j’ai une petite oreille que nous appellerons oreillette- et crus discerner Cling Cling dans tout ce bruit niagaresque, je ressortis vite pour aller voir si mon imagination me faisait des tours de manège, Cling Cling , oui les demoiselles triangulaires et longilignes achevaient leur dernier tour sur elles –mêmes, danseuses d’aluminium peinturluré, je levai un œil sur le balcon de Balcon, sur le balcon voisin, une femme aux cheveux blancs qui gainaient sa tête lui faisant comme un casque - nous l’appellerons Casquette - gantée de rouge, elle appela Balcon, qui restait figé, je retournai épier ma lessive, tout se passait divinement bien mais …
Je crus remarquer dans l’amas de linge tourbillonnant comme un éclair vert, puis quelque chose d’un peu jaunâtre, pneuette ? à l’origine le doudou était une jolie cochonne rose, donc cela ne pouvait pas être doudou, mais alors ?... beurk, pas de doute, le chat tournicotait au milieu de mes vêtements dans la machine à laver, je courus vomir dans le caniveau , Casquette m’interpella méchamment « vous ne pouvez pas aller vomir ailleurs ? « je borborigmai et rentrai dans la laverie, comment sortir ce connard de chat de la machine ? splaastch que faisait la belle eau, bang que faisait la tête dans le hublot, beurk que faisaient mes tripiaux, un peu de tendresse bordel Cling Cling vite ! un homme entra dans la laverie , je tiens à dire que contrairement à ce que l’on croit, si l’on lave on ne rit pas forcément, le mot est malchoisi, je me postai immédiatement devant ma machine pour lui cacher l’affligeant spectacle du chat de Balconnette définitivement noyé, le chat pas Balconnette, il me demanda soudain comment on mettait en route une lessive, je le regardai bovinement à travers mes Greta Garbettes, et articulai « les-si-ve ? », il était aussi patient que fort joli garçon, il attendit mes explications « vous choisissez votre machine repérez le numéro de votre machine 6, 10, 12 , 14 kilos, vous enfournez… votre linge vous tapez … ( je suffoquai d’extase, chaque mot glissait entre mes lèvres comme un chamallow, il s'appellait peut-être mallow le chat mort, bizarre ce qu'on peut penser quand on tombe amoureux) vous joignez la petite dose de lessive - nous l’appellerons lessivette- l’adoucissant … si vous en voulez, là oui là… un peu de douceur …ça sent bon non , tenez je vous aide » je lui touchai le dos de la main, la guidant vers les boutons, une bouffée rouge de plaisir au contact de sa peau m’embrasa, je l’aimai c’était l’homme de ma vie youpi, « arrêtez de me toucher comme ça j’aime pas les filles ! » et il me repoussa le drôlet il me repoussa le bras pour être précise, en tombant je fis tomber le verre de produit adoucisseur, il voulut s’asseoir – pas le verre, l’homme de ma vie- et dérapa sur la flaquette bleue , s’étala , dans sa chute il écrasa son téléphone portable la batterie s’éjecta violemment et alla se nicher dans le distributeur d’adoucisseur cela dérégla l’agencement de la machine qui se mit à cracher des litres de produit bleu, il se cassa le cou, et devint bleu, enfin je conclus ça car il ne bougea plus et ses pupilles se dilatèrent, à terre, au même moment je jetai un coup d’œil sur ma machine 6 kilos qui avait fini son cycle, je vis l’œil noyé et vert et fixe du chat de la voisine qui était collé sur le hublot, j’hurlai, courus sur le trottoir
Balconnette de son balcon à elle, défaisait lentement un gant rouge et invectivai Balcon, « fais chauffer ton moteur Vroum Vroum, j’arrive » , il s’appelle pas Balcon ? pensé-je , puis m’apercevant elle m’interrogea « vous n’avez pas vu mon chat ? », je ne répondis pas, je devais téléphoner au plus vite , chercher du secours, trouver un téléphone, je retournai dans la laverie je riais de moins en moins, c’est bien connu sur les terres volcaniques, la lave pleure, en essayant de ne pas regarder ni les yeux du chat ni les yeux de l’homme de ma vie, merde la batterie était noyée de bleu sous le ciel grec un enfant deux enfants trois enfants jouaient gaiement, tout en dansant le sirtaki je plongeai sur le trottoir, une cabine, où ? ? ah sauvée, une cabine rouge et anglaise, qui rappelait l’abondante occupation anglaise aux temps anciens dans cette belle aquitaine –oui à qui était-elle Taine pour finir ?- juste au pied du panneau publicitaire, je préparai mon argent et pénétrai à l’intérieur, l’entrée était très mais alors vraiment très étroite je ressemblai à Alice au pays des merveilles quand elle change de taille ma parole j’avais grossi ? je poussai, tirai, m’arqueboutoi, enlevai mes Greta Garbettes pour y voir clair, dieu que j’étais à l’étroit, je poussai encore swiiiiziiiipppp, voilà j’y étais , il y faisait noir comme dans la conscience d'un Guéant, j’extirpai tant bien que mal une première pièce et la poussai dans ce qui me sembla être une fente, je décrochai le combiné, pas de tonalité, je remis une pièce, et je sentis un objet froid et cylindrique se coller à moi dans mon dos, puis une onde glacée me coula sur la peau , toujours personne au bout du fil, je remis une pièce, encore cette sensation de mouillé , de gluant dans mon dos, personne rien mais alors cette sensation ? une voix hargneuse « saloperie de machine ! rends-moi mes sous!!! « quelqu’un donna à l’extérieur des coups violents sur la cabine « oh ça va pas la tête « que j’hurlai, mes tympans explosés par ses coups qui cessèrent instantanément, j’entendis une cavalcade, le lâche se sauvait sans m’aider, "mayday mayday !" je criai, qui viendra m'aider, une suave voix susurra à mon oreille « Mayday est une expression utilisée internationalement dans les communications radio-téléphoniques pour signaler qu'un avion ou qu'un bateau est en détresse, son usage est prescrit par la Conférence de Washington de 1927 et applicable depuis le 1er janvier 1929. Le mot est une déformation volontaire anglophone de la phrase française : venez m'aider ! Lors d'une détresse, il doit être répété3 fois », je répétai " mayday" une troisième fois, la voix reprit « vous ne devez pas utiliser ce terme quand vous n’êtes ni dans un bateau ni dans un avion, fermez-la », je ne voulai pas la fermer mais l’ouvrir , comment sortir de cette cabine, je m’arquais, tirais, poussais, ouf dehors, j’avais cru mourir coincée dans cette cabine, j'étais rincée, lessivée, j’ajustai mes lunettes et lus « distributeur de boissons gazeuses » sur le fronton
Au même instant Balconnette nue comme un ver, enfourchait Balcon sur le balcon d’icelui, Balcon ulula et tenta de la repousser , « allez, vas-y ! » l’encouragea-t-elle, le balcon frémit, un peu de poussière s’échappa d’un montant, le balcon se mit à trembler sous les coups de butoir de Balcon enfin activé , réveillé, joyeux, lubrique , » arrête Balcon, fais pas l’con ! « « faudrait savoir ce que tu veux !! tiens et tiens et retiens ! « qu’il glapissait , « nonnnnnnnnn !!! ça va péter !!» « pète pétasse ça m’excite ! !! » , je déteste entendre des gens beugler de plaisir charnel quand je viens de perdre l’homme de ma vie aussi beuglé-je de mon entrée « vous pouvez pas aller baiser ailleurs ? » mes mots moururent dans le déluge de pierres de sable de poussières de géraniums de gants rouges et de caleçons saumon de cheveux blancs de casseroles de cage à serins, le balcon s’écroula dans un fracas assourdissant, éclaboussant ma cabine de gravats, je me blottis comme je pus dans l’entrée ne pouvant éviter l’ultime dégoulis visqueux d’une nouvelle bouteille de soda dans mon cou, Cling Cling , la laverie, c’était de moins en moins désopilant , s’aplatit sous la masse des pierres bordelaises aplatissant l’homme de ma vie, les canalisations d’eau explosèrent en un déluge d’eau et de lessive, un fleuve moussu d’adoucissant envahit le trottoir et ma cabine à sodas, je risquai un ultime oeil vers le panneau et lus « pour vos travaux de bricolage, une seule adresse , 16 « je ne pus finir ma lecture car une à une les plaques se détachèrent , la lame « trav » me perfora le crâne, la lame « jou » me transperça la joue, je n’arrivais pas à me souvenir si j’avais une petite culotte propre ma mère me disait qu’il faut toujours avoir une petite culotte propre pour aller à l’hôpital, comme l’eau montait dans ma cabine je pensais que ma petite culotte allait être propre pas si mal dans le fonds, une tonne de Cling Cling rebondit sur le trottoir, dégringola les pavés et s’étala sur le passage busier au moment où une limousine Bling Bling abordait le virage, sur la bande blanche du passage limousinier, une femme arqueboutée sur une arqueboutette poussait un marmot qui jouait avec un doudou fuschia, LE FEU EST VERT !!!! furent mes derniers mots, Bling Bling crissa et tenta de freiner, lunettes, doudou, chat, éponge, bus, pneus, balcon, effondrement, l’homme de ma vie, soda rouge sang, explosion, cabine téléphonique, lessive, gant rouge, flots bleus et doux, machines en furie, glou glou ..
Cling Cling ce furent les derniers sons que j’entendis avant de sombrer