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Billet de blog 6 novembre 2015

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Avec douceur, dans le sens du poil

Le sentier est morose. La pluie dégoutte à goutte entre les rochers plats et terreux. Parfois, le cri d’un faucon en chasse le sort de sa torpeur. Les touristes sont partis, dans les entrailles de leurs métros, dans leurs agitations qu’ils croient essentielles. Finis les bataillons de marcheurs, sacs à dos, qui lacèrent ses tracés, délassent leurs pieds et relacent leurs lacets.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le sentier est morose. La pluie dégoutte à goutte entre les rochers plats et terreux. Parfois, le cri d’un faucon en chasse le sort de sa torpeur. Les touristes sont partis, dans les entrailles de leurs métros, dans leurs agitations qu’ils croient essentielles. Finis les bataillons de marcheurs, sacs à dos, qui lacèrent ses tracés, délassent leurs pieds et relacent leurs lacets. L’hiver s’installe doucettement.  Bientôt, la neige va voleter sur toutes les feuilles rousses qui lui avaient fait une couverture mordorée. Les renards et les lièvres vont jouer à cache-cache. Résonnera souvent, dans la nuit froide, le cri d’un animal attrapé et mangé par un plus gros. C’est la loi.

Le sentier est douloureux. Depuis la vogue et les vagues des randonneurs, les sentiers ne connaissent aucun répit. Ils sont écrasés, foulés, arpentés, meurtris par les cailloux qui s’enfoncent en leurs flancs sous le poids des marcheurs. Battus. 

Pourquoi un humain qui marche hors des sentiers battus, viendrait le battre, lui, le sentier ? Un humain, hors des sentiers battus, bat des sentiers hors des sentiers battus. Il bat deux fois, il rebat. Il rabat la joie du sentier débattu. Les sentiers hors des sentiers battus sont battus à leur tour. Qui pourra alors savoir si un sentier est battu ou hors du battu ? 

Le sentier veut être aimé. Il voudrait que l’humain lui apporte des offrandes, lui parle avant de le battre de ses semelles. Lui rende hommage. Marche délicatement sur lui pour ne pas le froisser. Le parcoure comme il ouvrirait les pages d’un livre. Avec émerveillement et gratitude. 

C’est que ce chemin est sacré. Il est la trace de tout animal qui l’a tracé, il est le souvenir de tout humain qui l’a défriché, il est la déliquescence de toute plante qui a poussé en lui, il est l’empreinte de tout caillou qui l’a pavé, il est l’architecture des toutes les racines qui l’ont traversé, il est la mémoire des torrents qui l’ont façonné, entre éboulis et creusements. Il est le formidable soubresaut des forces telluriques qui l’ont craqué juste comme il faut. Il a en lui la lumière des derniers volcans qui l’ont crachoté. Il est le souffle des vents d'autan qui l'ont chahuté. 

Le sentier veut être caressé. Comme un espoir, comme une idée, comme une bouteille, comme une raie, comme les cordes d’un violon qui pleure dans la nuit. Caressé comme un rêve. Caressé comme un enfant qui vient de pousser son premier cri. Caressé avec douceur et constance.

Le sentier s’étire. Son dos se repose. Il s’allonge, il se love dans son lit de pierres. Le sentier rêve. Il rêve de danses bleues de libellules, d’elfes argentés aux pieds si légers, de soleil qui réchauffe ses rochers émoussés. Il se sent bien. Il s’illumine et se calme, dame Lune le veille.

Il est un sentier parmi des milliards de sentiers. Un sentier qui a des milliards d’années. 

Chaque humain a un sentier, chaque humain a son sentier. Mais le sait-il l’humain ? Sait-il qu’un sentier l’attend, quelque part ? 

Quand tu trouveras ton sentier, caresse-le avec douceur, dans le sens du poil.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.