La femme casse les briques assise sur un trottoir,
La femme au sari rouge casse les briques,
Sous le soleil brûlant,
La femme couleur de bronze casse les briques.
A vingt et un ans, elle en paraît plus de quarante,
Et sept enfants l’attendent là-bas, à la maison.
La femme casse les briques toute la journée,
En échange de quoi elle recevra dix takas, pas un de plus.
Dix takas ne suffisent pas à la nourrir, ni elle ni les sept autres.
Pourtant, jour après jour, la femme casse les briques.
L’homme assis près d’elle casse aussi les briques,
Abrité sous une ombrelle.
Il touche vingt takas par jour,
Vingt par jour parce que c’est un homme.
La femme a un rêve, elle rêve d’avoir une ombrelle.
Un autre de ses rêves serait, par un beau matin,
De devenir un homme.
Vingt pour les hommes, le double pour les hommes.
Elle attend que son rêve se réalise, mais rien ne la fait
Devenir un homme,
Rien ne lui fait avoir une ombrelle,
Pas même une ombrelle déglinguée.
On construit de nouvelles routes et d’immenses tours avec les briques qu’elle a cassées, mais le toit de sa maison s’est envolé avec la tempête l’an dernier, depuis l’eau goutte à travers une tenture, elle meurt d’envoie d’acheter un toit en tôle.
Alors elle hurle dans tout le voisinage,
Les gens s’esclaffent, oh la la, disent qu’il lui faudrait
De l’huile pour les cheveux, de la poudre pour le visage.
Les sept enfants doivent être nourris,
La peau de la femme s’assombrit de jour en jour,
Ses doigts deviennent durs comme des briques,
La femme elle-même devient une brique.
Plus dur que les briques, le marteau peut casser une brique mais ne peut pas casser la femme.
Rien, ni la chaleur, ni le ventre vide, ni le regret de ne pas voir un toit en tôle,
Rien ne peut la briser.
Taslima Nasreen
« Femmes, poèmes d’amour et de combat, 2003 «
Taslima Nasreen, née en 1962, au Bengladesh. Nasreen a tout d'abord été médecin. A 24 ans, elle publie son premier recueil de poésie et s'emploie dès lors à mettre à nu les racines de l'oppression des femmes. Avec ténacité, elle dénonce en même temps l'escalade de la violence qui frappe son pays à partir de 1988. Elle dénonce dans ses œuvres la condition des femmes au Bengladesh. Mais ses prises de positions provoquent la colère des fondamentalistes religieux qui lancent contre elle un arrêt de mort en 1993. Lorsqu'en 1994 elle déclare dans une interview que le Coran est dépassé, les autorités lancent un mandat d'arrêt contre elle. Les fondamentalistes brûlent ses livres en public et émettent deux autres fatwas à son encontre. Elle sera expulsée du pays en août 1994 et se réfugie en Suède. Elle entame alors une longue errance en Occident, exil qui se prolonge aujourd'hui encore. Donnant des conférences dans le monde entier, elle continue de faire de son écriture une arme de lutte.
Ô femmes qui cassez des briques
pour des clopinettes
sous le joug des hommes
Ô femmes solides
aux ongles brisés
aux enfants à allaiter
Votre coeur saigne
d'une poussière couleur brique
Ô femmes, ô mes sœurs
je vous fais fête