J’ai tenté un jour une grève de la faim. Par amour. Seule façon d’approcher le beau Max qui faisait chat-virer mon cœur. C’était un sacré matou, le Max. Quand il prenait son porte-voix pour nous dire que les ouvriers … que la grève .. que les usines .. que l’occupation … que les étudiants diants diants devaient se mélanger avec les ouvriers iers iers .. que la révolution allait triompher … le chœur des minettes maos ronronnait de plaisir et de désir. Puis, il a soudain disparu avec une prof de trente ans, canon et détestable. Depuis ce jour-là je hais les enseignantes. Je me suis jetée sur un paquet de biscuits dès que j’ai vu que le Max nous avait lâchés. Voilà comment le même jour amour et combat révolutionnaire ont sombré.
Toi, tu fais grève de la faim. Curieuse expression quand on y songe. Ta faim est sur la grève, ballotée entre deux vagues, à l’âme, qui a faim.
Il en faut du courage et du désespoir et de la colère pour se retirer en son corps et le laisser se vider. Lui enlever ses toxines, ses miasmes. Accoucher de soi-même, tremblant et nu.
Les toxines de notre système financier qui autorise une banque ou un patron ou une administration quelconque à laisser sur le carreau un être après l’avoir broyé et après lui avoir retiré jusqu’à la laine sur son dos, jusqu’à la peau, jusqu’à l’os sous la peau.
Les miasmes de l’indifférence.
Mais vous ne rentrez pas dans le cadre, désolée, il vous fallait 200 heures du travail, désolée, vous n’avez travaillé que 192 heures dans les trois mois précédent votre arrêt maladie, oui je sais, à rien oui c’est ça vous n’avez droit à rien, il vous faut contacter une assistance sociale, oui, au revoir, désolée
Hier, j’étais à la caisse d’épargne pour poser un chèque sur le compte de ma mère. Un papa avec une poussette. Dans la poussette, un enfant de deux ans environ. L’employée a fait lanterner le papa et nous, les autres clients, par conséquence pour s’en aller consulter , derrière une cloison, son ordinateur pour les cas lourds et son chef, ils sont revenus ensemble et le jeune cadre de banque sourire ultra-brighté a dit au papa Je suis désolé, vous comprenez, vous avez dépassé votre découvert de 1 400€ et tout s’est bloqué, mais là c’est régularisé avec vos rentrées d’argent, quelles rentrées d’argent ? il est à 11 heures du mat’ dans une banque , la mère est à la maison ai-je entendu le papa le dire au pitchoun, si ça se trouve, aucun ne bosse et ils vivent des minima sociaux , alors ultra-bright a dit Je peux vous augmenter le plafonds de votre découvert ou vous proposer un produit qui couvre votre dette il lui proposait une saloperie de crédit-revolving, à 47% d’intérêt avec un peu de chance, le père, dignement, a répondu Non non ça va être pire, je préfère faire sans, et il est parti, tu vas faire sans ? et comment que tu vas faire sans ? Il est passé devant le distributeur de billets, lui a jeté un coup d’œil et a poussé la poussette vers la sortie. Ca m’a cogné dans le cœur, j’aurais dû le rattraper et lui donner de l’argent, enfin l’argent de ma mère … Je sais ce que c’est que de ne pouvoir sortir le moindre centime d’un compte bancaire et de se demander comment tu vas acheter du pain et du lait pour nourrir ta marmaille. Avec tous les agios et frais divers que j’ai casqués, je pourrai racheter le yacht de Tapie.
Broyés. Nous sommes broyés. Pressurés. Ecrasés. Brûler les banques et les banquiers.
Système de merde. On bouffe de la merde. On vit comme des étrons que les nantis évitent sur les trottoirs. Ils ne veulent pas se salir, ni les chaussures, ni les voitures.
Tenir. Tu dois tenir, cher Carland. T’accrocher à des images mentales rassurantes. Qui te font avancer dans ta grève, heure après heure. J’espère que tu as des alliés et des amis près de toi, des soutiens sérieux. Tiens bon.
Cette danse de la fleur du lotus est pour toi. Bonne journée mon pote poète.