la maison est vide
elle est à la fois vide et pleine
pleine de souvenirs et des souffles des ancêtres qui y ont vécu
cette maison qui a abrité cinq générations est d’une merveilleuse beauté dans sa séduisante nudité
je ne l’avais jamais vue ainsi car je l’ai toujours connue meublée, bibelotée, parée
je vois pour la dernière fois les cheminées, les carrelages à la mosaïque compliquée, l’extravagante baignoire en béton
je caresse sensuellement la rampe de l’escalier en orme, quand j’étais petite je pouvais en sauter dix marches d’un coup, ma grand mère pensait à chaque fois que j’allais me rompre le cou
j’étreins mon cerisier je lui murmure tout mon amour
les arbres du joli-bois-joli pousseront sans moi
ce n’est plus ma maison
sois bienveillante avec tes nouveaux habitants
j’embrasse les briques tièdes de ton mur sous le soleil de mars
au revoir royaume chéri et édenté
je ferme ta grille marron rouillé bien sûr tu te coinces j’ai l’habitude
je n’ai plus tes clés
vis bien ta nouvelle vie avec les nouveaux venus
pour fêter l’événement je pars en baie de Somme voir quelques phoques assoupis sur un banc de sable
le soir tombe et le soleil m’offre un de ses flamboyants couchers de soleil
imparable beauté
je me sens d’une légèreté infinie
j’ai enfin coupé le cordon ombilical
j’ai seize ans j’ai dix ans je suis une enfant qui va naître et découvrir le monde
l’enfant attendu l’enfant espéré l’enfant à aimer
tout est de nouveau possible
je danse dans les rayons rouges du soleil
je danse je ris je souris
ô que j’aime cette vie
je n’ai jamais été aussi libre
je prends la route
elle est à moi je la taille je la croque je me l’embastille je me l’incruste dans le cœur et les jarrets
je suis prête à toutes les folies, les gourmandises, les excès, les éclats, tous les possibles
je cueillerai des soleils borgnes et t’en ferai un bouquet
je laisserai les coyotes m’arracher le foie
je caresserai des hommes sans foi ni loi
je planterai des arbres dans des pays à inventer
je donnerai des larmes à ceux qui ne savent plus pleurer
je crierai dans le désert la colère des femmes oubliées
j’ai des millions d’enfants à bercer
je te croiserai
ou pas
nul ne sait
veux-tu que je t’emmène avec moi dans cette minuscule épopée ?
veux-tu de mes mots qui te feront naviguer ?
es-tu prêt ? je vais bientôt toquer à ta porte et te colporter par le menu les menus riens que j’aurais glânés prépare la soupe le pain le lit tes mains tes onguents
je suis ta nomade
je prends la route et ne la rendrai jamais
( pour prendre la route, m'emplir les esgourdes de On The Road Again, chanson de 1968 du groupe Canned Heat, ils m’ont toujours donné des fourmillements et des impatiences dans les jambes, le chanteur a une voix incroyable )
là, un très chouette montage vidéo : http://vimeo.com/33854665