Mon couteau suisse et moi-même sommes en bisbille. Il n’en fait qu’à sa lame. Quand mon couteau suisse aura perdu ses lames, moi j’aurais perdu un peu de mon âme. Je pensais que lui et moi ce serait à la vie, à la mort mais voilà-ti-pasqu’il fait le mort. J’en ai versé quelques larmes. J’ai un couteau suisse car je suis suisse, et petit . Tous les suisses ont un couteau, suisse. Si vous ne me croyez pas, jetez discrètement un œil sur le renflement , près de la ceinture ou dans la poche du pantalon, de tout suisse. Là, dissimulé, oblong, important, simple ou sophistiqué, fin ou très épais, il y a un couteau. N’en concluez pas que tout renflement est un couteau. Il y a des renflements près de la ceinture ou dans les poches qui n’ont RIEN a voir avec un couteau. Il y a aussi des personnes non suisses qui possèdent un couteau suisse. Un Suédois,un Japonais, un Caucasien peuvent avoir un couteau suisse. A l’inverse, un suisse peut avoir un couteau non suisse. Là, pour moi, c’est un total mystère. Ces gars suisses qui préfèrent acheter un couteau fait dans un autre pays que le leur, s’appellent René en règle générale, ce sont des renégats. Ainsi si vous conversez avec un suisse, qu’il sort de sa poche renflée, ( sa poche a enflé plusieurs fois, on dit qu’elle est renflée ) un Laguiole ou un Pradel vous pouvez-lui dire sans craindre de vous tromper de prénom: » tu paies ton coup René ? ». Un Japonais en plus de son couteau suisse, peut avoir une centrale nucléaire. Pour l’entretenir, il utilise son couteau suisse. Il paraît que ça fonctionne très bien comme ça. Car le couteau suisse sert à tout et à n’importe quoi ( je ne sais toujours pas pourquoi les gens de petite taille portent des objets indéterminés dont ils ne savent rien,’ je porte quoi là ?’ disent-ils fébrilement , à cette fébrile question je n’ai aucune réponse et je m’en excuse). Lui et moi cheminons ensemble depuis plus de 20 ans , si c’est pas une belle histoire d’amour ça ! Je l’avais choisi avec l’argent de mon chômage, je veux dire la première fois que j’ai été chômeur, car mon père disait toujours : " il y a deux choses indispensables dans la vie d’un homme, sa bite et son couteau" . J’ai commencé par régler le problème du couteau. J’ai acheté le super modèle de la mort, avec scie, grande lame,moyenne lame, petite lame, très petite lame, cure-dents, pince à épiler, boussole, décapsuleur, taille-haies, cafetière électrique, alène ( mais on peut aussi coudre du coton). Il éclaire aussi , il fait lampe quand tu es saoul comme un cochon et que tu as perdu tes clés de maison quand tu rentres le soir car elles viennent juste de tomber dans l’herbe haute et que tu ne les retrouves pas et quand tu les as enfin tu cherches le trou de la serrure, il est devenu microscopique , eh bien il t’éclaire, et ça j’aime bien . Ce couteau est extra. Je l’adore. Mais. MAIS. Là, c’est la cata, je ne peux ouvrir que grande lame, petite lame, cure-dents, pince à épiler, scie.Tous les autres bidules sont bloqués DANS le couteau ! Je ne me suis pas démonté, j’ai forcé toutes les lames à se déplier. Ce faisant, je me suis enfoncé l ’alène dans le gras du pouce et je suis allé me faire recoudre à l’hôpital , plus une injection de vaccin anti-tétanique, bof ! je ne crains pas les piqûres, l’infirmière m’a demandé comment je m’étais fait ça, j’ai répondu que j’essayais de déplier les lames de mon couteau suisse, elle a fait : ‘’ah oui j’avais bien vu votre renflement ! mon père était suisse alors... », et elle m’a recousu avec une infinie douceur. Je me suis rappelé les paroles de mon père sur comment on devenait un homme, mais j’avais encore ce fichu couteau à redresser. J’ai réussi à redéplier moyenne lame et décapsuleur et j’ai posé le couteau dans de l’eau chaude et savonneuse, pour enlever toutes les impuretés logées dans chaque interstice. Quand il sera sec, le graisser ? Pour l’heure il a trempé environ 10 heures dans son bain et j’ai gratté et brossé dans tous les trous accessibles. Grande lame, décapsuleur, alène marchent du feu de dieu, mais hélas ! les autres fonctions sont toujours bloquées, curieusement la scie aussi. La mort dans lame, je suis allée sur le bon coin poser une annonce pour le vendre, avant j’avais vérifié son prix d’achat sur le site des couteaux suisses, un modèle similaire coûte plus de 100 euros. Si je considère que désormais je ne peux vendre que grande lame, décapsuleur et alène ( je vais jeter le cure-dents pour des raisons d’hygiène) qui s’ouvrent et se referment sans difficulté, j’ai 3 fonctions sur les 12 d’origine, 12 fonctions c’est plus de 100 euros, mais il reste 3 fonctions seulement et en comptant la vétusté, puis-je en tirer 3 ou 4 euros ? Mais qui voudra un couteau avec des lames dépliées car je ne peux les remettre à leur place , du coup bonjour le rangement dans la poche, la poche elle ne va pas être renflée mais hachée menu. J’ai eu la main lourde et j’ai forcé bien sûr sur tout ce qui dépassait pour que chaque machin retourne à sa place de machin DANS le couteau et je suis retourné à l’hôpital avec le gras de mon pouce en sang, la même infirmière m’a fait : « eh bien c’est encore vous ? ce satané couteau suisse ? », elle m’a recousu avec la même douceur, un sourire amusé flottait sur ses lèvres. Je ne sais pas ce qui m’a pris je lui ai demandé le prénom de son père , « René. Pourquoi ? » J’ai su que je devais maintenant arrêter de m’occuper de mon couteau et passer à la phase 2 de mon épanouissement personnel, comme mon père me l’avait dit, je n’avais que trop tardé. Pourrai-je un jour m’acheter un nouveau couteau suisse ? Je n’en suis pas sûr . Avec l’argent de mon dernier chômage, je ne pourrai acheter que grande lame et tire-bouchon.
Billet de blog 9 août 2011
Mon couteau suisse
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