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Billet de blog 19 janvier 2013

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Les six cent six cygnes et la bonne Femme des Neiges

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nichée dans le  vol de ces six cent six cygnes blancs venus du monde de l’autre côté du monde  Ce monde de derrière le rideau de cristaux givrés  que nul homme n’a jamais foulé   Moi princesse des glaces je m’abandonne à ces énormes oiseaux  qui m’ont emmenée au creux de leur duvet

Ils ont volé pendant peut-être des milliers d’années

Mais dans ce monde-là le temps ne se compte pas

Impavides lents fiers et gracieux

Ils glissent sur les courants du vent tout courant cul par dessus vent en froissant les nuages noirs gris ou blancs

Plumes plissées lissées gaufrées repassées

Ils survolent une lande figée dans sa gangue glacée

Ils n’ont eu aucun regard pour  la lune dont les  cratères ont misérablement fondu

Pour les châteaux délabrés et leurs tours et pont-levis écroulés

Les pierres enmoussées dans le gris des lichens

Les cathédrales ouvertes aux cris des corbeaux et  des âmes perdues

Suppliant qu’on leur rende ce  dieu qui n’existe plus

Aucun regard pour les tombes des guerriers disparus et leurs croix croisées décroisées

Géants gisants muets aux yeux creux tournés vers les étoiles dont l’éclat enfiévré n’est plus qu’un souvenir

Dont les larmes se sont évaporées dans le souffle final

Ils ne voient pas les ossements dans les sillons qui ne verront jamais plus de  moisson

Les enfants cachés destin cassé

Les vieux et les vieilles auxquelles les  ultimes dents ont été fracassées

Les arbres qui ont tenté de courir vers l’Eau, dans leur course arrêtés, carbonisés

Ils sont sourds aux cris des batailles féroces qui résonnent encore, cousus  dans leur écharpe de deuil, noire, mate et  implacable

Aux hennissements des chevaux fauchés par des tirs meurtriers

Aux hurlements des femmes jetées au sol brutalement violées

Aux gémissements des blessés que nul ne sut sauver

Aux cavalcades des animaux qui voulaient s’échapper, dérisoires, déjà vaincus avant même que de commencer leur course

Au crépitement du  feu et des flammes engloutissant les grimoires les livres les parchemins, les implorantes mains et  les festins 

Les cygnes ne faiblissent pas Leur vol est sûr Leurs ailes musclées fendent l’air sans sembler fatiguer Le battement répété de leurs rémiges m’endort aussi sûrement que le faisait ma nourrice glacée quand elle me berçait dans ses flancs cristallisés

Ils volent au-dessus de ce monde sans mémoire

Au-dessus de ce monde pétrifié De ce monde explosé De ce monde engouffré dans un déclin soudain

Les cendres refroidies abritent des squelettes presque blanchis où s’accrochent encore quelques lambeaux de chair noircie

L’air est sec il y flotte encore une odeur de rôti un parfum de très cuit

Le lent travail de fossilisation a commencé et personne ne viendra le troubler

Avec un peu de chance la vie refleurira dans des milliers d’années

Nul ne pourra en témoigner

Ici, l’Homme a disparu, la Terre respire

Enfin

Les cygnes me déposent délicatement dans un plat pays et se posent sur le toit, attendant je ne sais pas quoi

Mes milliards de cristaux forment une couche molle et ouatée, je regarde les arbres encapuchonnés, les mésanges et les moineaux ébouriffés

Les cheminées fument douillettement, une porte s’ouvre, ce monde palpite il est vivant, je sens des mains qui me rassemblent, me compriment et m’amalgament, ce sont des mains de dame, elle fait une boule de mes cristaux, elle me sculpte, me façonne, me caresse, souffle sur ses doigts rougis pour les réchauffer, se recule pour mieux me voir, elle ne voit pas les cygnes qui étirent  leurs longues plumes  en rêvassant

Elle amène écorces d’arbre qu’elle coupe en petits bouts, me fabrique yeux et boutons, découpe un vêtement et m’en fait un chapeau, coupe des bambous j’ai des bras maigrelets, orne ma jupe blanche de guirlandes de lierre bien vert, me met un nez rouge sur ma face glacée, noue un ruban autour de mon cou, elle sourit et me dit 

Bienvenue  bonne Femme des Neiges au nez rouge  de clowne, merci de ta venue, vois comme tu es belle  Je te confie au ciel, à la lune, aux Bruissants et aux vents secs et  froids comme tu les aimes Tu es ici chez toi, reste là tant que tu le pourras

Elle rentre chez elle, dans le chaud de son poële, je la vois allumer une lampe, à travers le carreau sa main qu’elle agite pour me souhaiter la bonne nuit, je me sens bien, je me cale sur mon socle à l’abri du vent, dans les bambous, un oiseau me regarde drôlement, ça doit être mon nez rouge, il chie une petite crotte à mes pieds, puis rebrousse chemin en sautillant, le jour tombe sans bruit, personne pour le relever

Les six cent six cygnes s’inclinent quand je lève les yeux vers eux et m’envoient six cent six baisers de cygnes

Un baiser d’adieu Ils décollent et repartent, dans leur puissant envol, pour le  royaume du Rien et des falaises blanches déchiquetées et coupantes 

Qu’est-ce qu’elle a dit la dame ? Que je suis la bonne Femme  des Neiges ?  Je suis née princesse jalousement gardée de l’autre côté du monde de derrière le rideau glacial des cristaux  Je suis dentelle froide et air emprisonné Je suis de neige et ne suis pas éternelle et je l’ai toujours su  Dans quelques jours je serai Eau, eau chantante eau chatoyante eau du  ruisseau et je coulerai jusqu’à la Mer pour m’y noyer Bonne nuit les Vivants, dormez gens de ce village que j’ai blanchi pour un temps Bonne nuit

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