Des fous, il y en a partout. Non seulement, ils pullulent mais il se reproduisent on n’est pas près de s’en débarrasser. J’ai rencontré un fou sain un jour, il était le fils d’une foule. Qui peut dire qu’il n’y a pas de no mad ? Franchement ne sommes-nous pas tous un peu tcharbés? Voire beaucoup. Des dingues, j’en ai rencontré des millions de tonnes dans ma vie. Et sûrement que des dingues disent de moi exactement la même chose, je fais partie de leurs millions de tonnes, ils savent, entre déphasés on se comprend, que je suis douce en folie, que mon K est désespéré et qu’il faut me fuir comme un seau percé. Je ne rencontre bien sûr que des dingues selon le principe de qui se ressemble se tâtonne ensemble.
Ma mère dit que j’étais un vilain petit canard, c’est un cygne ça non ? Elle dit aussi qu’il y a dû avoir un chambourballement planétaire qui a mis les planètes cul par dessus comète au moment où mon père et elle ont mis en route l’œuf fatal. Je n’ai rien demandé, moi. Je n’ai pas demandé à vivre alors assumez votre progéniture, ok ?
Elle a raison ma mère. Quand je me déplace, je vois des empreintes palmées dans mon sillage. J’ai le dessous des pieds orangé. Comme les africains. Et le dessous des mains. J’en suis très fière. Certains de mes petits enfants au grand père vietnamien ont eu la tache de naissance asiatique au dessus des reins quand ils étaient petits. Etonnant. Chaque fois que je leur donnais un bain je savonnais délicatement cette petite zone sombre en me demandant pourquoi ils avaient ce signe. Puis vers 5 ans la trace a disparu. Les voilà bêtement blancs comme le reste de la famille. Aves des yeux en amande quand même.
Le vilain petit canard vous dit merde et range sa maison. Car de canard je vais devenir colimaçon. Plus de maison. Je l’ai vendue pas très cher à des fous qui pensent que de mon royaume branlant ils vont faire un palais. Je leur ai dit tout ce qu’ils devaient savoir, qu’il y avait des souris, des trous là et ici, que ce mur allait sûrement s ‘affaisser, que la tôle sur la cuisine était pourrie, que le mur sur la rue avait dû se gorger d’eau et qu’un jour il allait … Le vendeur était blême et m’a téléphoné plus tard en me disant : Vous ne pouvez pas dire tout ça ils ne vont pas acheter. Ben oui mais moi je n’aime pas duper les gens. Transparence absolue. Pas de mensonges, de sales amalek, je n’aime que les propres, de tromperies, de dissimulation. Je dis tout, toujours. Même quand ça froisse surtout quand ça froisse. La vilaine petite cane ne ment pas c’est pour ça qu’elle n’est pas devenue une jolie cygnesse elle n’était pas programmée pour séduire. Bref, ils ont quand même acheté le bien. Ne sont-ils pas vraiment fous ceux-là ? Pourtant, un fou averti en vaut deux. Vont signer à quatre mains comme une étude au piano?
Nous concrétisons la vente dans deux mois, ce qui veut dire que dans moins de trois mois mais ça fait pas beaucoup de jours ça j’ai vidé le navire ses cales et ses canots ai donné un ultime coup de balai et dit au revoir les futurs dingues de cette maison de fou, voici les clés, bonne chance !
Trier/ Ranger/ Brûler/ Ranger/ Trier/ Nuit et jour et jour et nuit/. Facile à dire. Ca fait 24 ans que je m’étale dans ce paquebot ouvert à tous vents. Alors des chieries y en a dans tous les recoins des dix pièces sans compter le garage les appentis la véranda la buanderie, le pigeonnier, la petite maison d’à côté, les trois greniers. D’abord, il y a l’empilement des objets de la famille. Meubles, livres, lustres, miroirs, lits, bibliothèque, tapis passés, rideaux troués, couvre-lits, tableaux, les œuvres complètes de Victor Hugo l’idole de feu mon papie en fait il a été enterré je ne sais pas pourquoi je dois dire feu mon papie.
Je vais faire quatre tas: à donner aux parents et aux amis, à donner à des associations humanitaires, à vendre, à jeter. Aujourd’hui, j’ai plongé sans masque ni bouteille à oxygène ni tuba ni palmes dans un tas de photos et de vieux livres dont la couverture a été boulottée par le salpêtre, l’humidité, les souris ou l’oubli. En ai rempli trois énormes sacs que j’ai eu bien du mal à emmener jusqu’en haut du jardin. Crac ! Une allumette et tout cela part en fumée. J’en frémis de plaisir. C’était mon premier test : savoir si je suis capable de détacher les objets de moi. C’est vrai quoi qu’est-ce qu’ils sont collants ces trucs dont on hérite qu’on nous offre qu’on achète. Tout va bien je suis capable de jeter. Ils ont fait la gueule en sachant leur fin prochaine et m’ont lancé un regard implorant, tu ne vas quand même pas nous faire ça, à nous, tes compagnons fidèles, tes traces de vie, tes souvenirs ?? si tu nous détruis tu n’auras plus de mémoire. La belle affaire. M’en fous j’aurai une nouvelle mémoire vierge et neuve. Je n’ai pas envie de vous relire votre papier est piqueté de vieillesse vous sentez mauvais mon doigt ne glisse plus langoureusement entre vos pages arrêté qu’il est par le rêche de votre peau parcheminée et flétrie Allez zou hop au feu qui vous avale tous écrits fous! Le fou écarte les barreaux de l'espace et saute en lui-même. Il disparaît d'emblée en s'avalant. (Octavio Paz). Epargné par les flammes un très mince ouvrage en papier mou et jaune je le ramasse les principes essentiels du bouddhisme, trouvé dans un monastère bouddhiste, celui des dix mille bouddhas en Californie, bon toi je te garde je te lis car je ne t’ai toujours pas lu depuis 5 ans et je t’emmène en voyage tu seras mon lampion ma flèche ma carte mon étoile du Berger.
Toutes les personnes auxquelles je dis que je pars, me demandent immanquablement : Et tu vas où ? Quand je réponds que je ne sais pas, que je veux devenir nomade, une lueur d’incompréhension s’allume dans chaque mirette. Ah bon ? C’est pas banal ça. T’auras pas d’adresse ? Et où tu vas poser tes meubles tes machins avant de t’installer quelque part ? Euh .. chez vous? Là, soudainement, ils se taisent. Cette fuite est difficile à imaginer ils veulent se raccrocher à ce qu’on peut toucher donc objets téléphone adresse traçabilité. Ils sont drôles les gens. Ils ont peur pour moi ils ont peur pour eux. D’avance. Comme ça ils pensent être prêts au pire. Quand le pire arrive ils ne sont quand même pas prêts. On n’est jamais prêt au pire, jamais prêt non plus au meilleur. Qui dit que je n’ai pas peur de tout ce vide annoncé, qu’il me sera tout bonnement impossible de partir et que je ne vais pas m’accrocher désespérément au montant de la porte d’entrée début mars en suppliant les acheteurs de me garder avec eux dans leur nouvelle maison dans un petit coin du grenier je ferai la jardin je ferai la cuisine et je ferai woufwouf j’aboierai je garderai leur maison quand il ne seront pas là, c’est vrai quoi c’est qui ces étrangers qui me volent ma maison celle de mes grands-parents comment ai-je pu croire que je pouvais couper mes racines mes liens et partir sur les routes comme la vagabonde que j’ai toujours rêvé d’être? Tu sais bien que dès que l’on se rapproche d’un rêve il te brûle les doigts et te nargue Ah ah te voilà au pied du mur tu fais quoi là tu te déballes encore une fois ou tu te lances dans le vide?
Euh je me balance au-dessus du vide. Ce n’est pas la bonne réponse ? Non je me lance dans le vide? C’est la bonne réponse dis-moi le rêve? pas de réponse il s’est déjà enfui les rêves sont des poussières d’étoiles alors pour les attraper.. macache… En attendant je suis toujours dans la chaleureuse tiédeur des murs en briques ils sont toujours là, eux, ils m’enclosent me couvent veulent-ils me retenir ? Cela fait des siècles que je me demande ce que je dois faire de cette maison que j’ai traînée comme un boulet de la cave au grenier sans pouvoir lui garder sa splendeur et que j’ai vue se dégrader année après année. La vendre, la louer, en louer un bout ? C’est la maison de l’immobilisme des hésitations des escapades. De la maladie. La fuir c’est peut-être guérir. J’ai rêvé une nuit de ma grand-mère celle qui m’a élevée ici elle me disait dans mon rêve Tu peux vendre la maison tu peux partir Ne crains rien Je ne t’en veux pas. Merci Mamie. J’ai mis ma maison en vente et elle est vendue.
C’est décidé Je cheminerai entre le pire et le meilleur c’est à dire au jour le jour. Limaçon. Colimaçon. Maçonner ma coquille. La poser sur mon dos pour me protéger du froid du chaud des loups. Et j’irai/ Ok Ok en attendant arrête de rêvasser et va ranger/trier/brûler. Tu as encore des milliards de bidules qui te guettent du coin de l’œil et qui tentent de se cacher dans des trous et dans des placards car ils savent que tu les traques impitoyablement. Impitoyablement ? Oh la la (.. gros gros soupir.. ). J’y vais/
19 décembre 2013