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Billet de blog 20 novembre 2011

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Le pauvre regarde sa boîte de petits pois

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le pauvre scrute, intrigué, sa petite boîte de pois, il lit sur le côté de la boîte ronde ( mais où est le côté d’une boîte ronde? ) 400 gr poids net total, 265 gr poids net égoutté et 425 ml contenance. Il ne comprend pas pourquoi on passe de grammes en millilitres. Il se dit que les gens qui travaillent dans l’industrie agro-alimentaire sont des gens compliqués.

Le pauvre est philosophe, il passe outre. Il aurait bien aimé passer l’outre à son voisin mais soudain il se rappelle qu’il est seul dans sa cuisine froide. Le pauvre aime bien les loutres aussi. A sa connaissance, personne ne met des outres en conserve. Ni des loutres. L'outre conserve de l'eau mais pas des petits pois. Est-ce que la loutre mange des petits pois dans les bois?

La pauvre a pris en photo une publicité sur un grand panneau à l’entrée de la ville voisine. Sur l’affiche, est écrit : « Les banques alimentaires collectent les 25 et 26 novembre. DONNEZ. » et « Une petite part de vos courses peut sauver une famille »

Le pauvre, ça lui en mastique une fissure. Il ne savait pas qu’il existât des banques alimentaires , il connait les banques qui saignent et affament. Celles-ci, les banques alimentaires, veulent de la nourriture. Pout faire reculer la famine ? Une banque peut soit affamer soit dés-affamer ? Le pauvre est troublé.

Le pauvre se demande comment fonctionne une banque alimentaire ? Y a-t-il des coffres pour stocker les boîtes de petits pois ? Y a-t-il des guichetiers, des chéquiers, des crédits, des débits, des relevés, des agios, des distributeurs automatiques de nourriture ? Le pauvre se dit « alors tu tapes un code avec une carte, et hop ! tombe une boîte de petits pois du distributeur ? ». Apparemment, il y a plusieurs banques alimentaires, quelles sont-elles ? Y a-t-il une banque par légume ? Une banque pour les boîtes de petits pas ? Une pour les champignons ? Une autre pour les pois chiches ? Combien gagnent les directeurs ? Ont-ils des parachutes dorés ? Et des stocks de petits pois option ?

Le pauvre se trouble encore un peu plus et se retrouve dans cet état particulier de confusion sensorielle qu'il redoute et qui le met à plat . Reviens, pauvre, à tes petits pois, il est temps d’agir. Oui, il va donner même si l’injonction DONNEZ lui semble malvenue et pourrait le pousser à ne pas donner. Le pauvre veut se sentir libre de donner, les banques auraient pu ajouter « s’il vous plaît et peut-être « merci » même. Bon . Il va donner. Il est pauvre, certes, mais généreux. Et fier de penser qu’il va lui, le pauvre, nourrir toute une famille, avec quelques grammes de petits pois . Ce doit être une famille habituée aux miracles que cette famille, le plus grand miracle étant de survivre si chichement. Le chiche ment ? Et le riche dirait la vérité ? Aura-t-il le nom de la famille qu'il nourrit ? La banque va-t-elle lui envoyer la photo de la famille mangeant ses petits pois ?

La pauvre se demande comment couper sa boîte de petits pois pour ne donner qu’un quart de boîte comme sur la photo et sauver une famille. Le pauvre pense qu’il doit s’agir d’une famille qui mange peu ou qui n’aime pas les petits pois, car un quart de boîte ce n'est pas gros. Il doit trouver une pince coupante particulièrement performante pour réaliser une coupe bien franche et bien verticale. Il mesure la boîte, fait des calculs compliqués et détermine la ligne de coupaison. Qu’il trace avec son produit blanco pour ses fautes de frappe. Il va chercher sa pince et s’apprête à commencer à découper quand il suspend son geste. S’il coupe, la boîte sera éventrée et comment la refermer ? Les petits pois vont rouler dans tous ses sens.

Le pauvre pose la boîte, la pince qui a failli couper la boîte et s’en va au super marché demander conseil au gérant. Le gérant le reçoit et lui demande ce qu’il veut. Le pauvre montre la photo de l’affiche qu’il a imprimée soigneusement et lui demande :

« Avez-vous dans votre joli magasin ( le pauvre flatte l’ego du gérant, il a lu quelque part que quand on désire vraiment quelque chose vaut mieux être aimable et souriant, en fait le super marché est laid et à vomir , le pauvre sait se contrôler ) des jolies boîtes de petits pois comme celle de l’affiche ?

- Pardon ? Plaît-il ?

- Je voulais savoir si vous avez des boîtes de petits pois comme sur la photo ? (dit le pauvre avec un très large sourire)

Le pauvre constate que cet homme de pouvoir, qui possède un supermarché très laid, est sûrement décontenancé car il dit:

- Je ne comprends pas ce que vous voulez et puis vous savez j’ai beaucoup de travail, en désignant en bas de son bureau les allées bondées du supermarché

Le pauvre dit très vite avec un très très large sourire : « Dites-moi si vous avez des boîtes de petits pois comme celle-ci car je voudrais donner un quart de ma boîte de 425 millilitres en fait quand ils seront égouttés il restera environ 265 grammes si j'en crois l'étiquette et , en fait je pense donner environ 67 grammes, c'est compliqué les grammes et les millilitres mais vous savez tout ça, le quart quoi, à une famille qui mange peu, vous comprenez je ne suis pas riche , je ne peux pas donner toute la boîte, je veux juste faire comme sur le dessin

- Eh bien ! dit le gérant en se frottant les mains nerveusement puis éclatant d’un grand rire Je vais vous appeler le gardien et vous allez lui expliquer tout ça bien proprement.

- Et il va me trouver dans le magasin ce genre de boîte ? Les collaborateurs des banques alimentaires ont peut-être fait spécialement pour le 25 novembre ces boîtes prédécoupées. Je voudrais en acheter une c’est tout ( l’éblouissant sourire qu’il dégaine à ce moment lui fend la bouche et le pauvre se met à saigner légèrement aux commissures des lèvres, ça ne saigne pas encore beaucoup, ça suinte )

- Ecoutez soyons clair vous commencez à me pomper l’air je vous ex-pli-que je n’ai pas ce genre de boîte car il n’y a pas de boîte comme ça les banques alimentaires n’ont pas fait un modèle spécial pour le week-end prochain Achetez quatre boîtes de petits pois en promotion et vous en donnez une c’est comme si vous aviez donné le quart de vos petits pois Moi je vends des boîtes de conserves je ne m’occupe pas de découper des boîtes en quatre ni en huit ni en douze je ne vais pas non plus couper les cheveux en quatre je ne vais pas compter vos foutus petits pois pour que vous puissiez en donner 67 grammes car vous voulez que je vous dise, VOUS VOULEZ QUE JE VOUS DISE je n’aime pas les petits pois depuis que j’ai été interne dans un lycée privé où pullulaient des profs sadiques et des surveillants pervers Vous savez ce qu’ils faisaient avec ces foutus petits pois ? me fais-je bien comprendre ? maintenant vous voulez savoir ? eh bien votre boîte-là pauvre type ce sont des haricots verts, pas des p’tits pois ! des ha-ri-cots-verts, et puis arrêtez de saigner de la bouche c’est répugnant vous êtes malade ? le scorbut peut-être tiens demandez aux fruits et légumes de ma part un filet d’oranges dans le magasin et fichez moi le camp , bon il est temps de déguerpir « et le gérant SAUTE, le gérant SAUTE! le pauvre n’en croit pas ses yeux par la fenêtre et s’écrase en bas au milieu des gondoles

Le pauvre se gondole, attrape au passage un filet d’oranges et un autre de citrons puis quitte le supermarché dans l’indifférence générale. Le gérant fait une sale tête, son cou dans une vilaine position, au milieu de bouteilles de whisky par lui fracassées. Le pauvre rentre chez lui et regarde sa boîte de petits pois d’un air gourmand. Il avait raison le patron, c’est assez difficile de couper une boîte de petits pois, je vais l’ouvrir, vider les petits pois, les peser, et je mets 67 grammes dans un petit bocal au frigidaire, samedi prochain je porterai le petit bocal de petits pois à la banque, se dit le pauvre. Des haricots verts ? Pourquoi a-t-il confondu haricots verts et petits pois ? Ah non pas des haricots verts, l’haricot vert est mou, oblong, laid, terne, plat, trempé. Alors que le petit pois ! Il roule entre les joues, il bondit comme un lutin quand on souffle dessus dans l’assiette derrière le dos de sa grand-mère et rebondit sur le carrelage, il est sucré, rond, doux, fondant, enfantin, dansant, festoyant, ça empêche les princesses de dormir sous les matelas. Pourquoi ai-je cru que c’étaient des petits pois ?

Le pauvre se rappelle qu’il y a plus de quarante ans le slogan d’une des premières publicités qu’il a entendues à la télé c’était : « on a toujours besoin de petits pois chez soi »

Le pauvre sourit, sa mère et sa grand mère avaient toujours depuis ce temps-là des petits pois à la maison.

Le pauvre ouvre la porte de son frigidaire et regarde , satisfait, ses petits pois dans leur petit bocal, en attente de la collecte . Il pensera, le pauvre, à prendre une photo de lui pour la donner à la banque samedi prochain avec son nom et son adresse quand il donnera les petits pois, car il ne veut pas être un donneur anonyme. Il aurait bien mis une carotte aussi, c’est bon ça avec les petits pois. La prochaine fois, les carottes.

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