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Billet de blog 23 juin 2022

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Construction de discours antiféministes sur YouTube sous couvert de sciences sociales

Sous couvert de sciences sociales et d’une volonté d’apporter des clés de compréhension sur le fonctionnement des femmes et des relations hétérosexuelles, des youtubeurs « coach de séduction » utilisent la plateforme pour diffuser des idées antiféministes sur leur chaîne. Je me suis donc intéressé·e à la construction des discours antiféministes et misogynes que l'on trouve dans ce type de contenu.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En soirée, une connaissance (spoiler alert : ce n’est plus une connaissance) nous annonce qu’il suit un « philosophe » sur YouTube, qui lui donne des clés de compréhension sur le fonctionnement des femmes et de ce qu’il faut faire dans une relation hétérosexuelle dans sa dernière vidéo. Je récupère la référence : il s’agit de « L’hyper femelle » [1] sur le compte Les Philogynes, tenu par un youtubeur qui sous couvert d’avoir fait des études en sciences sociales et d’être « coach de séduction » (ou pick-up artist), diffuse des idées antiféministes sur sa chaîne, tout de même suivie par plus de 100 000 personnes [2]. Il n’utilise pas l’étiquette masculiniste, mais le nom de la chaîne met tout de même la puce à l’oreille [3]. Il a d'ailleurs participé au cyber bashing d'Amber Heard (mené massivement par des masculinistes partout dans le monde), lors de son procès pour diffamation, dans une vidéo au titre très évocateur : « Comment Amber Heard manipulait Johnny Depp » [4]. Je me suis donc intéressé·e à la construction des discours antiféministes et misogynes que l'on trouve dans ce type de contenu.

  • Introduction : études de genre

« Les femmes ne sont plus des femmes, les femmes deviennent comme des hommes, et vice versa, à cause du féminisme notamment, qui aurait tendance à lisser la différence entre les hommes et les femmes. Et bien je vais vous démontrer dans cette vidéo que c’est faux, que loin de lisser les différences entre les hommes et les femmes, le féminisme aurait plutôt tendance à les exacerber. Bienvenue dans un monde où les femmes n’ont jamais autant été femelles. »

Dans sa vidéo « L’hyper femelle », avec ce discours introductif, Les Philogynes balaye des décennies de travaux en étude de genre et le binarise. Les travaux sur le genre montrent que, loin d’être prédéterminé par nos chromosomes ou nos organes génitaux, le genre est une construction sociale et culturelle, et un spectre dont les deux extrémités sont le genre féminin et le genre masculin. Il n’existe pas deux genres, mais une multitude de genres, avec une certaine fluidité. Binariser cette construction est déjà un énorme biais patriarcal de départ [5]. J’emploie le terme patriarcal, car à qui profite une binarisation du genre avec la construction sociale d’un groupe « homme » et d’un groupe « femme », accompagnés de caractéristiques permettant une différentiation rapide et marquée ? Le groupe qui domine l’autre et lui fait subir des discriminations, donc ici, celui des hommes [6].
Le féminisme, ensemble de courants philosophiques qui propose la mise en place d’une société sans discrimination, n’a pas d’intérêt à cette binarisation, même si elle est mise en avant par certains de ses courants minoritaires comme celui des TERF [7], qui utilisent ce discours pour exclure les personnes transgenres des luttes féministes.
La volonté d’un lissage est donc réelle : le but du féminisme (en tout cas comme je le comprends et l'envisage) est une égalité entre chaque individu, sans groupe dominant et sans discrimination aucune, que ce soit de genre, d’orientation sexuelle, de couleur de peau, de religion, de physique, de métier, etc. Cela prend en compte un accès aux soins, à la reproduction, aux droits, au travail, au patrimoine, au logement qui soit égalitaire ; mais aussi l’arrêt du travail reproductif, du travail sexuel et du travail domestique gratuits portés par les femmes dans le cadre du couple hétérosexuel, qui creusent encore plus les inégalités de genre, notamment du point de vue du patrimoine [8].

Certain·e·s auteurices vont même plus loin dans l’idée du lissage, avec celui de l’apparence physique. Iels théorisent les politiques de genre, qui auraient façonné petit à petit les corps pour arriver à un résultat très binaire entre ce que doit être un homme et ce que doit être une femme, tant sur le plan du comportement, que de la physiologie, avec un fossé entre les deux et une élimination des personnes intersexes. Ces politiques de genre auraient donc abouti à des corps qui produisent beaucoup plus de testostérone (entraînant une plus grande résistance à la douleur, le développement d’une masse musculaire plus importante, d’une pilosité faciale et d’une voix plus grave) ou beaucoup plus d’œstrogènes et de progestérone (avec les effets plus ou moins inverses). Ces travaux se basent également sur l’expérience de certain·e·s militant·e·s, qui, assigné·e·s femmes à la naissance, ont pris des doses de testostérone pour étudier les effets de cette hormone sur leur corps. Depuis, iels développent les caractéristiques sexuelles masculines secondaires citées plus haut. Ce qui nous ramène aussi au lissage entre corps assignés hommes et corps assignés femmes [9].

Second biais de cette vidéo donc : une méconnaissance des travaux féministes actuels et des mécanismes avec lesquels ont été construits des groupes d’individus dominants et dominés.

Au niveau sémantique, l’utilisation du terme « femelle » au lieu de « femme » ne renvoie plus à un groupe d’individus, mais à une animalité. Et quel est le rôle d’une femelle ? La reproduction. L’utilisation de ce terme, extrêmement sexiste, réduit donc une femme à sa capacité reproductive. Pourtant, avec les réflexions féministes menées depuis les années 70, les personnes sexisées qui ont accès à ces savoirs ne se sont jamais autant éloignées de cette réduction à leur capacité reproductive qu’aujourd’hui, avec notamment l’apparition du mouvement child-free (volonté revendiquée de ne pas faire d’enfant).

  • Le paradoxe égalitaire

Les Philogynes passe ensuite au paradoxe égalitaire, qu’il dit « scandinave » et étant mené par un « groupe d’études », alors que ce paradoxe se base sur les travaux de deux chercheurs, Gijsbert Stoet et David C. Geary, travaillant respectivement dans l’Essex (Royaume-Uni) et au Missouri (Etats-Unis).
Il introduit ce paradoxe de cette façon : « Le paradoxe égalitaire, c'est le fait que les pays dans le monde qui prônent le plus l'égalité entre les hommes et les femmes, sont finalement ceux qui sont le plus à la ramasse en termes d'égalité hommes femmes. Ce sont les pays entre lesquels il y a le plus grand écart entre les hommes et les femmes sur les choix de carrière et sur d'autres sujets qu'on verra tout à l'heure. »

D’après l’étude de Stoet et Geary publiée dans Psychological Science [10] et un article anglophone du média The Atlantic [11] qui relate cette étude, il a été mis en avant que ce sont dans les pays les plus inégalitaires en termes de genre que l'on retrouve le plus haut taux de femmes scientifiques. Les chercheurs expliquent ce phénomène par le fait que dans des pays plus inégalitaires, les femmes qui peuvent avoir accès aux études vont préférer s'orienter vers des métiers stables et lucratifs. Dans des pays plus égalitaires, les femmes se posent moins la question de la stabilité financière et il est plus facile de choisir des carrières en fonction de ses centres d'intérêts et de ses capacités. Dans des sociétés moins égalitaires et donc plus patriarcales, il n’y a pas non plus d’intérêts à ce que les femmes puissent faire des études plus littéraires, c’est-à-dire penser, écrire et diffuser leurs idées, bien au contraire. « Ce n'est pas que l'égalité de genre décourage les filles d'étudier les sciences. C'est que cela leur permet de ne pas étudier la science si elles ne sont pas intéressées. » [12] En conclusion, quand on laisse aux femmes le choix de leur carrière, elles font des choix de carrière plus diversifiés.

Troisième biais de cette vidéo donc, la définition donnée par l’auteur ne correspond pas à ce qu’est le paradoxe égalitaire. En termes d'inégalités, l’article de Slate [13] cite par exemple qu'en Algérie, pays considéré comme plus inégalitaire, seulement 15% des femmes travaillent. Une donnée que Les Philogynes n’a pas utilisée, probablement car elle ne va pas dans la direction de sa conclusion. Il y a donc une mauvaise vulgarisation qui entraîne l’invention d’une nouvelle définition du concept, s’éloignant de celle originelle.

Il pose alors la question « comment c'est possible que ces pays-là [les plus égalitaires] soient complètement à la ramasse face à des pays dont le modèle tend plutôt vers quelque chose de patriarcal ? » Encore une fois, ce n’est pas ce que montre le paradoxe égalitaire, et les pays les plus égalitaires comme le Canada ou le Royaume-Uni sont également structurés de façon patriarcale (même s’ils sont symboliquement gouvernés par une reine). Il finit par revenir sur la conclusion des recherches qui ont mené au développement du paradoxe (que les femmes ont plus de choix de carrières), mais il l’explique par une culture plus individualiste, sans prendre réellement en compte des paramètres structurants de nos sociétés comme le sexisme et le classisme. Il énonce qu'on « pousse les gens à développer leur plein potentiel », mais ce sont surtout des pays où les femmes et les personnes précaires ont un peu plus d’accès à l’éducation, aux études et de choix de carrières possibles (et encore, nous ne sommes pas sur un modèle d’égalité des chances en fonction du genre, de la couleur de peau, de la classe sociale, … bref de n’importe quel critère discriminant). Pays plus égalitaires ou pas, les hommes (issus d’une certaine classe sociale en tout cas) sont toujours quant à eux, poussés à développer leur plein potentiel. Si la culture individualiste était l’explication, on observerait les mêmes différences de choix de carrières en fonction des pays pour les hommes (ce qui n’est pas montré par le paradoxe égalitaire). Il finit par mentionner le prisme de la classe, mais seulement pour les pays les moins égalitaires.

Il annonce enfin plus clairement ce qu'il souhaite démontrer : « Finalement les différences hommes femmes, ce qu'on appelle les inégalités, ne sont pas forcément le fruit de bâtons qu'on a mis dans les roues des filles dès leur plus jeune âge. En fait c'est plutôt l'inverse, c'est plutôt qu'on a le privilège dans notre pays, de faire ce qu'on veut. »
La première phrase est l’inverse de ce qui est montré dans les études citées précédemment. Et « le privilège de faire ce que l'on veut » n'est pas l'inverse des « inégalités créées par les bâtons que l'on met dans les roues des filles ». La fin n'est qu'en partie vraie, car le privilège de faire ce que l’on veut n’est pas pour tout le monde, encore un fois, en fonction notamment d’appartenance à des groupes discriminés.

De plus, au sujet de l’individualisme, il fait des généralités sur deux genres, en partant d’une étude qui ne porte sur les choix de carrière que d’un seul genre (les femmes).
Il rajoute ensuite l’influence de l’environnement en expliquant que dans un pays plus individualiste, on est moins influencé·e par notre environnement, alors que nous subissons pourtant une influence très forte, partout, des médias, de la publicité et de la culture. Cette influence, fort outil du capitalisme, façonne en partie notre individualisme, et pousse à la consommation.

  • Introduction à l’hyperfemelle

Les Philogynes enchaîne sur la seconde partie sur les différences entre hommes et femmes, qui vont « bien au-delà des choix de carrières ».

Là encore, il retransforme sa conclusion sur le paradoxe égalitaire : « plus un pays est développé et individualiste, et plus il y a un écart entre les hommes et les femmes au niveau des choix de carrières ». Encore une fois, le paradoxe est basé sur des pays égalitaires et non pas « développés » ou « individualistes » et ne mentionne pas les choix de carrières des hommes.

Il annonce que cet écart dans les « pays développés » est aussi plus important entre genres pour « la personnalité, l'estime de soi, la dépression, les aptitudes cognitives, la taille, la pression sanguine, les comportements amoureux, la sexualité, en fait quasiment tout ». Est-ce que l'on doit comprendre que plus un pays est développé et plus un des genres comporte des individus avec une bonne estime de soi, peu déprimés, plus intelligents, grands, etc. et l’autre genre avec des individus qui ont les caractéristiques inverses ? Ou alors l’un aura des individus plus grands et moins intelligents ? Ce discours manque de précisions et est essentialiste : il ne renvoie plus le genre à une construction sociale mais à une réalité biologique qui forgerait nos caractéristiques physiques, comportementales, etc.

« C’est pour ça que ce paradoxe égalitaire a un potentiel énorme pour comprendre les humains. » Non, encore une fois, il permet juste de constater que dans un pays plus égalitaire, les femmes ont un choix de carrières plus large.
L'exemple qu'il donne pour justifier sa transformation du concept est la psychopathie : il y a plus d'hommes que de femmes psychopathes. Il explique que cette différence est plus importante dans les pays riches et développés (encore une fois, le paradoxe mentionne les pays égalitaires). Quel est le rapport ?
Il explique également que l'on observe le même écart pour n'importe quel aspect de la personnalité ou pathologie attribué·e habituellement à un « sexe ». Il reste sur un discours essentialiste : le genre assigné à la naissance figerait des capacités et des personnalités de façon biologique.
Il a pourtant été prouvé qu’il n’y a pas de différences cognitives entre les genres et qu’il n’y a pas de genre pour des pathologies mentales, des neuro-atypies ou des traits de personnalités [14]. En revanche, le conditionnement culturel et l’éducation genrée (donc l’influence environnementale – on y revient) peuvent conduire effectivement à la forge de comportements très genrés. Ils peuvent aussi conduire à un surdiagnostic de pathologies ou de neuro-atypies dans un genre et un sous-diagnostic dans l’autre, donc à une impression artificielle de pathologies ou de neuro-atypies genrées. Par exemple, la forme de neuro-atypie qu’est l’autisme est détectée bien plus souvent et bien plus jeune chez les personnes assignées garçons que chez les personnes assignées filles dans notre culture, parce que l’on oblige dans l’enfance les petites filles à développer plus de capacités sociales que les petits garçons, qui vont masquer la neuro-atypie [15]. Il est possible que ces biais éducationnels entraînent un sous-diagnostic de psychopathie chez les personnes assignées femmes.
Et justement, il emploie le terme « habituellement », qui renvoie aux habitudes, donc à un conditionnement culturel.

Dans sa bibliographie, on retrouve les travaux de David P. Schmitt, Anu Realo, Martin Voracek et Jüri Allik, dont la conclusion est : « Overall, higher levels of human development--including long and healthy life, equal access to knowledge and education, and economic wealth--were the main nation-level predictors of larger sex differences in personality. Changes in men's personality traits appeared to be the primary cause of sex difference variation across cultures. » [16] Je suis personnellement en désaccord avec les hypothèses proposées ensuite car la composante éducative n'est pas prise en compte, mais cet article montre que c'est le comportement des hommes et non des femmes qui a tendance à changer selon les cultures.
Dans un autre article [17], David P. Schmitt montre une volonté de s’éloigner du modèle standard de sciences sociales (SSSM), modèle qui met en avant l'idée que notre esprit est un dispositif cognitif polyvalent, formé en grande partie par la culture [18]. De cela découle l'idée que les rôles genrés et des différenciations psychologiques entre les genres viennent d'une socialisation et d'une éducation genrées, mises en place par des institutions socioculturelles patriarcales.
Le dernier article de sa biographie sur le sujet va même à l’encontre de ses conclusions en minimisant les différences entre les genres : « […] gender differences are small relative to individual variation within genders; differences are replicated across cultures for both college-age and adult samples. » [19]

  • Caractéristiques de l’hyperfemelle

Les Philogynes définit ensuite l’hyperfemelle : « femme qui possède toutes les caractéristiques physiques, psychologiques, dans son comportement ou dans sa sexualité, ces caractéristiques qui sont habituellement associées à la féminité, et qui elles, les possèdent de façon exagérément plus importante que la moyenne des femmes. »
Il va ensuite énoncer ces caractéristiques, pour définir cette catégorie de femmes, en faisant des généralités et sans prendre en compte les spécificités individuelles, comme si elles étaient toutes identiques. C’est pour cela qu’il parle de l’hyperfemelle au singulier.
Parler de caractéristiques psychologiques, comportementales et sexuelles qui correspondraient à un sexe assigné à la naissance, correspond encore une fois à de l’essentialisme.
Il se contredit en disant que l’hyperfemelle est un « idéal qui n’existe pas vraiment » (un idéal de quoi ? pour qui ?) mais que les femmes sont des hyperfemelles quand même (donc elle n’existe pas vraiment mais elle existe ? Est-ce que toutes les femmes sont des hyperfemelles ?).

Selon lui, l’hyperfemelle a un « score élevé en agréabilité, compassion, fuite du conflit, en névrosisme, plus de probabilité de tomber en dépression. » Comme carrière elle choisit « communication ou psychologie » et « logiquement, elle recherche un hypermâle ». Effectivement, l’éducation genrée dans notre société poussent les femmes à développer des compétences sociales et empathiques (agréabilité, compassion, fuite du conflit) et le fait d’être victime de discriminations (sexistes par exemple) augmente les risques d’être en dépression. Quant aux choix de carrières, ici très restreints, cela contredit ce qu’il a voulu démontrer plus tôt.

Il énonce aussi qu’il y a plus d’hyperfemelles que d’hypermâles, « les hyperfemelles sont donc insatisfaites, et doivent se partager des hypermâles qui sont eux, en abondance » (en abondance ou non du coup ?). Il ne définit pas l’hypermâle, et ne l’essentialise donc pas non plus.
Autre caractéristique de l’hyperfemelle, les femmes (les femmes ou l’hyperfemelle ?) catégoriseraient les hypermâles de pervers narcissiques lorsqu’elles se rendent compte qu’ils ont des défauts. Pour reprendre la définition du pervers narcissique : « Un pervers narcissique ou une personne atteinte d'un trouble de la personnalité narcissique est une personne qui a une image dévalorisante d'elle-même et qui se valorise en rabaissant les autres. » [20] Il s’agit de personnes manipulatrices, pas de personnes avec des petits défauts. Comme la psychopathie, quel est le rapport et à quelle fin a été placé là cet exemple ? Peut-être une façon de dire que les femmes sont misandres ?

Comme autres caractéristiques, il cite ensuite les occupations de l’hyperfemelle : « les soirées, le shopping, les réseaux sociaux et son activité principale est de se faire belle ». Il cite ensuite un article canadien du Huffington Post [21] et dit que l’article révèle que « les femmes françaises consacrent en moyenne une heure par jour sur le maquillage ». L’article ne mentionne que les habitudes des Anglaises et il est écrit qu’en moyennes elles passent à se maquiller « trois heures et dix-neuf minutes par semaine, ou encore plus de 15 minutes par jour ». Les chiffres et le pays concerné sont incorrects et avec 15 minutes par jour (ou même une heure), on est très loin de l’activité principale d’une personne.  Contrairement à ce qu’il annonce aussi, ce n’est pas « une étude du Huff Post », mais une étude relayée par le média, qui ne cite pas ses sources. Un article français de Top Santé sur la même étude, donne les mêmes informations : il s'agit de la routine make-up des Britanniques, avec une moyenne quotidienne de 15 minutes [22]. Les sources ne sont pas non plus citées.
Les informations qu’il tire de ces articles sont donc soit très déformées, soit fausses.
Il mentionne une autre étude montrant que les Anglaises dépensent 10 € quotidiennement dans le maquillage. Effectivement, dans un article de Marie-France, qui relaye les informations d'une enquête de Lookfantastic sur la dépense des femmes en maquillage, on peut y lire que « le budget quotidien des Anglaises avoisinerait les 10 euros (9,56 euros) » [23].
Quel est le but de parler de l’investissement des femmes dans le maquillage ? Quel est le rapport avec le féminisme décrié au départ ? J’y vois un moyen facile et misogyne de sous-entendre qu’elles sont frivoles et ne se soucient que de leur apparence (encore une fois, 15 minutes ne représentent pas la majeure partie d’une journée). Ces études parlent en plus des dépenses des femmes en général, pas de l’hyperfemelle, donc elles ne permettent pas non plus de caractériser spécifiquement l’hyperfemelle.

  • Fertilité

Il mentionne ensuite les théories évolutionnistes pour expliquer ce à quoi correspondrait l’idée de se mettre en valeur (donc d’utiliser du maquillage), théories construites sur des idées sexistes mais aussi racistes et colonialistes, afin de justifier des discriminations (« l’homme est supérieur à la femme car plus intelligent, etc. »). On en revient encore aux idées essentialistes. Une analyse par le prisme évolutionniste est incomplète car elle ne prend pas en compte les aspects culturels et sociaux (notamment le conditionnement dans lequel sont élevées les petites filles dans notre culture, où on leur apprend que développer des compétences esthétiques est plus important que des compétences intellectuelles [24]).

Il cite différents travaux qui traitent de sélection sexuelle et de comportements de séduction : « être belle, c’est démontrer sa fertilité ». La boucle est bouclée avec l'utilisation du terme « femelle », qui réduit, encore une fois, les femmes à leur capacité reproductive. Il associe fertilité aux lèvres gonflées, aux joues roses et au mascara.
Les travaux cités, mettant en avant le fait que les femmes aient tendance à plus porter de maquillage [25] ou du rose ou du rouge durant leur pic de fertilité [26], ou face à un partenaire attirant [27], ou encore le fait que les hommes seraient subtilement plus attirés par des femmes portant du rouge [28], mentionnent les femmes de façon générale et pas l’hyperfemelle.
Il mentionne ensuite les talons : « typiquement le symbole de l'hyper femelle [...] ce n'est absolument pas un symbole de puissance mais c'est un outil qui permet d'accentuer le caractère fertile de l'hyperfemelle ». Effectivement le talon est utilisé car il remonte les fesses, posture perçue culturellement comme plus attirante, ce que conclut un article de sa bibliographie [29]. D’autres études citées montrent que les talons exacerbent des traits de postures considérées comme plus féminines et attirent donc plus les hommes [30] (mais là encore une fois, ce qui est considéré du féminin et du masculin dans les attitudes, la démarche, etc. sont des constructions culturelles). Un autre article considère cette attraction comme reste évolutif de la lordose, position sexuelle réflexe chez certaines femelles mammifères, qui permet la copulation [31]. Tous ces articles mentionnent les femmes de façon générale, sans distinction de catégories.

Il cite Kim Kardashian comme étant la quintessence de l’hyperfemelle : « elle caricature tous les caractères liés à la fertilité » (donc elle porte du maquillage, du rouge et des talons ?). Il cite même la vénus callipyge : « Instagram, haut lieu d’adoration des vénus callipyges comme je le dis souvent ». L’hyperfemelle serait donc caractérisée par des seins lourds et des hanches larges ? Il montre ensuite une publicité pour la marque Dove qui surfe sur le mouvement body positiv en montrant des femmes au contraire sans maquillage, et avec des corps sortant des normes habituellement mises en avant dans les publicités. L’hyperfemelle serait-elle donc madame tout le monde ? Toutes les femmes ?

Autre caractéristique de l’hyperfemelle citée, celle d’utiliser du maquillage pour paraitre plus jeune : « la jeunesse a toujours été l'un des critères principaux dans la sélection sexuelle du côté des hommes ». « Toujours », c’est-à-dire depuis quand ? Où ?
L’attrait pour la jeunesse n’est pas une norme biologique ancrée, il s’agit également de préférences dictées par des normes culturelles, en partie car les femmes plus jeunes peuvent être plus facilement manipulables, et il peut être plus facile d’avoir un ascendant, du pouvoir ou d’être admiré par elles. C’est aussi une façon de se projeter soi-même et de se sentir plus jeune [32].
Plus un pays est égalitaire au niveau du genre, plus les écarts d’âge au sein des couples hétérosexuels diminuent, ce qui montre que les hommes sortant avec des femmes plus jeunes qu’eux n’est pas une réalité figée.

Parmi d’autres caractéristiques, il mentionne le fait que l’hyperfemelle se sexualise et passe d’Instagram à Onlyfans. Onlyfans est une plateforme qui permet d’être rémunéré·e par ses abonné·e·s pour le contenu qu’on y poste et elle est couramment utilisée pour du travail du sexe. Effectivement, quitte à être sexualisé·e tout le temps par les hommes, autant en faire une activité lucrative ; activité sur laquelle il semble mettre un jugement en utilisant cet exemple et faire du slut shaming.
« Le marché a tout intérêt à valoriser les hyperfemelles », qu'il dit consommatrices idéales et parfaits panneaux publicitaires. N’est-ce pas ce qu’il fait lui mêmes aux hommes, en jouant sur leurs complexes, leurs insécurités et les injonctions envers la masculinité, en vendant des produits pour devenir un hypermâle ?

Il mentionne ensuite des slogans émancipateurs et féministes comme « elle fait ce qu'elle veut de son corps » et les interprète comme reflets de nos sociétés individualistes, alors qu'il s'agit de combats pour que les femmes et personnes sexisées se libèrent des injonctions aliénantes patriarcales. Si ces slogans étaient réellement le reflet d’une société individualiste, ils existeraient également pour les hommes.

  • Conclusion

Sa conclusion est « les femmes les plus femelles sont ici même dans nos pays développés. [...] le féminisme clive les différences hommes femmes », ce qui est donc faux.
Finalement quelles différences y a t’il entre l’hyperfemelle et les autres femmes ? On ne sait pas ce qu’est l'hyperfemelle, aucune source de sa bibliographique ne la mentionne spécifiquement.
Quel est alors le but de cette vidéo ? J’y vois surtout un moyen facile de faire du slut shaming, de rabaisser les femmes et d’essayer de démontrer que le féminisme nuit à la société. Et en un sens oui, il nuit à une société patriarcale.
Son discours est finalement sexiste et anti-égalitaire. Et vu le public auquel il s’adresse (des hommes hétérosexuels cisgenres qui se sentent mal à l’aise dans leur vie sexuelle et romantique et à qui il vend des produits pour draguer), il a tout intérêt à créer du contenu pour attiser la haine envers les femmes.

« Et bien je vais vous démontrer dans cette vidéo que c’est faux, que loin de lisser les différences entre les hommes et les femmes, le féminisme aurait plutôt tendance à les exacerber. » Un des buts annoncés était de démonter des différentes exacerbées entre hommes et femmes créées par le féminisme, mais il ne mentionne quasiment pas les hommes. Il n’est alors pas possible de comparer deux groupes en n'en mentionnant qu'un.

Entre les biais liés à des méconnaissances des courants de pensée qu’il cite, à des définitions et des conclusions qu’il retransforme et à des informations mal retranscrites, cette vidéo est une tentative de vulgarisation de sciences humaines qui ne fonctionne pas ; le tout avec des suites de propos et des exemples qui n’ont pas vraiment de rapport les uns avec les autres. Le fait d’avoir une bibliographie conséquente et de citer des articles de sciences humaines à de nombreuses reprises donnent une façade sérieuse à ce contenu en apparence.

Il dit également que cette vidéo a été difficile à tourner et qu'il est « obligé de se censurer tous les trois mots. » Pourquoi ? Est-ce que le slut shaming et la misogynie auraient été plus marqués sans censure ?

Ce type de contenus, loin d’apporter des outils de compréhension concrets des genres, utilise des exemples sexistes qui permettent de toucher la corde misogyne du public visé, tout en discréditant le féminisme, soi-disant fléau à l’origine des « sluts ». Sous couvert de développement personnel, il s’agit bien d’un outil masculiniste et misogyne, mais avec une devanture qui reste « acceptable » car l’auteur se garde bien d'utiliser ces mots clés et donne de nombreuses références scientifiques.

Pour aller plus loin :

Ces terrifiants coachs en séduction dont les conseils «frisent un peu le viol», de Paul Conge, dans Slate, 11/09/2020.
Les coachs en séduction, une certaine idée de l'enfer, de Victoria Lavelle, dans Slate, 24/07/2022.
Podcast Programme B - Que sont devenus les « experts en séduction » ?, de Thomas Rozec.

/

[1] L’hyperfemelle, de Les Philogynes, sur YouTube, 12/07/2020. J'ai rédigé la première version de cet article en juillet 2020, peu après la sortie de cette vidéo.
[2] 108 000 followers au 15 juin 2022.
[3] La philogynie est le fait d'aimer les femmes en les mettant sur un piédestal, ce qui ne les place toujours pas à égales des hommes. Comme la misogynie, c'est donc une face du sexisme.
[4] Comment Amber Heard manipulait Johnny Depp, de Les Philogynes, sur YouTube, 15/05/2022.
[5] Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité, de Judith Butler, 2005.
Le genre est une construction sociale : qu’est-ce que cela veut dire ?, dans Ca fait Genre, 2014.
Définition du genre et ressources, de Anne-Charlotte Husson, dans GenERe, 2018.
Podcast Les couilles sur la table, de Victoire Tuaillon, dans Binge Audio.
[6] Le mythe de la virilité, d’Olivia Gazalé, 2017.
[7] TERF : Trans-exclusionary radical feminist (féministes radicales excluant les personnes transgenres).
[8] Podcast Les couilles sur la table #59 - Le patrimoine, enjeu capital, de Victoire Tuaillon, dans Binge Audio, 2020.
[9] Testo Junkie : sexe, drogue et biopolitique, de Paul B. Preciado, 2008.
Podcast Cyclique - Hormones et patriarcat, 2019.
La testostérone, un traitement pour l'endométriose et un antidouleur ? de Juliet Drouar, dans Médiapart, 20/12/2019.
Sortir de l’hétérosexualité, de Juliet Drouar, 2021.
[10] The Gender-Equality Paradox in Science, Technology, Engineering, and Mathematics Education, de Gijsbert Stoet et David C. Geary, dans Psychological Science, 2018.
[11] The More Gender Equality, the Fewer Women in STEM, de Olga Khazan, dans The Atlantic, 2018.
[12] Plus un pays est égalitaire, moins les femmes s'orientent vers des études scientifiques, de Claire Levenson, dans Slate, 2018.
[13] Ibid.
[14] Le cerveau a-t-il un sexe ? de Cécile Guillaume, dans Les Cahiers Dynamiques, 2013.
La fameuse question des différences cognitives entre les femmes et les hommes, dans Agence Science Presse, 2019.
[15] Podcast Programme B : Femmes et autistes, la double peine, de Thomas Rozec, 2019.
[16] Dans l'ensemble, des niveaux plus élevés de développement humain - y compris une vie longue et saine, l'égalité d'accès à la connaissance et à l'éducation, et la richesse économique - étaient les principaux prédicteurs au niveau national de différences plus importantes entre les sexes en matière de personnalité. Les changements dans les traits de personnalité des hommes semblent être la principale cause de la variation des différences entre les sexes dans les différentes cultures.
Why can't a man be more like a woman? Sex differences in Big Five personality traits across 55 cultures, de David P. Schmitt, Anu Realo, Martin Voracek & Jüri Allik, dans Journal of personality and social psychology, 2008.
[17] Personality and gender differences in global perspective, de D. P. Schmitt, A. E. Long, A. McPhearson, K. O'Brien, B. Remmert & S. H. Shah, dans International Journal of Psychology, 2017.
[18] Psychological foundations of culture, de J. Tobby & L. Cosmides, dans The adapted mind, 1992.
[19] [...] les différences entre les genres sont faibles par rapport à la variation individuelle au sein des genres ; les différences sont reproduites dans toutes les cultures pour les échantillons d'étudiants et d'adultes.
Gender differences in personality traits across cultures: robust and surprising findings, de Jr Costa, A. Terracciano & R. R. McCrae, dans Journal of personality and social psychology, 2001.
[20] Qu'est-ce-qu'un pervers narcissique ?, dans Passeport Santé.
[21] Au final, une femme passe en moyenne 447 jours à se maquiller, de BlQC, dans Huffington Post, 2017.
[22] Les femmes consacrent un an et 3 mois de leur vie à se maquiller !, d’Emilie Cailleau, dans Top Santé, 2013.
[23] Quel est le budget beauté des Françaises ? de Laura Gabrieli, dans Marie France, 2017.
The Average Cost of Beauty Maintenance Could Put You Through Harvard, de Kaitlyn Mclintock, dans Byrdie, 2020.
The amount of money the average woman spends on makeup might shock you, de Allison Bowsher, dans The Loop.
Here's What The Average Woman In The US Spends On Makeup — And It's A Lot, de Julie Gerstein, dans Buzzfeed, 2017.
[24] Beauté fatale : Les nouveaux visages d'une aliénation féminine, de Mona Chollet, 2012.
[25] Makeup and menstrual cycle: Near ovulation, women use more cosmetics, de N. Guéguen, dans The Psychological Record, 2012.
[26] Women are more likely to wear red or pink at peak fertility, de A. T. Beall & J. L. Tracy, dans Psychological Science, 2013.
[27] Strategic sexual signals: Women's display versus avoidance of the color red depends on the attractiveness of an anticipated interaction partner, de Niesta Kayser, D., Agthe, M., & Maner, J. K, dans Plos One, 2016.
[28] Red and romantic behavior in men viewing women, de D. Niesta Kayser, A. J. Elliot & R. Feltman, dans European Journal of Social Psychology, 2010.
Romantic red: Red enhances men's attraction to women, de A. J. Elliot & D. Niesta, dans Journal of personality and social psychology, 2008.
Sexy red: Perceived sexual receptivity mediates the red-attraction relation in men viewing women, de A. D. Pazda, A. J. Elliot & T. Greitemeyer, dans Journal of Experimental Social Psychology, 2012.
Color and women hitchhikers’ attractiveness: Gentlemen drivers prefer red, de N. Guéguen, dans Color Research and Application, 2012.
[29] Why women wear high heels: Evolution, lumbar curvature, and attractiveness, de D. M. Lewis, E. M. Russell, L. Al-Shawaf, V. Ta, Z. Senveli, W. Ickes, & D. M. Buss, dans Frontiers in Psychology, 2017.
[30] High heels as supernormal stimuli: How wearing high heels affects judgements of female attractiveness, de P. H. Morris, J. White, E. R. Morrison, & K. Fisher, dans Evolution and Human Behavior, 2013.
High Heels Increase Women’s Attractiveness, de N. Guéguen, dans Archives of sexual behavior, 2015.
[31] Arching the back (lumbar curvature) as a female sexual proceptivity signal: An eye-tracking study, F. Pazhoohi, J. F. Doyle, A. F. Macedo, & J. Arantes, dans Evolutionary Psychological Science, 2018.
[32] Yann Moix n’a pas inventé l’attirance des hommes pour les femmes plus jeunes qu’eux, de Daphnée Leportois, dans Slate, 2019.
Sorcières : La puissance invaincue des femmes, de Mona Chollet, 2018.
Qui a peur des vieilles ?, de Marie Charrel, 2021.

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