Narratrice
Je lui ai dis très vite que j’étais travailleuse du sexe. Parce que je l’aimais déjà, et l’histoire, je voulais que ça soit du solide. C’était par vocal, sur Signal, pour qu’elle entende ma voix trembler.
Présentation
Le documentaire que vous allez entendre porte les voix de personnes tds (travailleureuses du sexe). Face à une impossible exhaustivité, il ne prétend pas représenter l’ensemble des contextes, des enjeux, et des colères qui traversent leurs réalités.
Narratrice
Elle a répondu tout de suite, parce qu’elle répondait toujours tout de suite, même si c’était pour dire « je peux pas de répondre tout de suite ».
Message téléphonique
“Euuuh là j’avoue je sais pas comment dealer avec ça. Ça avait posé un peu problème dans la relation précédente…. Ouais, je, je suis un peu confuse euhhhh, parce qu’en gros ça veut dire que tu couches avec d’autres personnes et euuhh… et je respecte complètement hein évidemment ! Et euh, ben c’est vrai que moi je m’étais pas sentie safe. Ça serait ptet bien d’en parler maintenant je pense quand même, parce que ça permettrait de voir un peu euh…. ouais, où, où est-ce qu’on va, et les questionnements que je me… pose. Donc euh… Voilà.”
Narratrice
C’était un soir tard, je dormais chez une pote, dans sa ferme, sur un matelas au sol dans le salon, à côté de son très grand chien. Une rivière de crocs dans une mâchoire de fonte. Un mégalithe de muscles endormis, placide et pas inquiet. J’ai enfoncé ma tête dans mon duvet pour pas réveiller le chien, et je lui ai téléphoné.
Apparemment, c’était pas vraiment une bonne nouvelle.
D’abord on a chialé, puis on s’est calmées, elle a dit qu’elle allait essayer, parce qu’on n’avait déjà la trouille de se perdre. Chai pas, j’y ai cru quand même. J’étais pas inquiète.
Et le grand chien, il s’était pas réveillé.
[Soupir inspiration]
J’me suis dit merde, comment on fait dans ces cas-là ?
Entre putains, on n’en parlait pas vraiment, parce qu’il y avait souvent plus urgent, plus important. L’amour perso, on l’évoquait à demi-mot, avec des regards entendus qui finalement n’entendaient rien de précis. Chez les collègues, il se passait quoi ? Iels s’aimaient comment, les autres, derrière les murs de leur maison ?
Cuisine 1
[Toctoc à la porte et discussion en arrière plan]
“ Salut
- Tu cherches quoi ?
- Je vais mettre les spaghetti
- Moi ça va, j’ai bien mangé ces derniers temps [en premier plan]
- T’as raison c’est juste moi chui dans une parano totale. Mais j’te dis moi je pensais même pas pouvoir t'en parler un jour, tu vois, je vis dans la peur en fait.
- J’ai bien vu quand tu m’en a parlé la première fois, c’est le premier truc que j’ai vu, avant de savoir ce que tu allais me dire, j’ai senti la p.., tu vois un truc de « ouais ça a l’air bien, j’ai bien envie d'être avec toi mais ça va pas être possible faut que je te dis un truc. ». Et ça je crois qu'il y a rien de plus… tu vois ton regard à ce moment-là, j’ai des frissons rien que d’en parler.
- Ouais… mais tu vois il m’a fallu grave du courage pour t’en parler parce que tu sais moi, c’est que récemment que j’ai rencontré 2 tds dans la vraie vie, mais j’ai passé 3 ans et demi dans le secret, cachée, à imaginer que si ça s'apprenait ma vie était fichue et celle de mon fils aussi.
Cuisine 2
[une personne coupe des légumes]
- On est un régiment à manger ce soir
- Bah, ça réduit les poireaux hein. Tu sais c’était marrant de voir qu’il y avait plein de gens qui nous disait « ah c’est trop bien que vous vous soyez ensemble, deux tds c’est génial, vous devez trop vous comprendre ». Mais on ne pouvait pas être plus différent.es ! On n’avait vraiment pas du tout le même rapport au taf !
- Oui on avait dit c’est comme si un boulanger et un pâtissier se parlait de taf en mode « ah ouais toi aussi parfois tu fais des croissants ? »
- Bah, tu sais j’étais un peu en mode « hé bébé te mets pas en danger ! »
- Ah ouais je l’ai jamais vu comme ça, je me suis plus dit « ah ouais c’est vrai que je fais un peu n’imp’ »
- Ben je pense que tu faisais un peu nimp’.
- Bref, concrètement j’ai déjà eu des comportements super à risque, et je pense que tu m’as grave ouvert les yeux là-dessus.
- C’est un taf hyper différent bien sûr parce qu’on n’a pas la même clientèle, mais le principe et le stigmat restent les mêmes… Qu’est-ce que tu mates ?
- Mon rouge à lèvre.
- Mais il a pas bougé.
- Ouais je suis toujours belle ! Tu sais que je me souviens même pas de la première fois que tu m’as dis que tu faisais ça.
- Je pense que tu le savais déjà.
- Non.
- T’es sûre ?
- Non je vois pas par qui. Je pense que nos potes communs ne t’auraient pas outé .
- Ok.
- Je pense qu’à un moment t’as dû me le dire mais ça a dû arriver tellement naturellement… et moi je sais plus la première fois que je te l’ai dis non plus.
- Ah mais si ! Au premier date chez moi, avec la petite tartelette là ?
- Mais c’est fou de pas s’en souvenir nan ?!
- Bah, c’est que c’était pas si important.
- Quand même…
- Chai pas...
Cuisine 1
[Arrière plan]
- Tu veux que j’arrête de manger les courgettes crues ?
- Ben après sinon…
[Premier plan]
- Sinon, à l’époque où je t’avais pas dit, tu voyais que j’avais des thunes qui venaient d’un peu nulle part, tu t’es jamais posé la question ?
- Moi je croyais que tu étais très forte à vivre avec le rsa !
Rires
- Je suis très forte à vivre avec le rsa !
- Même mon père il m’a dit « elle est impressionnante quand même, toutes ces économies qu’elle arrive à faire ! »
- En même temps, j’ai un peu commencé pour l’argent. N’importe quel autre taf qui serait payé aussi bien et qui implique pas d’exploiter des gens… Parce que c’est pour ça que c’est aussi cher aussi, c’est parce que personne veut le faire. Tout le monde dit « ouais argent facile », ben vas-y fais-le !
Narratrice
A chaque rendez-vous, elle serrait les dents, je le savais, j’entendais comme des canines éclater dans ma tête dès que j’enfilais une robe et des talons.
Le problème, c’était pas l’idée que je sois pute. Le problème, c’était les autres : les clients et mes collègues de duo. Ces autres corps autorisés à accéder au mien. Le problème, c’était le sexe sans elle.
Une fois, elle a dit « tu vois, c’est comme si ça rendait notre sexualité à nous moins sacrée ».
Je me suis sentie… sale. Plus que le taf ne me l’avait jamais fait sentir. D’un coup dans ses yeux, je me suis vue crasseuse, le clebs aux poils pouilleux qui monte des égouts jusqu’à son palais pour souiller ses draps bien lavés. Et dégueulasser son beau désir. Je me suis dit que ça passerait, j’étais bien quand même, enfermée dans son coeur, sa maison close.
Ensemble, on planait dans son ciel de lit, alors le coup du sacré, ça m’a collé les boules.
J’ai consulté une collègue et amie qui m’a dit
La collègue et amie
[Elle croque dans une biscotte.]
Ben tu sais, donne lui une comparaison avec un métier du care. Genre le lien mère-enfant est un lien qui passe aussi pour sacré, mais on dit jamais aux mères qu’elles pourraient pas être nounou parce que leur lien aux autres enfants rendraient moins sacré le lien à leurs propres enfants, tu vois.
Narratrice
J’ai trouvé ça brillant. Les putes sont brillantes.
La campagne, un marécage.
[Quelqu’un marche, et s’arrête au non loin d’une rivière, dans un marécage.]
- Ouais je suis une pute des marécages. Des milieux visqueux. Avec un caractère de chardon. J’adore ces plantes. Tu peux pas les offrir parce que tu peux pas les cueillir, elles sont trop piquantes. Mais les fleurs elles sont trop belles. Les abeilles mettent le pollen sur leurs pattes, et c’est le pollen le plus beau, il est rose vif.
En terrasse d’un café sur une place
-Tu veux boire quelque chose ?
- Non non.
- Tu te souviens quand je te disais que par rapport à ton travail notre sexualité a changé. - C’était ce truc où si tu travailles, tu vas pas forcément jouir avec moi, parce que tu te dis que ça va être plus compliqué pour toi après d’avoir une érection avec les clients.
- Y’a aussi l’usage de mon pénis en tant que personne pénétrante, quand je m’en sers trop avec des clients, c’est quand même des pénétrations qui pour moi sont un peu source de douleurs. Et il y a quand même ça que tu considères et tu fais vachement gaffe à moi là-dessus.
- Oui je vais avoir de la culpabilité à avoir un rapport où tu dois dois être active encore une fois. Et j’ai mis du temps à arriver à me dire que même si on fait la même chose ensemble, c’est pas le même acte avec moi qu’avec les clients.
- Oui je te l’ai dit, redit, répété, ça n’a rien à voir.
- Et je vais me dire « ah mince je suis en train de la caresser comme ses clients » ou « je suis en train de lui demander la même chose que ses clients”. Et tu vois ça serait quoi la différence finalement ?
- C’est que je t’aime. Tu vois quand je vais dans une presta je suis obligée de focus en mode « il faut que je sois excitée, les clients viennent voir une meuf trans qui bande », et du coup je prends mes doses de Cialis, je dois trouver des stratégies physiques pour créer une stimulation sur mon pénis pour arriver à bander et leur faire croire que je suis excitée, etc. Et du coup, je sors d’une presta où en fait ça m’a demandé beaucoup d’énergie pour cumuler tous les trucs que je donne, enfin que je vends, et du coup je sors de là, j’ai juste envie de me jeter sur toi et de vivre, de réellement partager.
Le marécage
[préparation d’un pique nique]
- Attends je t’en mets deux peut-être. J’avais trop faim en fait. Et là, mon amoureux, ça fait deux ans que j’essaie d’en parler une fois par mois. Parce que c’est ok, mais c’était la première fois qu’il sortait avec un gars qui faisait ça, et je crois pas qu’il ait trop côtoyé de gens qui faisaient ça. Il avait pas l’air de trop capter le temps que ça prenait, et ce que ça faisait sur les corps. Du coup, j’ai un peu aménagé le truc. Je m’allonge pas à côté de lui en lui en fumant une clope en lui racontant ce que les clients m’ont fait. Mais j’aimerais, en soi, j’aimerais trop. Mais c’est pas grave, j’ai des ami.es avec qui bitcher sur les clients. Je sens que c’est pas hyper à l’aise, et des fois ça me rend un peu triste, du coup je sonde un peu : chaque mois je dis « oui j’ai vu des gens ce mois-ci » .
Narratrice
De l’intimité, c’est aussi ça que je vends. C’est pas vraiment la mienne. Je vends ça déguisé, trafficoté, à partir de ce que j’ai au départ. Je vends un truc qui est un peu moi mais pas complètement : je pousse certains potards à fond, j’en descend d’autres, je suis ma propre table de mixage.
C’était moche parce qu’il fallait sans cesse clarifier ça, même si elle savait que je savais qu’elle savait, à quel point ça n’avait rien à voir.
Cuisine 2
- Rire -
- Nan mais quand on s'est rencontré.es du coup, en tout cas les premières fois où on a ken ensemble, nous deux dans notre vie quoi, je crois que tu savais déjà que je faisais de la dom, du coup ça m’avait fait un truc d’énorme pression que je doive performer un espèce de truc « tu vas voir, je suis un hyper bon dom, je suis hyper à l’aise »
Alors que moi je suis la pire bottom ever !- Rires -
Mais du coup je sentais la pression de performer un truc, et ça je l’ai dans toutes mes relations, du coup je me sentais un peu investi d’une mission de te montrer que j’étais mister gros bras et que je savais faire les gros yeux. Mais en réalité j’avais pas du tout envie de ça, tu vois.
- Mais dire qu’il a fallu une rupture pour parler de ça… quelle horreur… en 7 mois de relation, toutes ces discussions où on a jamais parlé de ça… Mais ça m’avait jamais traversé l’esprit cette analyse-là.
- Moi j’étais plus à l’aise de taffer avec toi en étant plus avec toi, quand on a fait cette passe ensemble, j’étais plus à l’aise de se dire qu’il y avait… bon y’avait quand même un petit enjeu bien sûr, mais je veux dire c'était moins… Anyway.
Le marécage
[Bruit d’insectes et de rivière ]
- Non mais avec la distance on va dire l’an prochain. J’aimerais que ça soit ok d’en parler, parce qu’aussi je trouve que c’est bien s'il se rend compte que dans notre relation intime, ça a une influence quand même, pas mal d’influence. Aussi de prendre le temps de lui expliquer. Parce que moi je comprends que les détails il a pas envie de les avoir. Ca je respecte tout à fait. Mais en parler, ça j’ai un manque, j’ai une frustration. En parler en soi, de ce que ça agit sur nous deux. Par exemple, sur ce que je fais avec les gars. Parce que je vois principalement des hétéros dans le grand fossé des refoulés - rires - des hétéros du précipice. - rire - Du coup, tous ces hétéros du précipice, eux c’est fou mais quelque part ils m’apprennent des trucs d’hétéros que je connaissais pas. Parce qu’ils ont souvent des femmes, et du coup j’ai un peu une sexualité chelou parce qu'ils me demandent des trucs que j’aurai jamais fait. Du coup ça a une incidence, et ça j’aimerais bien en parler. J’ai pas envie de lui foutre la pression, mais par contre j’aimerais bien savoir pourquoi ça le gêne et comprendre, parce que je sens que c’est à deux doigts de… ça pourrait être un tabou assez vite vu l’état de sa tête. C’est un refus et c’est aussi parce qu’il m’a dit que c’était mon truc. Et que c’est pas son truc, et que du coup il saurait pas quoi dire. Je pense que la distance joue pas mal dans la fragilité que ça pourrait créer dans la discussion. Je pense qu’affectivement c’est un peu chaud. Des fois s’il se dit « oh putain là il est en train de voir des cadres sup darons dans des hôtels pourris », peut être que ça le fait cogiter. Je pense qu’il doit se dire, du coup je parle à sa place, c’est relou parce qu’on se voit que deux jours par mois et que je passe plus de temps avec des inconnus qu’avec lui quoi.
Cuisine 2
[les personnes coupent des légumes]
- Ben tu vois des fois quand on était ensemble et que tu me racontais tes bails de sugar daddy que tu avais eu avant et tatati et tatata… quand je vois les cadeaux qu’ils t’ont offert et tout, j’ai le seum, enfin j’avais le seum. Genre ça me rendait un peu jaloux parce que : deja, de un c’est des mecs cishet qui ont de la thune, donc déjà dans l’échelle…
- C’est des grosses merdes ?
- Oui maintenant tu dis ça mais ils sont un meilleur parti que moi, tds au rsa… Aussi, on en a déjà causé mais on était dans une relation qui a péché à cause de cette projection de couple butch/fem, et dans ce truc de répartition des rôles où de base ça aurait dû être moi qui devais t'inviter au resto, faire des bails de t’offrir des cadeaux, et en vrai qu’est-ce que je t'offrais? Des hauts faits en crochets. Et quand on allait au resto, c’est toi qui payait parce que t’avais plus d’argent. Du coup je me sentais un peu émasculé de mon rôle.
- Oh my god.
- Et du coup t’imaginer avec des riches dudes qui t’offrent des sacs Louis Vuitton…
- Quand j’avais genre 18 ans, that’s fucking creepy. T’as quand même pas grand chose à envier à un man qui offre des sacs à une ptite go de 18 ans pour aller au resto et la sauter dans une chambre d’hôtel.
- Dans les faits non, j’ai rien à leur envier, et si je réfléchis et que je branche les fils dans mon cerveau, bien sûr que j’ai rien à leur envier. Mais la jalousie, ou en tous cas l'insécurité, c’est pas des trucs rationnels. C’est juste que je me disais que si t’as envie d’avoir des relations suivies avec des man….
Un appartement parisien
[toc à la porte]
- Coucou
- Ça a été ton ptit trajet
- Ah putain!! Déjà j’arrive dans le métro, il y a un gars étalé sur…
[La conversation continue en fond.]
[En premier plan]
- Par contre avec mon ex, ça aurait jamais été une question. Parce qu’elle, elle considérait même pas que c’était un travail.
- C’est ça, elle a jamais passé ce cap là.
-Ben non, et je suis restée 5 ans avec elle, et j’ai commencé à travailler, j’étais déjà avec elle. Et elle a jamais considéré que je travaillais.
- Tout en bénéficiant de ton logement et de ton argent.
- Énormément.
- Je sais que dès que je t’ai rencontrée, ça m’a alertée de ouf. J’étais en mode donc la meuf juge, mais quand tu lui sers à table et que tu lui donne un logement y a pas de problème.
- Oui et moi je le faisais aussi pour qu’il n’y ai pas de problème. Je veux dire, je pense que c’était la seule façon que j’avais trouvée pour prendre un peu de pouvoir sur le fait qu’elle soit aussi imperméable à ma situation professionnelle, c’était qu’elle bénéficie d’une manière ou d’une autre de mes rentrées d’argent, et que du coup elle ne puisse pas nier que je gagne de l’argent.
Cuisine 2
- Ouais c’est ça la rhétorique de l’argent facile: t’ouvres ta bouche, y’a une bite qui arrive et après un billet de 100 qui tombe dans ta poche. Dans la tête des gens, voilà.
C’est ça, et va faire les photos, gérer les annonces, va recevoir des mails horribles à 4h du tam, avec des photos dégueu!
L'appartement parisien
- Mais même, les gens qui t’envisagent comme partenaires, faut qu’ils comprennent qu’on est pas juste des bons coups. Parce que c’est toujours quand ça les arrange: c’est un travail quand ça les arrange, la thune elle est légitime que quand ils en bénéficient, nos compétences, c’est légitime que quand ils en bénéficient, etc. Mais faut pas trop les mettre en avant parce qu’il faudrait pas les menacer!
Le marécage
- Et moi je vais le voir assez loin dans le Jura et du coup ça coûte un peu de thune à chaque fois. Mais c’est trop important donc je travaille plus pour ça. Je vais voir des clients pour financer le fait d’aller le voir. Parce qu’à chaque fois je lui dis “je peux pas venir ce week-end j’ai pas de thune, faut que je vois quelques clients. Je lui dis clairement. Et j’ai l’impression que ça crée un truc en lui de dépendance que je suis pas sûr que ça ait été une bonne idée de lui formuler comme ça. Mais quand même dans ma compta ça a une place. C’est pas un job étudiant quoi.
Cuisine 2
- A l’époque, j’avais un rapport à l’argent et à ma vie qui était ultra capitaliste. J’avais pas déconstruit ces trucs-là. ça me faisait envie. J’étais trop fan d’avoir 4 sacs Louis Vuitton…
- Tu vois tu kiff!
- Non mais à l’époque ! Vu que j’ai jamais été du tout proche du milieu tds, parce que j’ai évolué dans des milieux bourgeois, moi j’aspirais juste à vouloir faire comme mes copines du lycée privé. A partir aux mêmes endroits en vacances, à pouvoir dire “moi aussi je suis allée à la corniche et au Pilat”. Et quand tu m’as dit que j’étais trop qualifiée pour le job parce que la passe était à 150 balles, j’étais un peu en mode ouais pour moi maintenant 150 balles ça représente plein de choses. Je vais reprendre un verre de Coca sur ce.
- Moi aussi. Hé tu peux prendre le gruyère in the frigo in the buanderie ?
- La buanderie ! Tu vois toi aussi t’as upgradé, maintenant t’as une buanderie.
- Oui j’ai une buanderie, un dressing, c’est moi le sugar daddy maintenant…. Je pense qu’il y a mille choses. De un, sur le marché de la pute, on n’est pas au même level parce que ben on a pas la même identité de genre, je sais pas très bien faire la conversation, par exemple… Mais bref, je me disais que ça venait renforcer le truc que moi je me considère comme moins chic que toi, et j’étais là à t’emmener dans ma vieille caisse pourri, faire une vieille passe pourrie, dans un vieux garage pourri… Je me disais que tu vaux mieux que ça mais c’était une manière maladroite de te faire un compliment, mais c’était sûrement malvenu.
- Bah je l’ai pas mal pris. Juste ça m’a fait grave réfléchir à mon rapport au fric, d’être en mode on va taper juste pour un ptit gars qui a vraiment envie de ça, il se le paye, et c’est peut-être un peu galère de se le payer, du coup ouais c’est pas les meilleurs taro que t’as vus dans ta vie…
Narratrice
Etre partenaire non-tds, c’est une drôle de place, un peu hybride : iels ne sont pas concerné.es mais se trouvent proche de l’expérience, et leur avis compte plus que celui de quiconque. Là, elle validait pas.
L’avis du partenaire, purée, j’avais toujours évité de m’y confronter, je m’étais bornée à ne pas m’outer, effacer mes historiques, planquer mon tel pro, ma lingerie, surveiller qu’aucune anecdote ne m’échappe. Me plier à la gymnastique exigeante du secret. Sauf que la gym, c’est pas mon truc et que j’étais fatiguée. Par elle, cette fois, je voulais être prise en entier, j’avais besoin d’être, comme n’importe qui, soutenue, et pas simplement tolérée. Fallait qu’elle accepte le chien dans sa maison, alors j’ai promis qu’il ne dormirait pas avec nous, qu’il resterait souvent dans le jardin, qu’il laisserait pas de trace de pattes dans la cuisine,. J’ai promis qu’un jour on vivrait sans chien.
Terrasse du café
- Il y avait ce truc au tout début que t’as commencé. J’étais resté pour une prestation. Enfin pas dans la même pièce mais dans la maison. Du coup, j’entendais les bruits et je l’avais très mal vécu. J’entendais tout et je me disais “elle est en train de faire ci ou ça”, ou “peut-être ça lui fait du mal”. Et après bon je m'étais dit qu'il fallait pas que je m’inflige ça. C’est que deux ans après que là, à plusieurs reprises, j’ai pu entendre, et que ça me gêne moins ou pas du tout.
- T’as vu j’ai progressé en simulation.
- Ouais j’ai plus reconnu tout cet aspect du théâtre, et que c’est une mise en scène en fait, quand tu accueille le client, quand tu lui parles.
- Tout à fait.
- Est-ce que ça devient pas bizarre en fait que je reste? Est-ce que c’est normal que ça me gêne pas spécialement?
- Ces derniers temps?
- Oui. Est-ce que je devrais pas être plus jaloux?
- Ah non pitié non! -rire-
L’appartement parisien
[une des personne posent des verres sur la table]
- Attends je prends un verre en plus. Hop! Bon ça dit quoi les relations toi?
- Ecoute, en ce moment je touche du bois, mais ça va. J’espère que ça va rester comme ça, tu vois, qu’il me fasse pas le coup de “je tombe amoureux de toi et je te veux que pour moi”. Mais pour l’instant ça se passe.
- Oui en sachant que même s’il tombait amoureux ça dépend de ce qu’il demande.
- Ben ouais, mais c’était le coup que m’avait fait Luc là!
- Ce boloss putain… Mais d’ailleurs ça a donné quoi depuis que tu m’as raconté que vous vous étiez croisé.es et qu’il a fait n’importe quoi?
- Il a dit qu’il fallait qu’on trouve une solution. Et j’ai dit que la solution, ça serait probablement qu’on arrête de se voir. Parce que du coup il se raconte l’histoire de “c’est une femme qui n’a pas de limites”, en gros.
- Moi c’était plus parce que j’étais pas intéressée par la non-exclusivité mais que j’étais escort, c’était louche et pas cohérent. Et sûrement malhonnête! Ouais… Bizarre quand même…
- Non mais ça va pas la tête hein.
- Ouais l’amalgame était très très ancré, parce que si après un an, elle en était toujours à se dire “Easy family, c’est un peu pareil au fond!”, genre…
Narratrice
Où est-ce qu’elle se loge, la putophobie dans nos cœurs d’amoureuxses… La sienne, qui perfuse lentement son poison, goutte à goutte huileux, imbibant insidieusement son cœur, comme une éponge à panique. Et qui engraisse la mienne, intériorisée, parce que c’est comme ça aussi, c’est comme un vase communiquant.
Après la rupture, elle s’est racontée que le tds n’était pas la seule raison de notre échec, que d’autres problèmes couvaient, et auraient fini par nous séparer. C’était pas faux, mais c’était pas vrai. Ce matin-là, il ne s’agissait que de ça.
L’appartement parisien
- Et je me suis rendue compte qu’à chaque fois que je parle de mon travail, de mes petits trucs : “Tiens ce iencli là j’ai trouvé le filon, je le lance sur tel sujet et hop on gagne 10 min, je m’économise”, que… si tu m’écoutes sous le prisme de l’angoisse ou des fantasmes, évidemment que tu te dis que je suis la dernière des manipulatrices. Alors qu’en fait non, tu demanderas à n’importe quel commercial, vendeur, infirmier, psychologues, etc, ils ont les mêmes tips! Mais c’est sûr que si tu lis ça sous cet angle, tu te dis “putain elle a une lecture et du pouvoir, c’est hyper inquiétant.” Alors que tu pourrais dire “stylé, elle a des compétences! Et vu que je partage une intimité avec cette personne et que je lui fais confiance, je pars du principe qu’elle ne l'utilise pas contre moi, et si j’ai un doute, je lui en parlerai avant de l’accuser!” Et du coup… aujourd’hui c’est une lutte pour pas juste disparaître de tous mes cercles sociaux, parce que j’ai peur de donner des arguments à toute personne qui, du jour au lendemain, aura un conflit avec moi, et se dira “ah mais je le savais!”
- Ouais t’as l’impression de mettre de l’eau dans leur moulin. Je capte grave.
- Et c’est tellement peu un sujet entre tds, parce que souvent on se dit “ah bah on n’a pas de chance, c’est vrai qu’être avec une tds c’est difficile”. Je vois des collègues se faire maltraiter dans leurs relations. Et à force de voir ça, et à force de vivre ça, vu que je l’ai vécu de manière très très intense pendant 2 ans, j’ai fini par douter de tout ce que je faisais. A perdre confiance en tout le monde, et d’abord en moi. Ah! Ma pizza!
- Ah bien vu!
Cuisine 1
[discussion sur le repas]
- Mais pour toi c’est difficile quand même.
-Pour moi c’est un peu plus difficile ouais. Et je me dis qu’en vous voyant, en essayant de comprendre plein de choses, ma vision change déjà. Elle a déjà changé d’il y a trois semaines.
- C’est ça, parce qu’il y a 3 semaines tu m’as dit ce truc qu’on nous dit tout le temps à nous les tds, qui est “mais toi ça te dérangerait si je le faisais?”
- Je t’ai dit ça?? Je m’en rappelle pas!
- Mais c’est pas grave, t’es pas le seul. Moi j’ai une copine avec qui je suis jamais sortie qui un jour me sort “ah moi je respecte hein mais je pourrais jamais sortir avec une tds.” Je lui ai dit “ben ça tombe bien parce que personne te l’a demandé déjà…”. Et donc je sais pas combien de temps je vais faire du GFE, et en reparlant ensemble je voyais bien que c’était dur pour toi à gérer.
- C’est dur ouais.
- Et comme moi j’ai toujours voulu faire que de la domination… mais j’avoue que c’est tellement plus facile l’escorting classique..
- Oui, le fait d’avoir entendu ce que j’ai entendu ya quelques minutes, je me dit qu’en disant ça, je t’impose aussi quelque part un truc sans m’en rendre compte
L'appartement parisien
- J’me dis, on va oublier la pizza, et après je recommence à parler, et du coup j’oublie la pizza.
- ça va croustiller sec!
Des fois j’arrive pas trop à distinguer la limite entre l part de sexisme et la part de putophobie. Des fois j’ai l’impression que la putophobie ça augmente en intensité le sexisme, et des fois il y a des trucs spécifiques à la putophobie. Et le fait que ça ait été aussi clair et direct les choses dont on t’accusait toi, et qu’on ait la chance de se connaître et de pouvoir partager ça, ça m’a énormément aidée à comprendre, après 5 ans de tds, une des formes que pouvait prendre la putophobie et que j’avais pas saisie du tout. Alors que je me suis rendue compte, en comprenant cette figure putophobe de la femme fatale manipulatrice, la mante religieuse, qui tire profit des autres forcément à leurs dépend, etc, il y a beaucoup de choses de ma vie qui se sont éclairées.
Narratrice
Je lui en veux d’essayer comme ça de troubler la surface lisse de la putophobie, pour en atténuer les contours. Je suis blessée qu’elle essaye de rhabiller tout ça plus acceptablement, de planquer sous le tapis la crotte du chien. Pour pas partir avec les mains souillées de tout ce qu’elle n’arrivait même pas à regarder.
L'appartement parisien
- Moi actuellement, c’est là mon cul-de-sac. C’est que si les personnes n’ont pas les outils, ou le courage, ou l’honnêteté, pour se dire “ah putain j’ai ressenti un truc hyper fort et j’ai mis des mots dessus, mais je me rend en discutant avec la personne concernée…” (quand on a la chance qu’on nous en parle et qu’on nous exclut pas, ou qu’on nous punisse pas) “...je vois que c’est pas exactement juste, je vais y réfléchir, et mon sentiment est valable, mon malaise est valable”.
Narratrice
Je flippais de mal faire, de mal dire. Je me suis dis que le mieux c’était de bien détester mes clients, les moquer ostensiblement, les mépriser tous en bloc et les ériger en déchets systématiques. En trouver un sympa, c’était mettre un coup de pied en plein dans son anxiété. Valait mieux en faire des caisses, pour pas qu’elle imagine que l’un d’eux pourrait un jour me plaire, même s’il était clair que ce jour ne viendrait jamais. La priorité c’était de faire attention à elle. Etre bien dégoûtée par les babines baveuses de l’animal, pour rejoindre, finalement, sa répulsion à elle. Pour être une bonne amoureuse, fallait que je sois une pute hypocrite.
L’appartement parisien
- ça a l’air moelleux, j’aimerais vivre dans cette petite brioche.
- Ouais je vais en prendre à un moment donné.
- J’avais tendance à grave l’épargner. A pas trop lui parler de mon taf, ou toujours d’un manière de “ouais, je suis vraiment une queen, je gère mon business”, mais pas forcément à lui parler ni trop des complications, ni trop des choses qui se passaient bien. Parce que je voyais bien que ça la mettait mal à l’aise, après elle était plutôt à l’écoute, enfin j’en avais l’impression. Je pense que j’ai un peu confondu un an de silence avec le fait qu’elle était grave ok. Parce qu’on s’était connues dans des sphères militantes, que je l’avais identifiée comme alliée (et qu’elle avait pu l’être réellement sur certains points), et que je donc je m’étais dit “ok stylé!”
- Oui en façade elle avait la bonne attitude.
- Oui voilà c’est ça, et puis c’est aussi ce que j’ai voulu voir hein. Parce que quand elle parle pas, c’est pas qu’elle accepte, c’est juste qu’elle dit rien. Et après ça moi je lui ai dit que ça serait peut-être important que ça soit un sujet. Et qu’elle puisse me dire “ok en ce moment j’ai tel rapport à ton taf…”
En mode elle t’informe et c’est cool.
- Oui avoir des repères de où elle en est sur ça.
La narratrice
Il est arrivé, 2 ou 3 fois, qu’elle me dise «moi je t’ai déjà dit hein, j’ai toujours su que je finirai avec une pute». Elle souriait à ce bon mot, alors je souriais aussi, et puis je répondais rien. Un peu parce qu’elle était belle quand elle souriait, un peu parce que je comprenais pas bien pourquoi ça me faisait ressentir un drôle de malaise.
Il y avait le verbe finir, comme un naufrage….
Il y avait le mot pute, qui sonnait différent dans sa bouche. Pas comme une insulte. Avec une pute... Dans sa bouche, ça sonnait un peu fier. J’étais un trophée scabreux, un grammy awards de la classe. Comme un accessoire clinquant, une grosse bagouze, pour bien montrer qu’on est assez dark et badass pour vivre un style de vie sulfureux. Comme un grand dogue noir au poil brillant, calme et dangereux, qu’elle tiendrait d’une laisse bien courte, assis très droit à ses pieds. Et peut-être, peut-être, il y avait là-dedans un peu de crânerie d’être celle qui ne paye pas.
L’appartement parisien
- Il me disait des trucs crades de “t’es dangereuse pour moi mais j’arrive pas à m’empêcher d’y aller” ou je ne sais quoi. J’étais en mode “règle tes problèmes!”
- C’est clair, tout seul frère.
- Surtout que le boug prétend être amoureux de je-ne-sais-qui mais en tout cas c’est pas moi, c’est surement le fantasme qu’il avait de moi. Mais d’une manière bizarre parce que du coup, dans sa tête, il me rend vicieuse. Il me rend powerfull mais d’une mauvaise manière: il me prête des intentions, mais en plus nauséabondes.
- Ouais nan mais putain… D’un côté il y aura le fantasme que tu serais surhumaine mais d’une bonne manière, et de l’autre que tu serais surhumaine mais d’une manière démoniaque.
Cuisine 2
[Les personnes dînent]
- Moi j’ai jamais eu vraiment de réflexions ouvertement putophobes. Plutôt des trucs de gens qui ne disent rien mais qui n’en pensent pas moins.
- Mais c’est pire je trouve.
- C’est vraiment frustrant parce que tu peux pas engueuler la personne frontalement! Tu sais les gens qui te disent “ah non non ça ne me pose pas problème!”
- Oui! “C’est grave ok!”?
- Oui!
- Ou les trucs de quand tu rejoins ta meuf après… Moi j’étais encore en tenue, et du coup je m’habille jamais comme ça dans la vraie vie, et du coup les gens sont un peu en mode “waouh”. Et moi je suis un peu tiraillé, parce que d’un côté ça me fait plaisir de voir que mes partenaires me trouvent hot, mais en fait c’est pas moi qu’ils trouvent hot, c’est mon perso de taf. et je trouve ça un peu malsain.
L’appartement parisien
- Je pense que moi je voulais tellement croire (bon après elle me faisait croire hein) que c’était une bonne alliée, un peu solide. Et elle elle voulait tellement pas toucher à son image de meuf politisée. Je pense qu’elle avait ultra peur d’elle-même voir où elle en était, mais aussi que moi je le vois. parce que c’est un truc sur lequel je suis hyper attentive avec mon entourage.
- Après bon, ça fait quand même plusieurs années qu’on taf, des gens on en a éduqués, des potes qui ont dit des conneries on en a eu, j’ai pas viré des gens de ma vie simplement parce qu’un jour dans la leur ils ont dit une connerie sur le tds.
- Ouais c’est clair.
- Je pense qu’on est quand même capables d’empathie, de patience et de compréhension. et si tu me dis quelque chose qui d’après moi dépasse une limite, je préfère que tu te sois senti.e assez à l’aise pour me le dire, et qu’on puisse en discuter et que je t’explique ce qui n’est pas ok, plutôt que tu joues ton truc d’allié.e, machin… et que un an après tu te retrouves avec quelqu’un qui est pas du tout ok avec la forme de ton taf.
Sur le tds on est concernées, mais sur d’autres sujets on est aussi des alliées ou on essaie de l’être: c’est tellement compliqué je trouve, de se montrer faillible, et pas juste dans une posture.
- Oui mais comment tu veux te reposer sur tes allié.es si tu connais pas leurs limites aussi?
Le marécage
Je pense que cet été faudrait qu’on discute de tout ça, au moment où la jauge d’affection est remplie et qu’on s’est retrouvés. Je pense qu’il faut en parler pour éviter un drama. Un rural drama. Un agri-drama. Et que je lui dise que ça m’angoisse, que j’ai peur de le perdre. J’ai peur que ça soit une angoisse aussi chez lui qui gonfle et qu’on voit pas venir. Et vu qu’on n’en parle pas énormément, j’ai peur que ça soit un truc qui monte. Que ça monte et que d’un coup je me rend compte genre dans 3 mois, qu’en fait ça a grignoté son coeur, et qu’il a plus confiance pour…
[Larmes et sanglots]
Tu veux de l’eau? Faut pas boire putain sinon il y aura encore plus de larmes.
La narratrice
Un jour, il y a eu le rendez-vous de trop.
Il y avait qqs règles, plus ou moins tacitement posées : ne pas dépasser un certain nombre de rdv ds le mois, et l’informer quelques jours à l’avance quand je taffais. Comme ça elle pouvait se préparer, se déplier un p’tit chapeau de pluie émotionnel, pour pas trop y penser.
Voix téléphone: « Je serai pas joignable cet aprem, je travaille finalement, tu t’inquiètes pas je t’aime bisoubisou etc »
Ça a été dur pour elle, elle avait pas le temps de se trouver un petit abri contre l’orage, et elle a pris le tonnerre en pleine face. Je me suis dit merde. Le molosse, il a commencé à s’agiter dans ses rêves, j’ai tendu la main, et j’ai senti sa bave au sol.
Je suis allée bosser, puante de culpabilité. J’avais une longue robe verte, qui se balançait à mes chevilles : à chaque pas qui me rapprochait du rendez-vous, je me disais que j’étais mauvaise de lui faire du mal consciemment, et je faisais quand même le pas suivant. J’ai même failli faire demi-tour, pis j’ai tenu bon.
Je me souviens encore de l’hôtel et du client. Un grand échalas insupp’ prénommé Xavier et qui se vantait de voter RN. C’était pour son pognon à lui, que je l’abimais elle.
Le lendemain soir, c’était mon anniversaire. Elle m’a offert un livre, et une vidéo où elle m’appelait « mon amour », et tout cela était accompagné d’une lettre de love et d’espoir. On s’est endormies comblées, comme d’habitude.
L’appartement parisien
- Tout ce qu’iels projettent ça déteint sur leur imaginaire de nous…
- Mais surtout le réel.
- Oui ça a des conséquences réelles.
- Oui parce qu’être insécurisé.e face à une tds avec qui tu relationnes, dans ce monde-là, normal, rien de choquant jusqu’ici. Mais tout l’enjeu pour moi, c’est ce que font les gens de ça. Est-ce qu’ils se voilent la face, est-ce qu’ils nous mentent, est-ce qu’ils nous punissent, ou est-ce qu’ils sont sincères, ils acceptent la vulnérabilité dans laquelle ça peut mettre, elleux et nous, et venez on travaille ensemble quoi!
La narratrice
Au réveil, elle a ouvert un œil, m’a regardée lui sourire, mais ce matin-là elle ne m’a pas souri en retour. A la place de « bonjour », elle a juste dit « faut que j’te parle ». Banal mais toujours efficace.
Dans ses fossettes, j’ai cru voir briller les crocs du grand chien.
Elle a laissé ses yeux s’embuer et puis elle a dit qu’elle n’en pouvait plus. Elle a dit que la seule chance serait de faire comme si mon travail n’existait pas, et de plus en parler. J’ai dit non. Elle m’a donné 6 mois. J’ai dit non. Elle a dit qu’alors elle pourrait pas. Fin du game.
Le marécage
[La personne s’adresse directement à son partenaire absent]
Mon ptit mec… Ben j’aimerais bien que tu saches que j’ai vraiment envie de prendre le temps de réfléchir à comment je vais envisager les années qui arrivent avec toi, par rapport à ça. Et que même s’il y a des périodes où j’arrête, j’ai trop envie de rencontrer d’autres putes, et qu’à la maison le soir il y aura peut-être des putes qui viendront dîner à la maison. Et je ferai en sorte que ça soit ok pour toi, que ça soit pas un gros nœud quoi.
Et mon ptit mec, aussi je voulais te dire que si un jour t’as envie d’écouter cet entretien, ben j’aimerais bien être là quand tu l’écoutes. Parce que je pense que ça doit pas être cool de l’écouter tout seul. Du coup tu me diras quand t’es prêt, et on fera ça.
Générique
Avec les voix de Billie Pantalon, Adda-Liam Saxton et Pauline Nulle Part
Musique: Péniche
Accompagnement à l'écriture et complicité: Billie Pantalon
Merci immense à toutes les personnes qui ont accepté de montrer le chien dans leur maison.