
Agrandissement : Illustration 1

De prime abord, on peut se demander quel est le lien entre les VSS (violences sexistes et sexuelles) et les fakemeds / le tantra ? Y a-t-il quelque chose d’inhérent à ces pratiques qui justifie l’existence d’un #MeToo spécifique ? Spoiler : absolument pas.
Les VSS résultent d’une combinaison complexe de facteurs sociaux et politiques tenant tous plus ou moins à la dimension cis-hétéropatriarcale de la société dans laquelle nous évoluons : domination exercée par les hommes, culture du viol, silenciation des victimes, impunité des agresseurs, minimisation des conséquences des VSS, décrédibilisation et invisibilisation des luttes féministes, complaisance (voire complicité) des pouvoirs publics, autres instances décisionnaires et médias etc. Rien de spécifique aux pratiques pseudo-médicales ou new-ageuses donc.
Alors pourquoi encourager l’existence d’un #MeToo spécifique au tantra et aux pseudo-médecines plutôt que de visibiliser le #MeToo « générique » – et au passage le travail titanesque accompli par les asso et collectifs féministes de lutte contre les VSS ?
Bonne question… à laquelle nous cherchons encore une réponse satisfaisante.
Certaines personnes indiquent que le risque de VSS serait plus importantes au sein des pseudo-médecines, car ces personnes ne sont pas professionnelles de santé. Sauf qu’être professionnel.le de santé n’a jamais empêché qui que ce soit de commettre des VSS (et nous aurions presque envie de dire « au contraire ! » car l’autorité exercée par les professionnel.les de santé les place dans un rapport de domination qui facilite les VSS…). Par ailleurs, les pseudo-thérapeuthes et tantrikas auteurs de VSS n’ont pas la « chance » d’être couverts par leurs ordres professionnels, eux…
Quant au fait que les VSS seraient plus fréquentes au sein des milieux pseudo-médicaux et new-ageux que dans le milieu médical, on attend toujours la source de cette affirmation… Et ce sera sûrement très long avant d’obtenir ces statistiques, car cela induirait de recenser (enfin!) l’ensemble des VSS commises par les professionnel.les de santé. Et pour l’instant, le milieu médical n’en est pas à ce stade de remise en question : les ressources sont plutôt allouées à promouvoir l’idée que les professionnel.les de santé sont des allié.es pour lutter contre les VSS (à l’heure actuelle ce n’est évidemment pas le cas, ce serait même plutôt l’inverse...).
Autre question qui nous taraude : depuis quand les sceptiques et zététiciens s’intéressent à la lutte contre les VSS dans une perspective féministe (seule perspective qui puisse avoir du sens en la matière…) ? Hé bien, depuis jamais… C’est d’ailleurs sûrement pour cela que l’engouement pour ces #MeTooFakemed #MeTooTantra #MeTooOsteo n’est pas associé à une visibilisation massive des travaux des associations et collectifs de lutte féministe contre les VSS, ni même associé à une discours politisé sur ce sujet.
Pour mémoire, ce qui se fait de « mieux » actuellement en termes de « féminisme » dans les milieux sceptiques (du moins dans les sphères de vulgarisation les plus visibles), c’est d’essayer d’avoir des quotas de femmes et personnes trans sur les événements publics, ou au moins de dire en début d’interview/événement qu’on a demandé à des femmes de prendre la parole mais qu’elles ont pas voulu/pu venir (sous titre pour celleux qui n’ont pas encore le décodeur : « Alors du coup c’est pas de notre faute, hein, si on est encore cette fois juste entre mecs cis. Elles ont qu’à faire garder leurs gosses pour se rendre disponibles, se bousculer un peu pour supporter avec le sourire la transmisogynie ambiante et arrêter de se sentir bêtement illégitimes à prendre la parole quand on leur tend généreusement un micro pour leur faire profiter brièvement d’un millième de la place hégémonique qu’on occupe ! »).
Bref, aucune remise en question des rapports de domination, aucune dénonciation explicite du privilège cis-masculin, aucune action concrète qui témoignerait de la volonté de faire disparaître ces rapports de domination et privilèges… : en gros, aucune perspective féministe à l’horizon. C’est donc sans surprise qu’on rencontre dans certains espaces et collectifs sceptiques une tolérance (voire une complaisance manifeste) pour des discours (trans)misogynes tendant à considérer les mouvements féministes comme relevant de dérives sectaires ou de « complot anti-hommes » (no joke). Mais aussi, de manière moins caricaturale mais tout aussi grave, une incapacité générale à identifier le caractère (trans)misogyne de certains propos/comportements des acteurs du milieu sceptique. Ce qui conduit notamment à des initiatives anti-féministes comme cette tribune récente qui nie la dimension systémique du sexisme et de la transphobie et l’existence de telles discriminations dans les sphères sceptiques (oui, les sceptiques auraient un super-pouvoir qui leur permettrait de s’extraire de manière tout à fait extraordinaire des rapports de domination induits par les oppressions systémiques !).
Cela s’inscrit dans la logique de l’illusion de neutralité dont se revendiquent bon nombre de sceptiques, qui « oublient » que leurs savoirs sont situés et que la neutralité politique n’existe pas (la « neutralité » par défaut étant une posture immobiliste donc conservatrice, c’est à dire favorable à la persistance des rapports de domination existants…).
Notre hypothèse au regard de ces éléments de contexte, c’est que ces #MeTooFakemed #MeTooTantra #MeTooOsteo ne s’intègrent aucunement dans dans une perspective féministe de lutte contre les VSS. A dire vrai, nous ne savons pas comment expliquer le succès de ces hashtags autrement que par la volonté d’alimenter un narratif un narratif binaire, simpliste et campiste « gentils médecins » VS « méchants pseudo-thérapeuthes » très éloigné de la réalité sociologique et politique, mais pourtant cher aux sceptiques et zététiciens les plus visibles.
On remarque également que ces hashtags ont été majoritairement lancés et propulsés… par des hommes ! On notera au passage le sexisme mêlé de putophobie de l’annonce du petit dernier de la série. Encore une belle illustration de l’absence d’engagement féministe derrière cette initiative…
En bref, ces hashtags résultent de la récupération opportuniste d’un outil féministe (développé par et pour les concernées), pour obtenir des témoignages publics de VSS qui seront utilisés non pas pour soutenir les victimes et visibiliser la lutte féministe contre les VSS, mais avec pour objectif (conscient ou pas) de servir les habituels discours anti-fakemeds et anti-new-age manichéens et dépolitisés. Des discours qui ne rendent service à personne (et sûrement pas aux victimes concernées), et qui ont pour seules conséquences d’invisibiliser toujours plus nos luttes féministes… et de flatter l’égo de celleux qui croient penser mieux que les autres.
En somme, une instrumentalisation détestable des violences que nous subissons, de nos témoignages et de nos luttes. Et ça, en tant que féministes et victimes de VSS, ça nous file la gerbe. Au moins autant que si Zemmour avait eu la « brillante » idée de lancer le #MeTooMigrants…
Publication anonyme. Cet article a été écrit par et à l’initiative directe d’auteurices, membres de ZSF. Ce n’est pas un article écrit collectivement par l’ensemble de la communauté ZSF