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Billet de blog 29 juin 2024

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Aux réfractaires du dimanche

**Ceci n’est ni un tirage de cartes pour lire l’avenir, ni un tirage d’oreilles individuelles, mais une réflexion autour de notre/votre pouvoir d’agir.** Cher•es abstentionnistes de gauche/d’extrême gauche…

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© mila preslova

**Ceci n’est ni un tirage de cartes pour lire l’avenir, ni un tirage d’oreilles individuelles, mais une réflexion autour de notre/votre pouvoir d’agir.**

Cher·es abstentionnistes de gauche/d’extrême gauche,

J’adore vous lire. J’adore débattre avec vous. J’adore les avancées intellectuelles que vous avez impulsées. Mais cette adoration, je me demande, là, à quoi elle sert.

Et bien pas à grand chose, me semble-t-il, face aux violences qui nous claquent à la gueule et aux menaces qui nous claquent aux oreilles, depuis la dissolution.

Alors sans doute que cette-fois, il va falloir lever un peu les yeux de nos Infokiosques, des auto-fictions anti-systèmes qui nous permettent, sans doute, de sauver le peu d’égo que le cruel narratif de la norme nous aura laissé, de nos romantismes révolutionnaires qui finissent par préférer le feu au bouclier. Va falloir aller voter, quoi.

Sauf si vous avez perdu espoir. Et ça s’entend. Mais ça n’empêche pas, alors, de s’interroger sur ce qu’on fait collectivement des renoncements individuels, des conséquences de la glorification de notre cynisme plutôt que la prise en charge de nos détresses.

On ne respire pas le même air que nos ancêtres, certes. Mais les souffles fétides du passé peuvent tout de même nous faire sentir quand le vent tourne. Et oui, là, ça pue et pas qu’un peu.

Les colossaux écarts de richesses, les écrasements en série des revendications sociales, la désensibilisation du sort de populations civiles dont le statut passe si vite de victimes à bourreaux, les violences policières et pénitentiaires qui se répètent, le masculinisme en flèche, les dérives sectaires en flèche, la déglingue du service public, l’appropriation confusionniste des valeurs de gauche par la droite et son extrême, leur fourbe relativisme, le mythe d’un grand remplacement qui se diffuse comme argument politique recevable… tout ceci représente des composantes de situations déjà traversées à plusieurs époques, des sillons déjà empruntés, et qui peuvent mener aux mêmes endroits tragiques.

Une autre brèche déjà creusée, et qu’il serait utile de repérer en tant que telle, c’est celle de la place que prennent les débats autour de l’antisémitisme.

Peu importe ce qui se passe à l’international, à chaque début de tempête sanglante dans l’Histoire, la “question juive” revient, et ses “réponses” sont globalement toujours aussi déplorables. Entre la droite et son extrême qui veulent nous faire croire qu’elles se positionnent contre l’antisémitisme parce qu’elles sont pro-Netanyaou, pour l’extermination des Palestien·nes et l’exclusion des personnes musulmanes de France, et la gauche qui refuse de se former aux spécificités de l’antisemisme, et qui se rassemble autour de l’attaque des puissant·es sans prendre le temps de les définir vraiment, ça laisse peu de respiration pour lire une si grande phrase (et encore moins pour les personnes concernées qui se retrouvent complètement coincées). Et dans notre camp aussi, on a sérieusement intérêt à se tenir à de solides rampes pour pas glisser. Parce que cette loupe braquée sur une communauté supposément omnipotente, et qui représente moins de 1% de la population française, c’est une fixette qui a aspiré bon nombre de grandes figures d’extrême gauche jusqu’au désastre.

On en a vu des Doriot, passé de la gauche à un collaborationniste de premier ordre, ou des Binet, passé de jeune coco à papa des identitaires. On les a vus, nombreux, se jeter tête en avant sur le toboggan de l’antisémitisme pour passer de l’extrême gauche à l’extrême droite. Y’a pas de raison de lâcher cette vigilance dans nos communautés. Pas parce que l’antisémitisme est plus ou moins grave que les autres sujets d’oppression, mais parce qu’il est le marqueur historique des dérapages incontrôlés qui mènent aux catastrophes pour tous les groupes minorisés.

Et non, la gauche n’axe pas ses perspectives sur un programme discriminatoire, contrairement à l’extrême droite. Raison de plus pour veiller à ce qu’on ne s’écarte pas de cette directive commune. Encore faut-il qu’elle arrive au pouvoir.

J’entends que de toute façon, nous sommes déjà dans une société fasciste, alors pourquoi lutter avec les outils institutionnels quand on peut faire nos trucs dans nos coin. Alors, oui, on peut sans doute dire que notre société comporte aujourd’hui des tendances d’extrême droite ciblant certaines populations. Et ces populations savent, elles, qu’on ne peut pas être autonome en tant que cible.

Les personnes TDS/prostituées migrantes, dont l’ombre de la caresse d’un espoir de papiers français est troqué contre un parcours de sortie profondément humiliant, les personnes handicapées dont la survie dépend du système hospitalier qui les maltraite, les personnes précaires tributaires de services publics qui n’ont même plus le temps d’une simple considération, les familles voyageuses sans airs d’accueil, les habitant·es de Martinique et de Guadeloupe qui se nourrissent de produits intoxiqués au chlordécone, les personnes sans papiers qui se font exploiter par des patrons saisonniers, violentées par la police, l’administration, les centres d’accueil, les personnes trans qui ont besoin des hormones concédées par des médecins qui les brutalisent… la liste pourrait courir tout le long des slides restants.

Et bien toutes ces personnes-là, imaginez leurs (sur)vies sans groupe en auto-gestion, sans aide alimentaire, sans asso. Si le RN ou si Renaissance passent, non seulement la liste s’allongera, mais le peu de ces soutiens salvateurs disparaîtra. Je pense particulièrement aux asso communautaires, dont les membres se retrouveront de fait en danger, et qui devront lutter pour leurs pommes, se cacher ou fuir, pour celleux qui le peuvent. Alors certes, pas tout de suite, parce que tous les régimes fascistes ont commencé tranquiloubilou, bien souvent avec des lois économiques pas trop déconnantes. Mais ça arrivera. Et on n’a aucune idée de quand ça s’arrêtera. Poutine, ça fait 25 ans qu’il est au pouvoir. Erdogan, 21. Orban, 14. Modi, 10. Ils ont tous été élus.

Y’a qu’a voir toutes les mesures qu’on a cessées de combattre par usure, enseveli·es sous tant d’autres, toutes celles où on a laissé le soin aux concerné·es de juste crier un peu plus fort quand un palier supplémentaire est franchi. Regardez l’interdiction du port du voile à l’école, à quel point elle a servi à habituer les personnes musulmanes, les petites filles musulmanes, à grandir dans un environnement qui les rejète. Parce que des atteintes à la vie des personnes musulmanes, y’en a mille fois par jour, et qu’il n’est pas possible de s’insurger de manière active à chacune d’elles, c’est pas vrai.

Qu’on s’y oppose ou pas, ces agressions sont entrées dans la case « acceptable » de notre cerveau. Il suffit d’une pichenette pour qu’elles soient inscrites dans la loi. Le terrain est bien préparé. Et même si je ne doute pas qu’une grande partie de la gauche se dressera en premier lieu pour tenter de férocement faire barrage, nous marchons sur le même sol que celui de nos ennemi·es, celui-là même qu’iels ont passé des années à huiler, et nos/vos volontés seules ne suffiront pas à tenir debout pour protéger les personnes qui n’auront plus aucun moyen de défense.

Ne sous-estimons pas nos appuis d’aujourd’hui, même si l’espace se réduit.

Y’a pas que la faim qui fait les révolution, y’a l’espoir aussi. Sans liberté d’association, sans temps possible en dehors de nos survies individuelles, et sans stabilité psychologique minimum, on ne pourra pas lutter, même à bout de bras, comme on le fait aujourd’hui. Le front populaire de 36, il était tout mou. Ce sont les grèves qui l’ont forcé aux mesures sociales dont on profite encore aujourd’hui, et qui n’étaient pas franchement dans son programme (les 40h/semaine, les congés payés…).

Alors votons Nouveau Front Populaire pour nous donner la possibilité de le combattre.

Et qu’on soit bien d’accord, je m’adresse à vous parce que je considère la situation urgente, mais ce n’est certainement pas à cause de l’abstention qu’on en arrive là. On en arrive là par une multitude de petits chemins doucement défrichés. Par la nouvelle droite, depuis les années 70, qui n’épargne aucun de nos pans culturels (en s’inspirant des stratégies politiques d’un type de gauche, Gramsci). Par un Mégret, qui insistait pour former des cadres respectables au FN à présenter à la foule. Par les médias, ceux rachetés par des richissimes conservateurs, ou ceux qui n’ont pas mesuré les conséquences de leur besoin d’audience. Par le système d’une 5eme république à remettre en question. Par la complicité de la bourgeoisie, par les intérêts froids du capitalisme, par l’égocentrisme abyssal du libéralisme. Là aussi, la liste est longue.

Et je m’adresse à vous, aussi, parce que j’ai envie qu’on puisse continuer à s’engueuler (et je ne parle pas de violences communautaires), à confronter nos idées, à s’organiser malgré tout sur le terrain, à s’entraider, à intimement bricoler nos vies, et à publiquement réclamer nos droits.

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