Si je mourrais maintenant, je crois bien que je serai triste, et ma peine une grande peine. Ceux que j'aime et qui me manqueront pour toujours, ceux pour qui mon absence deviendrait soudain un chagrin inconsolable. Un être qui disparaît on ne sait où, de l'autre côté de cette vie, laisse à jamais quelque part une trace qui lui survit, une trace qui lui permet de vivre encore dans le souvenir d'un être qui se met un jour à croiser du regard le regard qui s'est éteint avec vous.
Non, je ne parle pas de ce que je ne pourrai plus voir. Je ne parle pas de ces moments de vie que mes doigts seraient encore capables de rassembler.
Je veux parler de ce mépris, de ce mépris qui parfois m'a laissé sans voix.
Il y a des choses que l'on a oubliées. Il y a des choses qui nous ont fait mal et que l'on n'arrive pas à comprendre ; d'autres que l'on est incapable de s'expliquer ; d'autres encore qui trouveront leur place dans la vie qui continuera malgré nous. Il y a des choses bien lointaines qui nous parlent encore avec autant de violence, autant de mépris car elles n'ont pas trouvé leur place dans notre histoire d'aujourd'hui.
Peut-être qu'elles n'en ont pas. Peut-être qu'elles ne doivent pas y participer, peut-être plus sous cette forme. Peut-être que nous ne savons pas encore ce dont nous avons besoin pour devenir heureux, que nous ne savons pas encore faire le tri dans ce qui nous manque. Peut-être ne sommes nous pas capables tout simplement de ne plus refaire les mêmes erreurs. Peut-être avons nous besoin d'oublier sans cesse ce qui nous a fait honte pour fabriquer d'autres moments de colère qui combattront les mêmes erreurs et oublier par quel chemin elles sont arrivées jusqu'à nous.
Le mépris pour notre histoire sera toujours un mépris pour nous-mêmes.
Il pousse où nos yeux refusent de voir et de marcher. Il vit dans les territoires où sont éparpillés les corps de tous ceux que nous avons été incapables d'enterrer dignement dans un lieu de paix de notre mémoire, avec un nom en majuscule, une date, quelques mots inscrits sur une pierre qui se tient debout et que l' étranger qui passe au loin ne peut manquer d'apercevoir.
Le mépris est partout chez lui. Il se nourrit des morts comme il se nourrit des vivants. Il vit à l'intérieur de notre propre muraille et s'épanouit. Il cherche, il tourmente partout le monde des vivants. Il cherche encore pour trouver la faille, cet endroit toujours fragile de l'écorce de notre être capable de saigner au moindre coup. Il trouve enfin la porte pour s'inviter à la table de ceux dont il va se repaître, ceux qui vivent au cœur de cette gerçure que le mépris vient voiler tout à coup, ceux qui doutent que le monde qu'on leur a réservé est un monde digne de leur humanité ; ceux qui ont acquis maintenant la certitude que ce monde est un monde vidé de son sens universel, un monde dans lequel il ne suffit plus d'appartenir à la race humaine pour que la moindre trace d'humanité du plus petit des êtres humains suffisent à susciter dignité et respect ; un monde de classe ; un monde forcément brutal, forcément violent ; un monde à l'intérieur duquel des hommes ont été capables de construire un autre monde ; un monde où on se paie le luxe de convoquer les plus pauvres pour les voir mourir à notre place.
"Vive la France I" (à écouter la suite !)
Les Acharnés - Mohamed Rouabhi
http://vimeo.com/53367563
(extrait - introduction - )