Enfant Héla Fattoumi, jouait avec le safsari (voile blanc des femmes tunisiennes) comme d'autres petites filles chaussent les escarpins de leur mère.
Aujourd'hui la directrice du CCN de Caen, interprète en solo Manta une chorégraphie qu'elle a créée avec son compagnon Eric Lamoureux, l'an passé, pour le festival Montpellier Danse.

©Laurent Philippe
Cette pièce est une tentative d'appropriation, donner une forme à l'informe, comment vit-on dans cet « espace »? C' est une interrogation, une exploration par le corps, un partage, celui d'une expérience intime et engagée, la sienne.
Danseuse émancipée, la danse comme lieu de liberté prise par le corps, femme arabe imprégnée d'une double culture et farouchement attachée à cette liberté, Héla Fattoumi interroge le hijab, ce voile des femmes musulmanes destiné à les rendre invisibles, les isoler.
Dans ce solo, son corps enfermé, réduit à ses gestes, raconte.
Décor minimal
Deux estrades
Dans la pénombre Héla Fatoumi arrive sur le plateau, le silence se fait, elle dépose un ordinateur sur l'une d'elles.
Projections d'images provenant du web.
Comme entrée en matière....
Une grande vidéo où une femme arabe, aux yeux immenses et trés fardés, explique un long moment et minutieusement, les secrets de son maquillage savant... des images se succèdent, un peu surréalistes, comme celle d'une femme en nijab, se baignant au côté de son mari en maillot de bain.
La lumière se fait
La musique envahit l'espace.
Première scène équivoque
Un monticule textile s'agite
que voyions nous sous l' amas de tissu...?
plutôt que devinons nous?
….est-ce une danse?
Nous croyions voir une tête ... il s'agit d'un bassin et de fesses....
La danseuse se redresse nous fait face , plante son regard sur le public
…..silence, immobilité...
l'image est forte
sous un voile couleur crème qui ne laisse apparaître que ce regard noir omniprésent
.....seule ouverture
seul mouvement..
celui de ses yeux en colère.
Enveloppés par le silence et ce regard
cette omniprésente /absence nous absorbe...
nous rend l'enfermement tangible.
Nous sommes suspendus..capturés.
Transparence en contre jour le corps, ondule, s'agite, compulsions, mouvements spasmodiques, compulsifs.

©DR
Manta
mantum
manteau … de la religieuse
….
La mante..religieuse
Le nid
Chrysalide.....
L'amante..
évocation érotique.....
le pouvoir évocateur de ce qui est caché
vison morbide.....
ce corps prisonnier qui s'agite
vision squelettique en transparence
Cape de femme avec un capuchon
vision poétique...
statuaire
vision aquatique
comme une grande raie de l'atlantique
Raie manta.

© Laurent Philippe.
Le corps s'affaisse... » s'écrase, disparaît... sous le poids de « la cage de tissu » il est engloutit, avalé.
Au final, quand Héla Fattoumi enfile un jean, des escarpins, on s émeut de ces gestes simples...de l'apparition de cette femme qui se met à chanter... sa voix, faisant suite à tout ce silence... cette absence, l'ensemble, nous apparaît comme une vison décalée.
« Pendant que je portais ce vêtement, j’avais tout le temps l’impression de ne plus avoir de corps, de ne plus être moi. »
Cette « proposition » artistique émeut.
Ce spectacle nous convoque, nous sommes touchés par cette présence unique et concentrée de l'artiste, immergée dans son propos, jamais submergée.
Touchés aussi par la sincérité, l'absence d'affectation et d'artifice.
J'ai aimé « l'habillage sonore », la présence alternative de musiques électroniques et orientales et du silence.
Cette pièce très épurée, dégage une grande force.
C'est une œuvre exutoire, libératrice, sans compromis, mais sans injonction.
Il est question d'enfermement et d'oppression mais aussi d 'émancipation de la femme et de liberté.
Pas de posture figée, cette chorégraphie qui est une « mise en questionnement », judicieuse, propose des images fortes, loin des discours didactiques ou pontifiants.
Manta est une œuvre plastique, un acte artistique, politique et social réjouissant et salutaire...
Manta: chorégraphie de Héla Fattoumi et Eric Lamoureux
du 6 au 16 avril au Théâtre de la Cité internationale Paris 14°
Du 20 au 21 aout 2010
au Tanz im August à Berlin

Illustration : Manta 2009, DR.