J'écris, parce que je ne digère pas. Je ne décolère pas. Je le prends comme une insulte.
Je suis militante écologiste et de gauche et j'ai fait barrage contre le Rassemblement national (RN) au second tour de la présidentielle de 2022. J'ai voté pour M. Macron, non pas pour lui et son projet, mais pour la démocratie, l'état de droit, nos libertés.
Mais pour le second tour des législatives de 2022, Macron et la plupart des figures politiques de son mouvement ont refusé de faire front républicain avec la NUPES contre le RN et ont comparé l'union de la gauche à l'extrême-droite.
Lors d'un discours de politique intérieure, alors qu'il était sur le tarmac, sur le point de partir pour l'Ukraine, Emmanuel Macron se pose en seul défenseur de la République et insinue que la NUPES, une union de la gauche, rassemblant la grande majorité des partis politiques de gauche, serait anti-républicaine, anti-démocratique, comparable au RN.
Si je ne suis pas en accord avec tout ce que la NUPES a porté, nous, les électeur-rices de la NUPES, sommes profondément républicain-es, pour la démocratie et l'état de droit et luttons contre le racisme, le sexisme, l'autoritarisme du RN.
Quel message nous envoie donc M. Macron ?
Je le prends en tout cas comme une insulte.
Aujourd'hui, la nouvelle Assemblée nationale comptera 89 député-es du Rassemblement national. Le nombre de leurs député-es a ainsi été multiplié par 10 par rapport aux élections législatives de 2017.
En quoi M. Macron est-il républicain ? En favorisant un parti d'extrême-droite tel que le RN, en quoi est-il le seul rempart républicain ?
Quel niveau de mépris y a-t-il chez M. Macron pour demander aux militant-es de gauche de faire barrage avec lui dans un front républicain contre le RN au second tour de la présidentielle de 2022 pour ensuite les accuser d'être anti-républicain-es et les mettre à égalité avec le RN ? Quel niveau de cynisme et d'opportunisme y a-t-il chez lui pour se poser en seul républicain, quand il a autant favorisé l'accès du RN à l'Assemblée nationale ? C'est utiliser la démocratie et le système politique de la Vème République à son avantage, à ses fins personnelles et électorales, pour se maintenir seul au pouvoir.
Avoir une majorité absolue au Parlement lui était bien pratique et lui donnait un outil pour mener ses politiques, seul.
Mais ce que je retiens, à part le goût amer de l'entrée à l'Assemblée nationale d'un groupe d'extrême-droite, c'est qu'au moins le Parlement aura un vrai rôle de contre-pouvoir face à l'exécutif.
M. Macron a donc cassé son jouet.
Certes, il ne s'agit pas de vanter l'instabilité gouvernementale de la IVème République, qui a vu 22 Gouvernements différents se succéder en l'espace de 12 ans seulement, mais nous sommes arrivé-es à un stade de la Vème République où le parlementarisme est tellement rationalisé et le pouvoir exécutif tellement personnalisé par l'élection au suffrage direct du Président de la République, que le Parlement confine à la chambre d'enregistrement des projets de l'exécutif. Le Gouvernement de M. Macron avait une marge de manœuvre trop grande.
Nous sommes en plein dans les limites et les dérives de la démocratie et de la Vème République, justifiant une réelle réflexion. Je ne sais pas si l'idée de la VIème République est la meilleure ou simplement bonne, je ne suis pas constitutionnaliste non plus, mais le plus important est et sera toujours de trouver un moyen de rendre notre pays le plus démocratique possible, et cela passe aussi et surtout, au-delà des lois et des Constitutions, par l'évolution des mentalités sur ce qu'est un contre-pouvoir, sur la séparation des pouvoirs telle qu'on la conçoit, sur l'importance de ne pas donner trop de pouvoir à un seul et sur la représentativité des pouvoirs exécutif et législatif.
Cette question de la représentativité est à mon avis l'une des questions centrales de cette réflexion à avoir et de l'évolution nécessaire des mentalités au sein de notre classe politique, puisqu'elle peut aussi redonner goût à la politique aux abstentionnistes. Si cette question est loin d'être la seule cause de l'abstention record qui a caractérisé ces dernières élections, il serait illusoire de penser pouvoir les y amener, si le système politique continue de renvoyer sans cesse cette image d'un pouvoir qui n'écoute pas le peuple qui en est à l'origine. Iels ne pourront jamais y revenir s'iels pensent qu'iels ne seront jamais écouté-es et que cela ne sert à rien. Macron joue avec ce pouvoir et n'écoute que lui. C'est du moins l'image qu'il nous renvoie. Les beaux discours ne suffisent pas. Que ce soit au niveau individuel ou collectif, les actes d'une personne comptent plus que les mots.
En tant que militante de gauche, si je n'ai jamais et ne serai jamais abstentionniste personnellement, je ne me sens pourtant pas plus écoutée que mes congénères, qui s'abstiennent. Lorsque je vote mais aussi quand je manifeste.
Mais est-ce que beaucoup, à droite comme à gauche (républicain-es), se sentent écouté-es par M. Macron et son Gouvernement ?
Gouvernée majoritairement depuis des décennies par la droite, j'ai beaucoup abaissé mon niveau d'exigence et mes standards envers mes représentant-es politiques au pouvoir, même si je continue à vitupérer contre les actes et idées que je ne partage pas. Je conçois évidemment que d'autres personnes que moi aient le droit de voir leurs idées représentées et/ou portées au pouvoir, même si nous n'avons pas les mêmes, tant que cela reste républicain et respectueux de la vie et de la dignité d'autrui et que le débat public est sain.
Mais, au-delà de mes convictions politiques, au fond, ce que j'attends comme minimum de leur part, c'est de ne pas mettre en danger notre République, notre démocratie, notre état de droit. Pourtant, M. Macron l'a fait, directement ou indirectement, avec ou sans l'intermédiaire de ses ministres. Il a favorisé, plus que ses prédécesseurs (même s'il n'est pas le seul) la banalisation d'idées anti-républicaines et anti-démocratiques, dans l'espace et le débat publics, tout en dénigrant les luttes pour les droits humains portées par la gauche, en les discréditant et les accusant de radicalité et d'extrémisme, de woke ou d'islam-ogauchistes.
Il a déplacé la focale sur la ringardisation des idées de gauche et des droits humains, pourtant des droits au centre des valeurs républicaines et démocratiques, pour normaliser les idées d'extrême-droite et laisser jouer nos peurs pour venir se poser en sauveur de la République. Il a mis en danger nos valeurs, ce pourquoi on continue de voter et de manifester en pensant que ce sont des droits. Et ce sont des droits inaliénables. Il a considéré les idées d'extrême-droite comme bien peu graves et sans conséquences en les banalisant pour ensuite se poser en seul défenseur des valeurs républicaines, afin de se maintenir au pouvoir. Si ce n'est pas jouer avec beaucoup d'inconséquence et d'inconscience avec le pouvoir, mais aussi le pays, les droits des citoyen-nes et la République même, alors c'est quoi ?
Donc, au-delà de nos idées divergentes, je n'ai plus confiance dans le Gouvernement pour partager mes valeurs républicaines. S'il se dit républicain, je n'ai vraiment pas la même notion qu'eux en tête. Est-ce appliquer des valeurs républicaines que de normaliser autant l'extrême-droite et sa haine, à ses seuls fins électorales ? Les partis d'extrême-droite ne sont pas les seuls coupables et responsables de véhiculer des idées aussi nauséabondes. M. Macron en est aussi responsable, en ayant autant permis leur banalisation. Parce que s'il dit condamner leurs idées et leurs valeurs, il minimise pourtant leur gravité et leurs conséquences néfastes sur les mentalités, les valeurs de notre République et le débat public, en ne voyant pas dans leur normalisation et leur prolifération un prix trop élevé et interdit à son maintien au pouvoir et à la conduite, coûte que coûte, de ses politiques.
Mais il a joué à un jeu tellement dangereux, que j'ose espérer que cette nouvelle Assemblée pourra y mettre fin, avant qu'il ne soit trop tard. Je formule donc un vœu, celui que l'union de la gauche, en tant que nouvelle force d'opposition principale, soit encore capable de rester unie pour nous offrir une part de représentation de nos idées au Parlement, un véritable contre-pouvoir parlementaire et un vrai débat public d'idées, tout en conservant nos valeurs profondément républicaines et démocratiques.