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Sans être un abruti parfait, le quidam place davantage ses ressources dans les questions sans qu’il s’ensuive mort d’homme, d’esprit ou de Narcisse. Il n’est ni croyant, ni scientifique, simplement une personne, à user de bon sens pour jauger de certains débats et prendre le temps de faire son opinion. Ceci dit, l’opinion n’étant jamais que la possibilité d’exercer un jugement sans preuve, il aura fort à faire pour que sa parole ne soit totalement vouée aux gémonies. Il lui faut redouter d’être audible pour celui qui cherche la preuve de l’existence des maux humains en espèce sonnante et trébuchante.
Il puisera cependant en lui ce qui assoie sa dignité, ainsi qu'une bonne connaissance de son existence : touffue, paradoxale - consciente de son inconscient aussi. Et dans l’histoire, sans grand H, un inépuisable fond de connaissances partagées, auquel il pourra se référer . Et c’est l’exemple d’un Pic de la Mirandole qui l’inspirera, avec ses neuf cents questions posées à la curie, qui fit si grand bien à la philosophie, au point que Dieu se saisisse de cette dernière pour l’intégrer à son catéchisme. Inévitables progrès que ces esprits singuliers, dans l'esprit de concorde, insufflent à leur temps, ouvrant aux sciences renaissantes des boulevards. La pomme de Dieu put enfin tomber sur Newton. Les scientifiques avaient le droit de croire. Et plus tard, Freud d'exister.
Au fond, le quidam n’a cure des enragés de la preuve scientifique, car rien ne pourrait le déloger du confort d’une vie que nombres d’incertitudes n’émeut, ce qui pour Kant, n’était pas peu intelligent. Rien donc ne presse pour séparer le bon grain de l’ivraie. Ses tribulations le poussent souvent à emprunter chemins de traverses, taillis et autres sentiers pour déambuler au grès de quelques intuitions.
Parmi ce qu’il sait, le langage, qui se révèle à lui, source de confusions ou de profusions. Pour parer certains reproches que la science pourrait lui adresser, s’il ne se hissait à son niveau, il relèvera le voile de l’origine des mots pour découvrir qu’il est plus prudent d’en définir l’usage, car les inclinations de la langue à épouser chaque époque, fait invariablement des mots, des alliés et/ou des traitres. Revenir aux sources lui semble une voie des plus paisibles, car la contemporanéité n’invente rien qui n’ait déjà été pensé, ce qui devrait au moins concilier les adversaires si ceux ci avait la sérénité royale des Habiles. Regarder plus loin que derrière, et pas en un seul endroit, mais de tous côtés. Cela lui donne invariablement un sentiment de vertige, de voir tout ce qu’il ignore et pourrait relier en mille lieux. Et comme les époques le lui montrent, il n’y avait pas une ou deux discordes à chaque génération, mais quantités. Tellement, qu’il ne saurait où donner de la tête.
Il sait pourtant qu’en n’étant pas un habile il s’expose à un risque. Car les demi-habiles n’ont cesse de le mépriser et lorsqu’ils regardent quelque part, rien d’autre n’existe. Préoccupés à révolutionner le monde, rien n’y suffit jamais pour obtenir les gratifications et reconnaissances nécessaires à leur savoir. Par forces semonces, exigent, quand bien même il y aurait paix à se contenter de ne pas tout savoir et cela serait sain, de l’Homme , qu’il se mesure à l’envi sous toutes les coutures, en poids et diamètres de vérités. L’ insupportable résistance de quidams échappant à l’ emprise de la vérité révélée, les met en rage. Leurs filets aussi serrés soient-ils, finalement ne remontent que du sable. Le désert pourrait leur convenir, fuyant toute pénombre personnelle.
Un quidam aimera mieux les poètes, les artistes, les rêveurs, car ils échappent aux sciences. Ils sont enviables, d’ajouter et tisser un réseau de liens au monde des hommes, de lumières fragiles et dansantes, éclatantes, réconfort de phares dans les ténèbres. Ils parlent, jouent et imaginent, avec force folie et exigence. Soulèvent du marbre arraché à la terre, des Daphné légères effleurant le ciel , grondent pour ceux foulés aux pieds, arrachent les morts de leurs tombeaux afin d’effrayer les criminels et nous consolent de l’absurdité de notre vie.
Dans leurs contrées, tourmentées, tragiques ou légères, riches de possibles, il n’y a pas d’étalon scientifique, mais des nécessités et forces incontournables. Ceux des sentiments, des émotions, de la folie et de la douleur, humaines, partagées par ceux qui la fréquentent. Quand bien même le quidam saura que l’arithmétique est un savoir sérieux, il ne respectera que les maîtres qui donnent à rendre moins indigente sa condition de fou civilisé, qu’il n’ignore pas. Le quidam se sait médiocre en bien des disciplines, cela ne le révolte pas.
S’il se demande pourquoi aux premiers jours il n’a pas de souvenirs, le quidam peut cependant trouver des traces mnésiques de voyages très anciens, où les repères étaient flous, car il n’était qu’intestins. La mémoire lui donne parfois à pressentir que les déchirures ne sont pas toujours à l’extérieur. Nul besoin d’explorer des neurones pour le savoir. Car il sait qu’on peut savoir sans preuve scientifique. Le vieillard qui le lui confirma fut sans doute Epicure. De connaître déjà du monde la possibilité d’ un infiniment petit pour le composer. Sans microscope hollandais. Nul besoin des outils des sciences pour pressentir l’inconscient et l’habiller de toutes sortes de costumes au grès des périodes. Les philosophes en parlaient bien avant Freud, qui s’en inspirait. Et d’habiller la subjectivité humaine devant les phénomènes du monde, des plus beaux et des plus grand costumes des dieux pour oser penser un jour que tout ne se joue pas à l’extérieur de nous, mais en nous.
Le quidam est terre à terre. Il ne se fait pas de bile. Les siècles passent, les hommes aussi, et des esprits curieux se réveillent toujours, redécouvrent les évidences et les renomment de mille manières. Sont-elles prouvées ou sont-elles à vivre ? L’inconscient ne dit jamais son dernier mot. Mais il gêne à l’évidence certains, quelques esprits obtus, cherchant toujours hors d’eux, ce qui les relie à une commune humanité. Car au delà de dénoncer, que proposent-ils de partager ? Comme le dirait Pascal, la science est une distraction comme une autre. Dommage que certains ne sachent partager la joie qu’elle leur procure.
Et c’est pour ce plomb triste et silencieux que l’on voudrait transformer l’or bavard et insaisissable de l’inconscient ?