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Billet de blog 28 mai 2015

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Les « Repats », entre African Dream et retour au pays natal

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Elles sont diplômées de grandes écoles françaises ou occupent des postes hautement qualifiés. Pourtant, ces jeunes femmes issues de la diaspora africaine ont fait le choix d’abandonner leurs vies parisiennes pour tenter leur chance en Afrique : ce sont les « Repats ». Une nouvelle génération, qui croit et veut  prendre part au développement d’une Afrique forte et performante. 

Alors que dans les années 80, on parlait de « fuite des cerveaux » africains pour désigner la migration des travailleurs qualifiés et éduqués des pays du Sud vers le Nord, aujourd’hui c’est tout l’inverse que l’on observe. On assiste, en effet, à ce qui pourrait être un retour des « cerveaux » en direction de l’Afrique, considérée aujourd’hui comme le nouvel Eldorado économique. Le terme tout indiqué pour parler de cette migration inversée est celui de « Repat ». « Repat » par opposition à expat, « Repat » comme diminutif du verbe « repatrier » avec cette idée de retour chez soi, à sa patrie. Massaké, Paola Audrey et Patricia sont « repats » et fières de l’être. Comme elles, nombre de jeunes diplômés issus de la diaspora africaine décident de rentrer dans leur pays d’origine ou dans un autre pays du continent africain, pour y faire carrière et pourquoi pas réaliser leur « African dream ».

L’attrait économique

Les migrations du Sud vers le Nord, telles qu’on a l’habitude de les connaître, se caractérisent souvent par des motivations d’ordre économique, avec un désir d’améliorer son sort et celui de sa famille. Pour les migrations des repats, les motivations sont elles aussi d’ordre économique mais avec une différence majeure: l’envie forte de réaliser son « african dream ». Un « african dream » qui ne repose pas sur un afro-optimisme béat mais sur des opportunités de business belles et bien présentes. Première zone de destination des investissements directs étrangers (hausse de 40 milliards de dollars entre 2011 et 2012), des prévisions de taux de croissance de 5% en moyenne en Afrique subsaharienne ou encore l’émergence d’une classe moyenne africaine sont autant d’éléments qui rassurent et poussent les jeunes entrepreneurs à tenter leur chance. « Abidjan bénéficie d’un dynamisme incroyable en termes de business, j’ai l’impression d’être à Manhattan! Il y a tout à faire, la marge de manœuvre est énorme », s’enthousiasme Paola Audrey Ndengue. Cette franco-camerounaise de 25 ans vit depuis 8 mois maintenant « au Plateau », en plein cœur du quartier d’affaires d’Abidjan, en Côte d’Ivoire.

Diplômée d’une école de commerce française, la jeune femme, au caractère bien trempé, ambitionnait au départ de travailler dans le milieu de la mode, d’autant plus que son stage à New York chez Stella Mccartney la conforte totalement dans ce choix. Mais c’est en créant Fashizblack, un webzine afropolitain de mode et culture prolongé ensuite par un magazine papier, qu’elle prend conscience de l’autre image de l’Afrique. Celle qu’on ne voit pas assez, moins stéréotypée et avec un formidable potentiel économique. Mais, lorsqu’elle cherche à développer son magazine, Paola Audrey Ndengue se heurte à des barrières. « Aujourd’hui en France, lorsque tu évoques des sujets ou projets afropolitains, cela parle à tout le monde. Mais à mon époque, c’était comme prêcher dans le désert. » Non seulement elle se sent prisonnière d’un plafond de verre mais est aussi frustrée de travailler sur des problématiques africaines sans être sur place. Basée aujourd’hui à Abidjan, Paola Audrey travaille dans une agence créative et est éditorialiste pour plusieurs médias lifestyle. « Si j’avais su, je serais venue bien plus tôt », avoue-t-elle avec le recul.

Comme elle, Massaké, 30 ans, a fait le choix du retour et croit à son « african dream ». « Il y a un champ de possibilités infinies car tout est à faire et tout est en chantier dans mon pays », s’exclame Massaké, rentrée il y a maintenant deux ans à Nouakchott, en Mauritanie. Cette jeune femme est venue poursuivre son cursus en France dès l’âge de 18 ans. Après des études en sciences physiques appliquées, suivies d’un stage au CNRS, elle ne se voit pas chercheuse et décide d’orienter sa formation vers la communication. A son retour en Mauritanie, elle travaille dans un premier temps dans des entreprises locales. Depuis peu, c’est vers l’entrepreneuriat que Massaké a décidé de se tourner, en travaillant sur le lancement prochain de sa propre agence de conseil en communication.

De son côté, Patricia Kakou, une franco-ivoirienne de 32 ans,  vient de lancer Ahead – Legal advisory, un cabinet de conseil juridique basé à Douala. Cette jeune femme pressée rentre à peine d’un voyage d’affaires à Abidjan et repart la semaine qui suit à Shanghaï, pour un colloque sur le droit. Diplômée d’un double master en droit des affaires et en sciences politique, Patricia a suivi également un cursus à  l’université NYU de New York où elle a même appris le mandarin. Son barreau obtenu, sa carrière semble déjà toute tracée. La jeune femme collabore avec de prestigieuses entreprises (BNP Paribas, Saint Gobain) puis dans un cabinet d’avocats de renommée internationale. Bien que Patricia se soit toujours dit qu’elle voulait faire quelque chose pour son continent, elle ne savait ni quand ni comment. Le déclic, elle l’a lorsque son travail l’amène à se déplacer régulièrement au Cameroun: non seulement cela lui permet de bien appréhender le droit local camerounais mais aussi et surtout de constater de ses yeux les opportunités à saisir.

Une vision panafricaniste

Mais au delà de l’aspect économique personnel, les « repats » sont surtout mus par une envie profonde d’accompagner un changement en Afrique et de participer au développement du continent. Cette envie de prendre part à la destinée de l’Afrique s’inscrit dans un courant profondément panafricaniste, le panafricanisme étant une idée politique qui promeut la solidarité entre tous les Africains du monde. Déjà en 1962, Maya Angelou, célèbre écrivain et poète afro-américaine, tentait le retour en Afrique (au Ghana), expérience qu’elle relate dans son livre « Un billet d’avion pour l’Afrique ». L ‘époque n’est pourtant pas la même, les raisons du retour diffèrent aussi, mais cette envie de retrouver ses origines, de rentrer chez soi est plus que d’actualité et commune également à des jeunes femmes bien de notre temps.

« Je viens d’un milieu modeste et j’ai eu la chance de pouvoir étudier en Europe. Revenir en Afrique pour moi, c’est transmettre une partie de ce que j’ai reçu et relayer des compétences », explique Patricia. « Quand on voit aujourd’hui les tragédies des naufrages de migrants, c’est juste horrible! C’est en désespoir de cause que les gens migrent dans ces conditions. Mais nous qui sommes allées de l’autre côté, nous pouvons revenir au pays avec des compétences, de l’espoir et leur montrer que même sans quitter le pays ils peuvent avoir une vie meilleure. Cela prendra certes du temps mais on va y arriver et c’est à cela qu’il faut s’accrocher », confie Patricia.

Cette envie d’apporter sa pierre à l’édifice, Massaké la ressent très rapidement, au point de dédier son mémoire de fin d’études à la notion de « nation branding » pour le cas de la Mauritanie (travail sur la communication d’un pays pour attirer des investisseurs, ndlr). « On a eu le meilleur des deux cultures (africaine et européenne), mais on sait que notre place est ici, là où on est le plus utile. Il n’est pas possible d’arriver ici juste pour faire un job “corporate” en mode metro-boulot-dodo. Bien au contraire, faire le choix de s’installer en Afrique, c’est surtout avoir une vision », explique Massaké.

Entre incrédulité et admiration

Quitter sa zone de confort et sa stabilité pour un nouveau continent et une nouvelle vie peut faire peur. C’est d’abord l’entourage qui exprime en premier son appréhension.

« Même si la plupart de mes amis ont compris mon choix, certains ont cru que je partais sous la contrainte, pour aller me marier à je ne sais qui », s’étonne encore Massaké du cliché très stéréotypé. Du côté de Paola Audrey, bien que l’annonce soit très bien vécue par ses proches, une crainte les tenaille : l’éventualité d’une instabilité politique, d’autant que des élections présidentielles approchent dans le pays. Quant à Patricia, elle se déplaçait déjà régulièrement en Afrique pour son travail. Même si son départ n’a pas surpris ses amis, ces derniers n’ont pu s’empêcher d’avoir des inquiétudes quant à l’environnement des affaires, réputé difficile en Afrique.

A l’inverse, le retour au bercail peut parfois être perçu comme un réel soulagement, c’est du moins le cas pour les parents de Massaké. « L’éducation que j’ai reçu est typiquement mauritanienne et nous conditionne au retour. Quoiqu’il arrive, l’Europe ou l’Amérique ne sont que des étapes, il faut ensuite rentrer au pays », explique Massaké.

La surprise de l’annonce passée fait place ensuite à l’admiration pour ces jeunes femmes. Leur courage et ambition fascinent et rendent fiers ceux restés en Europe.

Du rêve à la réalité

Il ne faut pourtant pas s’y tromper, le retour au pays n’est pas un conte de fée exempt de toutes difficultés. Entre des lenteurs administratives, des coupures d’électricité ou des connexions internet ralenties, il faut également accepter de ne plus avoir le même niveau de vie qu’auparavant.


« Certaines ont subi un vrai choc des cultures
, témoigne Massaké en parlant de certaines de ses amies rentrées. Elles sont complexées car elles ne parlent plus aussi bien qu’il faudrait leur langue et sont taxées  du coup de toubabs. »  Pour son cas personnel, Massaké n’hésite pas à dénoncer l’existence d’un népotisme flagrant, contre lequel elle ne pouvait lutter, lorsqu’elle s’est mise à travailler pour des entreprises locales. Patricia, de son côté, déplore le manque manifeste de formation et qualifications au moment de recruter pour son cabinet. Mais malgré ces difficultés, à la question d’un retour possible en France, la réponse est catégorique. Non, car toutes croient fondamentalement être à l’aube d’un tournant décisif pour l’Afrique et veulent en faire partie.

Un phénomène dont les séries et la littérature s’est emparé

Bien que le phénomène des « Repats » soit reconnu par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), agence intergouvernementale chargée de promouvoir les migrations, cette dernière admet ne pas être en mesure de le chiffrer pour autant.

Difficile pourtant de passer à côté du phénomène des « Repats », tant celui-ci est générationnel. Pour preuve, dans son livre « Americanah », paru en 2015 en France, Chimamanda Ngozi Adichie, auteur nigériane à succès,  y dépeint déjà le retour à Lagos au Nigéria d’Ifemelu, son héroïne, après ses études aux Etats-Unis. Il en est de même avec la web-série ghanéenne An African city, dont la première saison diffusée en 2014 a eu un succès mondial. Il s’agissait en l’occurrence de 5 amies trentenaires, ayant fait de grandes études aux Etats-Unis et à Londres, qui décident de rentrer faire leurs armes à Accra.

Un phénomène qui se politise

« Depuis 2001, nous constatons, il est vrai, un réel regain d’intérêt des Africains de la diaspora pour nos programmes Mida (migrations pour le développement en Afrique). Via ce programme de placements temporaires, notamment dans les secteurs de la santé ou de l’enseignement, nous aidons des pays africains à répondre aux carences en ressources humaines dont ils sont victimes, en faisant appel aux Africains de la diaspora », explique Tauhid Pascha, spécialiste des migrations liées au travail, basé au bureau de l’OIM Genève. D’après les dernières statistiques de l’OIM, le Nigéria, le Ghana et l’Angola sont les destinations qui ont généré le plus de placements, soit respectivement 356, 353 et 340 placements entre 2008 et avril 2015. Puis viennent le Maroc avec 290 placements et le Soudan avec 123 placements. Quoique temporaires, ces placements permettent à ceux qui en bénéficient de renouer avec leur pays d’origine et de contribuer à son développement tout en gardant un pied en Europe. Ils deviennent transnationaux. « Cela dit il y aura toujours une « fuite des cerveaux » du Sud vers le Nord, car les gens aspireront toujours à une meilleure éducation et à plus de diplômes. Mais la mise en place du programme MIDA ainsi que le phénomène actuel des « repats » permettent de réduire son impact négatif sur le pays », admet Tauhid Pasha.

Beaucoup d’événements de networking sont organisés par l’OIM en France, sans parler du nombre sans cesse grandissant de salons professionnels et conférences dédiés à la diaspora africaine.

Conscients de l’importance de ces retours, nombreux sont les gouvernements africains tels que le Rwanda ou encore lLe Congo-Brazzaville, qui incitent leur diaspora à revenir au bercail via des programmes d’aides au retour. Plus qu’un simple phénomène, les « repats » représentent aujourd’hui un réel enjeu stratégique pour répondre au défi économique qui attend l’Afrique.

Chayet Chiénin

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