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Théophile Malo
Chargé des relations avec l’Afrique du Nord et le Proche Orient dans une administration publique, membre de la commission internationale du Parti de Gauche
Le Conseil d’Etat a mis fin au volet judiciaire de la polémique née des arrêtés municipaux interdisant le port du burkini sur certaines plages.Jusqu’à quand ? On aurait tort de voir uniquement dans cet épisode une construction médiatique, même si la circulation en boucle des faits divers participe de l’hystérisation du débat. Comme le rappelait Georges Duby, « les événements sont comme l’écume de l’histoire, des bulles, grosses ou menues, qui crèvent en surface ». La bulle de ce mois d’août en dit long sur le climat de stigmatisation des français de confession musulmane.
Dans ce débat binaire, il ne s’agit pas de défendre le burkini, symbole outre de la marchandisation du religieux de l’avancée de pratiques rigoristes inspirées du salafisme et historiquement étrangères à l’immense majorité des musulmans. Minorité récusant la violence djihadiste mais dénonçant le caractère impie des sociétés dites « occidentales(isées) », les salafistes interpellent quiconque est attaché à la préservation d’une société dans laquelle l’identité publique des individus repose sur une citoyenneté politique et non une appartenance religieuse. Déplorer la mode du burkini n’est pas en soi un acte anti-musulman.
Mais sauf à en renverser le sens, le combat doit être mené sur le plan idéologique, culturel, social, et réellement fondé sur les principes de la République et de l’Etat de droit, actuellement manipulés par les adeptes des indignations à géométrie variable. Précisons qu’une lutte contretousles replis identitaires n’aurait de sens que couplée à une réduction des inégalités sociales, économiques et territoriales qui minent la République. Il n’est pas anodin qu’en ce même mois d’août soit passé inaperçu le fait que la France reste championne d’Europe des dividendes, avec 35 milliards d’euros ponctionnés par les actionnaires au seul deuxième trimestre 2016.
Ne s’embarrassant pas de ces complexités, quelques maires soutenus par le Premier ministre et l’ancien Président de la République ont choisi une interdiction ostentatoire du burkini, dans laquelle ils veulent s’enferrer malgré l’ordonnance du Conseil d’Etat. Ils ont ainsi ouvert une chasse au burkini, élargie à toute forme de voile, sur fond de stigmatisation globale. Nombre de français de confession musulmane, même éloignés du salafisme, se sont sentis sommés de devenir invisibles. Hypothèse bien sût jamais évoquée pour d’autres religions, même s’agissant de certains courants intégristes qui se font de moins en moins discret dans la dynamique lancée par des mouvements comme la Manif Pour Tous, ou autres.
La laïcité n’étant pas enfreinte, les arrêtés municipaux ont été pris au nom de « l’ordre public ». Dans un contexte post-attentats ce flou juridique ne pouvait que déchaîner les amalgames. « Les valeurs de la France et de la République » et la « dignité de la femme », ici défendues selon le Premier ministre, ont été piétinées. Ceux censés les préserver ont rétabli une police des mœurs dirigée contre une religion. On a connu mieux en matière de dignité de la femme que d’humilier une mère devant ses enfants. On a connu mieux en matière de défense de l’ordre public et des principes de la République que de favoriser des attroupements d’où ont fusé des insultes racistes qui se banalisent.
Dans un contexte explosif, ces élus pyromanes ont entretenu l’idée que la France serait confrontée à une guerre de religions, alors que le terrorisme islamiste repose non pas sur une religion ici manipulée, mais sur une idéologie aux racines géopolitiques, sociales, économiques et identitaires. La stigmatisation des musulmans renforce la tactique de ceux qui, comme Daech, cherchent à attiser les clivages religieux pour affaiblir les sociétés des pays qu’ils visent. Qui se rappelle aujourd’hui qu’un tiers des victimes de l’attentat de Nice étaient musulmanes ?
Cet épisode n’aura d’autre effet que de renforcer les crispations identitaires tous azimuts. En cataloguant tout un ensemble de citoyens français sur la base de leur appartenance confessionnelle réelle ou supposée, ces manipulations participent à créer une « communauté musulmane » qui en France n’existe ni politiquement ni sociologiquement (http://www.liberation.fr/debats/2016/08/21/la-communaute-musulmane-n-existe-pas_1473836), sauf dans les fantasmes de ceux qui la dénoncent ou de ceux qui aimeraient en prendre la tête. Le pouvoir tient un discours schizophrène aux français de confession musulmane. Il leur est sans cesse demandé de ne pas afficher leurs convictions religieuses. Ils sont dans le même temps sommés de réagir, en tant que musulmans, à des attaques terroristes face auxquelles une responsabilité particulière leur est imputée, alors même qu’ils en sont les premières victimes. Quant aux courants intégristes, ils ne pourront que profiter du sentiment de stigmatisation qui monte. En obtenant une victoire juridique logique dans un combat qu’ils n’avaient pas entamé sur ce terrain, les tenants d’une interprétation rigoriste de l’islam y ont ainsi gagné le statut de victimes.
Les élus qui ont pris ces décisions ne se sont pas souciés de la sécurité de leurs administrés, mais de courir après un Front national qui a imposé ses thématiques dans le débat public avec la complicité directe ou indirecte de pans entiers de nos « élites ». Et aussi d’occulter leurs turpitudes et responsabilités, ou ad minima celles de leurs partis, dans la dégradation de la sécurité. On s’est déjà exprimé sur la politique gouvernementale en la matière http://www.medelu.org/Nice-et-apres-Pour-une-reponse. La précédente majorité, dont sont issus la plupart des maires concernés, n’a pas un bilan plus reluisant. Elle a réduit les moyens des services de renseignement, de police et de justice. Elle a aligné la politique française au Proche Orient sur celles des principaux responsables du chaos sur lequel a prospéré le djihadisme. Ces choix ont été poursuivis par François Hollande.
Comble de la tartufferie, à l’été 2015 le gouvernement avait autorisé la privatisation de toute une plage de la Côte d’Azur durant un mois par le Roi d’Arabie Saoudite. La monarchie saoudienne est le fer-de-lance d’une variante des plus rétrogrades de l’Islam. Elle a pour des raisons idéologiques soutenu la diffusion du salafisme à l’échelle internationale. Elle a pour des raisons géopolitiques joué avec le feu en aidant des groupes djihadistes au Proche Orient. Mais elle est le premier acheteur d’arme de la France. Ce n’est pas le cas des femmes qui se sont vues stigmatisées sur les plages en ce triste été pour la Liberté, l’Egalité et la Fraternité.