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Billet de blog 1 octobre 2022

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Dans les Centres de rétention administrative, le cri d’alarme des retenus

Les rassemblements organisés par des associations de soutien se multiplient en France pour dénoncer les conditions de rétention au sein de prisons qui n’en ont pas le nom.

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Les Centres de rétention administrative (CRA) font l'objet de tensions croissantes

La nervosité ambiante aura agi comme une étincelle, lundi 28 février 2022, au Centre de rétention administrative (CRA) de Lyon Saint-Exupéry. L’incendie déclenché en fin d’après-midi, qui a mobilisé un important dispositif de secours, a conduit deux blessés graves à l’hôpital. C’est depuis leur cellule que des retenus auraient déclenché le sinistre, en mettant feu à leurs matelas.

« On a failli mourir », témoigne Karim Hatira, un Tunisien de 41 ans retenu dans le centre, auprès d’InfoMigrants. Inauguré un mois plus tôt, en janvier, le nouveau CRA promettait d’offrir, selon la Préfecture, « de meilleures conditions de rétention » par le doublement des capacités d’accueil, passées à 140 places. Mais, au regard des conditions décrites par les retenus, plusieurs d’entre eux ne s’étonnent guère de l’origine volontaire de l’incendie. 

Au nombre d’une vingtaine en France métropolitaine, ces établissements comptent au total 2 157 places dédiées à la rétention des personnes immigrées en situation irrégulière avant leur expulsion du territoire français. Alors que la capacité de rétention des CRA a plus que doublé sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron (1 069 places en 2017), le gouvernement prévoit l’ouverture prochaine de trois nouveaux centres. 

Cette forte croissance s’inscrit dans un contexte de multiplication des mesures d’éloignement prononcées par le ministère de l’intérieur. Ils sont ainsi de plus en plus d’immigrés en situation irrégulière à recevoir une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) : en 2018, ils étaient quelque 137 000 à en faire l’objet, selon les services de la place Beauvau. 

Quelques milliers d’entre eux peuplent chaque année les CRA, où ils sont retenus au motif de leur présence irrégulière, sans nécessité d’avoir commis d’autres crimes ou délits. C’est le cas d’Oumar Dembélé, que son entourage décrit comme « bien intégré socialement » - il pratiquait notamment l’athlétisme en club -, incarcéré au Centre de rétention de Metz après avoir reçu une OQTF. « On n’est pas en sécurité », s’alarme un autre jeune homme immigré, qui affirme ne pas en dormir. « Je marche toujours avec la crainte d’être arrêté par la police, vu que je n’ai pas de titre de séjour. »

Les CRA se trouvent d’autant plus rapidement engorgés que l’exécution des mesures d’éloignement du territoire, loin de répondre aux objectifs gouvernementaux, est le casse-tête des autorités : à titre d’exemple, 85% des OQTF délivrées en 2018 n’ont donné lieu à aucune expulsion. Dans ce contexte de saturation des CRA, les conditions de rétention font l’objet de vives tensions. 

Avant même que ne survienne la crise sanitaire, les conditions de rétentions étaient décrites comme invivables et inacceptables, selon le témoignage d’un retenu recueilli par le collectif Anti-CRA : « Il y a deux semaines, une personne a voulu se suicider avec ses draps. Le CRA est presque plein, 24 places prises sur 26. L’accès au soin, c’est du foutage de gueule. Le médecin et les infirmières ne donnent que du doliprane ou du tramadol, mais pas les médicaments dont les retenus ont besoin alors même qu’ils ont les ordonnances. »

Quant à la vie dans les centres pendant la pandémie, il semblerait que les choses ne soient pas allées en s’arrangeant : quand elles n’étaient pas absentes, les mesures de protection sanitaire étaient insuffisantes. D’après InfoMigrants, la seule mesure effective consistait à soumettre les retenus à un test Covid, puis à les placer immédiatement en quarantaine les uns avec les autres, sans attendre le résultat.  

Face à cette négligence vis-à-vis des sans-papiers, les retenus du centre de Vincennes sont entrés en grève de la faim : « Ici les conditions sont dégueulasses. Le Covid tourne, la gale aussi. Y’a des punaises, les douches sont pas nettoyées… [...] Y’a un seul médecin de disponible pour les trois bâtiments et il vient qu’une fois par semaine… C’est pour tout ça qu’il y a une grève de la faim, et aussi car le CRA c’est de la torture mentale », dénonçait l’un d’entre eux. 

La décision de maintenir les CRA ouverts et actifs pendant la crise du Covid-19 est aujourd’hui décriée comme un risque pris pour la vie des retenus. Un risque de surcroît inutile, alors que de nombreux pays avaient fermé leurs frontières, rendant inexpulsables une majorité des retenus.

Ce système de régulation de l’immigration connait une contestation croissante, non seulement des sans-papiers, mais aussi d’un certain nombre d’organisations citoyennes : c’est le cas du collectif Anti-CRA, qui se réunit régulièrement pour formuler des revendications radicales (fermeture des CRA, régularisation de tous les sans-papiers…) et propose des solutions pour accompagner les retenus dans leurs démarches administratives et juridiques, et améliorer leurs conditions de rétention.

Ce collectif, qui dispose de plusieurs antennes régionales, a trouvé en un bâtiment longtemps inoccupé au 6 rue de l’Egalité à Villeurbanne un lieu pour se rassembler, baptisé « L’île Égalité » pour souligner à la fois leur aspiration à ce principe et le combat qu’ils ont mené auprès de la mairie pour régulariser ce lieu, d’abord investi illégalement. Il est maintenant devenu un lieu de réunion où se construisent diverses initiatives d’entraide et de solidarités auprès des habitants du quartier de Cusset et des sans-papiers - des distributions alimentaires ou des cantines solidaires y sont, entre-autres, régulièrement organisées. 

Ils reprochent aux CRA une procédure d’enfermement arbitraire uniquement fondée sur la non-possession de papiers d’identités. « Lieux d’isolement et d’abus, les CRA sont un des maillons d’une chaîne bien plus grande, peut-on lire sur leur blog. Les CRA font partie d’un système d’exploitation et d’humiliation raciste, auquel un ensemble d’acteurs participent (sic). Certains se disent humanitaires, d’autres sont clairement répressifs, mais que ce soit pour trier, expulser ou “éduquer et intégrer”, ils participent tous au processus de fichage et de contrôle des étrangers·e·s, de leurs mouvements, de leurs comportements et de leurs vies. »

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En réponse, les déclarations publiques de l’exécutif se font rares sur la situation des CRA. La dernière, celle de Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, remerciait « les policiers, les associations et les opérateurs privés » à l’occasion d’une visite au centre de Marseille, en mai 2021. Depuis, un homme a mis fin à ses jours entre les murs d’un CRA, à Rouen-Oissel (Seine-Maritime), le septième depuis 2017.

M.H. & A.P.

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