La manifestation lilloise du mardi 7 mars se met lentement en branle, et l’après-midi débute sous la menace d’un ciel gris déversant un léger crachin. L’atmosphère sonore est saturée de sirènes de mégaphones et de détonations de pétards. En tête de cortège, les syndicalistes de la CGT emmènent la grande troupe de manifestants sur le parcours, qui doit se finir place de la République.

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La cadence toujours plus élevée, au détriment de la santé.
Le cortège vient de s’élancer depuis seulement quelques minutes, quand retentissent les premiers slogans contre la réforme des retraites : « Du boulot pour les jeunes, du repos pour les vieux ! » ; « Emmanuel Macron, président des patrons ! ». Sous un grand drapeau de la CGT Roquette – secteur de l’agroalimentaire – Sylvain est venu manifester. Il est opérateur de fabrication depuis vingt-trois ans, il transforme les matières alimentaires en produits finis. « Depuis le début de ma carrière, j’ai remarqué une augmentation de la cadence de fabrication », explique-t-il. « On doit produire environ soixante-dix tonnes par jour, sur une journée de huit heures ». Pour lui, les critères de pénibilité retenus dans la réforme ne sont pas suffisants : elle prévoit de réduire le nombre de nuits nécessaires pour être éligibles à ces critères, de 120 à 100 nuits de travail par an. « Ce n’est pas assez ! si on tombe malade longtemps, on n’y a plus le droit ! ».
Pour M.Roubert, qui se tient aux côtés de Sylvain, cette inadéquation des critères vient d’une ignorance de ce qu’ils vivent au quotidien dans leur travail de la part des politiques : « j’ai travaillé en abattoirs depuis mes quatorze ans. Quand [Emmanuel] Macron s’est présenté à Rungis, au lieu de l’accueillir avec des sourires, on aurait dû lui mettre un quartier de bœuf de 100 kilos sur le dos et lui demander de marcher avec. Là il saurait ce que c’est que de travailler et porter des charges lourdes » invective-t-il, « pour aller plus vite on travaillait près de douze heures par jours, à quarante ans j’ai dû être opéré d’une hernie discale ! ».
Une colère palpable.
Un peu plus loin dans le cortège, tous revêtus en tenues de chantiers, des ouvriers du BTP sont du même avis : « Notre métier, il est juste en face » déclare-t-il en pointant du doigt un immeuble entouré de grues. « C’est du béton, c’est la pénibilité, les intempéries, les charges à longueur de temps, les expositions à la silice… », énumère un représentant syndical d’un ton las. « Dans le temps, pour faire un ouvrage il y avait dix postes différents. Maintenant tu fais dix tâches avec un bonhomme, parce qu’avec la modernisation on a diminué la main d’œuvre et on nous demande d’aller aussi vite ». « C’est une vaste blague ? » lorsqu’on leur demande ce qu’ils pensent des critères de pénibilité dans le projet de réforme. « Leurs lois ne s’ont pas au fait de ce que nous on peut rencontrer comme difficultés dans notre métier » ajoute-il, irrité.

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La pluie s’intensifie et les chants militants avec elle. On sent une colère presque palpable, dont l’inhabituel nombre de pétards de gros calibre lancés se fait l’écho. Si le ministre du Travail, Olivier Dussopt, affirme que la réforme inclut « l’amélioration de la prise en compte de la pénibilité », les travailleurs ne semblent pas du même avis.
M.H