FIGAROVOX. - Suspendu par le Conseil d'Etat, l'arrêté «anti-burkini», qui n'évoquait pas directement le burkini, mais «une tenue correct», mentionnait le principe de laïcité. Le burkini présente-t-il un danger pour la laïcité?
Depuis que tout a commencé, en 2004, aucune de ces lois, qui ne sont rien d’autre qu’un scandaleux travestissement de la laïcité, n’ont pu nommer ce qu’elles cherchaient à interdire. Et pour cause! Nommer le voile, la burka ou le burkini, c’est établir un régime d’exception qui assignent une certaine catégorise de Français (en l’occurrence les Français de confession musulmane) à un statut particulier. Cela nous rappelle de bien triste souvenirs...
Il faut que l’on cesse d’invoquer la laïcité chaque fois que l’on cherche simplement à effacer les musulmans du paysage. Le grand danger pour la laïcité, c'est que l’État ne cesse de s'immiscer dans les pratiques religieuses. Qu'on foute la paix aux musulmans de ce pays, et surtout aux femmes!
Le député européen Florian Philippot, vice-président du Front National, a jugé dans la matinale de BFM TV, qu'il fallait «étendre la loi de 2004» car, précise-t-il, «on s'est rendu compte qu'elle était excellente. Nous allons la faire appliquer dans la rue. Le voile, la grande croix, la kippa. Pour que ce soit constitutionnel, il faut que ça concerne les signes religieux ostensibles». Une laïcité de combat peut-elle être efficace contre l'islamisme conquérant?
Si l’on cherchait un seul exemple de la totale mauvaise foi du Front National, et de son grand bavard Florian Philippot, il n’y aurait qu’à prendre celui-là : « Le voile, la grande croix, la kippa ». C’est vrai que dans le métro, la « grande croix » de deux mètres, c’est pas très pratique aux heures de pointe. Et puis, j’en ai assez de devoir faire un pas de côté chaque fois que je croise un catholique avec sa « grande croix » !! Mais de qui se moque-t-on quand on parle de « grande croix » ou de t-shirts « I love Jesus ». Rien de tout cela n’appartient au culte catholique qui est une religion sans signe. La kippa ou le voile n'ont évidemment pas du tout le même sens que la croix, grande ou petite, qui n'est généralement qu'un bijou que portent certaines personnes qui ne vont même plus à la messe.
C’est comme cette idée de signe ostentatoire. Le voile n’est pas ostentatoire. Contrairement à la « grande croix » qui n'est qu'un accessoire, le voile fait pleinement partie du culte et il est le signe minimal pour cette religion. Ou alors, si on interdit les grandes croix, il faut aussi interdire les grands voiles, et les grandes kippa. Les pays qui réglementent la manière dont les citoyens apparaissent dans l’espace public sont des pays totalitaires. Contrairement à ce que croient trop de Français, la loi de 1905 n’a jamais eu pour objectif d’imposer quoique ce soit aux citoyens, mais simplement d’imposer la séparation aux églises et à l’état.
Est-il pertinent d'envisager comme des religions équivalentes le judaïsme, le christianisme et l'islam?
En ce qui me concerne, si j’étais le bon Dieu, je les ferais toutes disparaître d’un coup de baguette magique et j’irais faire profil bas dans un coin reculé du cosmos pour avoir fait une grosse boulette. Toutes les religions ont été néfastes à un moment ou un autre de leur histoire. Si le catholicisme est aujourd’hui une religion « discrète » (je voudrais au passage faire un hommage à Chevènement), c’est parce qu’elle y a été contrainte par des générations infatigables d’athées. On n’a pas changé de bible, à ce que je sache. Si on leur laissait à nouveau le champ libre, il n’est pas douteux qu’on verrait à nouveau des bûchers s’allumer dans toute l’Europe. A ce sujet, aucune différence de "civilisation". Nous sommes tout de même la civilisation de l'inquisition, de la traite des noirs et d'Auschwitz. Le barbare est au fond de nous, assoupis sinon abruti devant sa télévision par sa journée de travail. Un rien peu le réveiller : au vingtième siècle aussi, et sur ce continent même, on a été capable de massacres au nom de la Sainte Église.
Nicolas Sarkozy prône l'assimilation. Qu'est-ce qui constitue aujourd'hui le «nous commun» auquel l'immigré doit s'assimiler?
Montesquieu a écrit que « l’amour de la patrie, c’est l’amour de l’égalité ». Et non pas l'amour de la charcuterie ou de l'eau bénite. Le problème aujourd’hui, c’est que même les enfants de la classe moyenne ne peuvent pas comprendre quinze lignes de Montesquieu à la première lecture, ni même à la deuxième... Nicolas Sarkozy est à la chasse aux électeurs. C’est une homme bourré d’ambition qui n’a aucune conviction. Un de mes amis le compare à Erdogan. Je trouve que c’est un peu exagéré mais je le trouve à la fois irresponsable et dangereux. Il menace l’unité du Pays de manière infiniment plus grave que les quelques femmes qui vont se baigner en burkini.
Pour en revenir à votre question sur le nous commun, je suis sidéré de voir que Nicolas Sarkozy puisse aller sur le plateau d’un 20 heures nous faire la leçon et dire que le burkini est contraire aux valeurs de la République, sans que le journaliste ne lui demande de nous rappeler quelles sont au juste ces valeurs. En fait, tout le monde croit bien les connaître puisqu'on nous bassine avec elles dès l'âge le plus tendre. C'est "Liberté, égalité, fraternité", il me semble? Nicolas Sarkozy s'est bien gardé de les rappeler parce que ce ne sont absolument pas ces valeurs qu'il défend. Nicolas Sarkozy a réussi le hold-up du siècle. Il a fait main basse sur la République sans que personne n'intervienne. La laïcité aujourd'hui, telle que beaucoup de Français l'imaginent, est aux antipodes de ce qu'ont voulu ses fondateurs en 1905. Il n'est donc pas étonnant qu'elle ne puisse plus être une valeur de la vraie gauche. Comment cela a-t-il été possible? C'est encore pour moi très mystérieux.
En ce qui concerne le nous commun, ce ne peut être en aucun cas un "mode de vie", comme le prétend Sarkozy. Le mode de vie n'est pas du ressort de la politique, il doit rester en dehors. Le « nous commun », pour reprendre une fois encore Montesquieu, c'est l'amour des lois quand elles respectent ce minimum, qui est inscrit sur tous les bâtiments publics : liberté, égalité, fraternité.
Il est bien possible que pour beaucoup de citoyens, cela soit une simple formule complètement vidée de son sens.
L'islam est-il compatible avec ce « nous commun »?
Pour entrer dans la République, il ne faut pas se retrouver devant des portes closes.