« Non mais, est-ce que y‘a vraiment des gens qui ressentent de l’éco-anxiété ? »
Elle me regarde. Elle est sérieuse. Elle se demande vraiment si les gens la ressentent. Pour elle, ce n’est qu’un buzzword, un terme qu’elle a lu plusieurs fois sur les réseaux, dans les médias, dont elle a entendu parler mais qu’elle estime comme probablement un peu exagéré. Les gens ne ressentent pas vraiment une angoisse au quotidien, non ? Ça semble abusé quand même…
Je suis bouche bée. Mais je garde mon calme. Sa curiosité a l’air sincère, elle a l’air de vraiment vouloir savoir : est-ce juste un buzzword ou une réalité ? TikTok trend or reality ?
Alors je prends une grande inspiration et je réponds, calmement (je l’espère) : « Alors, oui, c’est une réalité. Documentée. Les chiffres montrent que de plus en plus de personnes ressentent de l’éco-anxiété. D’ailleurs (le petit aparté qui souhaite souligner que oui, des vraies personnes font des vraies recherches sur le sujet), mon partenaire a écrit un mémoire sur comment faire face à des élèves écoanxieux·euse·s et accueillir leurs émotions, tout en les sortant d’une potentielle paralysie. »
Puis je conclue : « À mon avis, dès qu’on s’informe un minimum, impossible de ne pas être anxieux·euse·s. » Oui, petit pic. Petit pic parce que je suis furax mais que je dois donner l’impression d’être calme, contenue, pas hystérique, pas submergée par les émotions, pas irrationnelle, pas folle. Alors je continue : « Quand on s’informe, l’état est tellement alarmant que c’est difficile de pas sombrer dans une sorte d’anxiété, qui parfois peut être paralysante. Donc oui, clairement, c’est pas juste un terme de plus en plus utilisé, ça décrit bien un état ressenti par beaucoup de gens. »
Puis je me tais, parce qu’en vrai, je ne sais pas trop quoi ajouter. S’en suit le récit par cette même amie d’une interaction avec son chef qui se disant éco-anxieux aussi et qui en était venu à la conclusion qu’en réalité, l’extinction humaine ne serait pas si terrible, que la Terre avait connu beaucoup d’extinctions, que certes, nous accélérons – légèrement - avec nos comportements humains, mais que « c’était la vie » et que les autres espèces se porteraient bien mieux sans nous. Un point où je peux la rejoindre. Oui, les autres espèces se porteraient sûrement bien, bien mieux sans nous. On les a domestiquées, exploitées, torturées, enfermées, on les chevauche, on les mange, on les traie, on les égorge, on les tond, on les chasse, on les engrosse de force, on les torture... Oui, les autres espèces seraient bien mieux sans nous, je suis d’accord. Mais c’est pas non plus si simple que ça. Elles sont habituées à la cohabitation, certaines ne sont plus vraiment capable de survivre sans les humain·es, à cause de nous ici encore.
Je me retrouve dans ce salon à avoir envie de parler antispécisme, sanctuaires, post humanisme, écoféminisme, mais je suis confrontée au manque de temps et au manque de réceptivité de l’autre côté. Ce n’est ni l’endroit ni le moment de partir dans un monologue militant ou académique et je sens que je n’ai pas la patience, ni l’endurance ou la force mentale, à minuit, de porter cette discussion.
J’en ressors triste. Triste, toutefois, curieuse. Que représentent ces discussions pour ces amix ? Iels y repensent-iels ? Est-ce que cela éveille chez elleux une curiosité ? Est-ce que comprendre que d’autres sont écoanxieux·euse·s leur font questionner pourquoi c’est quelque chose qu’iels ne ressentent aucunement ?
Je rentre chez moi à pied. Je vois un rat courir furtivement d’un bord de la route à l’autre. Je vois un chien baladé à bout de laisse, j’imagine les oiseaux endormi·es et les poissons dans la Donau. Tous ces êtres auxquels je ne pensais pas avant. Tous ces êtres que je vois depuis peu, partout. Ces êtres qu’il m’est devenu impossible de ne plus voir. Je pense à mes adelphes écoféministes aux côtés desquelles je lutte et qui m’ont ouvert les yeux sur tellement d’autres manières d’habiter la Terre.
Et je pense à la gratitude immense que je ressens face à mon écoanxiété. Bien sûr j’aimerais qu’elle ne m’habite pas autant, pas quotidiennement et qu’elle n’ait même pas raison d’être. Mais dans des soirées comme celles-ci, je la remercie d’être présente et de m’avoir fait découvrir tant de nouvelles choses, de nouvelles voix, de nouveaux êtres. Je la remercie de m’avoir décentré. De m’avoir permis de voir en les animaux des adelphes et non pas de la nourriture, un moyen de transport, une simple compagnie contre ma solitude, des êtres à achever et dont les populations se doivent d’être régulées. Alors oui, je suis bien éco-anxieuse et nous sommes nombreux·euse·s à l’être. Et comme dirait Greta, ‘How dare you ?’, oui, comment osez-vous ? ne pas l’être vous aussi ?