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Billet de blog 1 octobre 2008

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En Argentine, la presse ressuscite les morts vivants

Vous ne savez pas où va l’Argentine, le style des Kirchner vous irrite, vous avez l’impression qu’on a perdu des occasions uniques ? Il suffit de passer quelques jours à Buenos Aires, comme je viens de le faire, et surtout de lire la presse tous les matins, pour en finir avec les doutes et devenir un kirchnériste convaincu.

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Vous ne savez pas où va l’Argentine, le style des Kirchner vous irrite, vous avez l’impression qu’on a perdu des occasions uniques ? Il suffit de passer quelques jours à Buenos Aires, comme je viens de le faire, et surtout de lire la presse tous les matins, pour en finir avec les doutes et devenir un kirchnériste convaincu. Comme très souvent en Amérique Latine quand l’opposition politique est inexistante, faible, ou pathétique, la presse décide de la remplacer. Pas seulement avec des analyses, mais en faisant ouvertement campagne contre le pouvoir. Bien sûr, seulement les autorités dites « populistes », les autres (juntes militaires, privatiseurs à tout crin), ont droit à des articles modérés examinant les aspects positifs et négatifs de leur gestion. Ce n’est pas nouveau, ce fut le cas au Brésil, à l’époque de Getulio Vargas, on a retrouvé les accents à la télévision vénézuélienne, appelant au coup d’Etat contre Chavez, mais aussi au Mexique, quand Lopez Obrador était en passe de l’emporter en 2006, en Bolivie, en permanence contre Evo Morales, présenté comme un macaque maléfique, au Brésil contre Lula, et plus récemment contre Rafael Correa en Equateur. Mais revenons en Argentine. Le couple Kirchner (il a dirigé le pays de 2003 à 2008, elle lui a succédé) a perdu l’initiative politique ces derniers mois en accumulant les erreurs : mensonges sur l’inflation, politique de communication catastrophique, financement de campagne digne des pieds nickelés et plus généralement, en pensant gérer l’Argentine avec une poignée de fidèles comme s’il s’agissait de la province de santa Cruz, que Nestor a gouverné avant d’être élu président. Soit. Mais nous parlons tout de même d’un pays où la croissance a affiché plus de 8% pendant quatre années consécutives, où l’on a appris à tenir tête aux créanciers du monde entier, où l’intégration avec la région est devenue une priorité et où la question des droits de l’homme est devenue centrale. On est donc partagé entre la consternation et le fou rire quand on découvre que le journal La Nacion offre la dernière page de son supplément dominical à… Menem. Oui, vous le croyiez mort, ou dans une prison, mais il est bien là, à 78 ans, bronzé, le cheveu blanc. Le président champion du mensonge politique, de la corruption et de la destruction systématique de l’Etat donne son avis, vénérable il s’entend. Son opinion sur Nestor Kirchner : « il n’a pas de couilles ». On apprend aussi avec joie qu’il est candidat à la présidentielle de 2011 ( !) à la tête d’une confédération de partis, « Loyauté et dignité ». Mais la Nacion ne s’en tient pas à Menem. Dans une rédaction sans doute pleine de fans de Michael Jackson, qui fête ses 50 ans cette année, elle a décidé de se transformer en « Thriller », le journal des morts-vivants. Il suffit que le gouvernement annonce des axes de politique économique (il est vrai, confuse…) pour que le journal convoque l’avis « d’ex-ministres de l’économie ». L’intention est louable. L’ennui, c’est que les seuls interrogés (ou les seuls qui ont bien voulu figurer en telle compagnie) sont les imprésentables : Domingo Cavallo (le ministre de l’économie qui a accéléré la crise de 2001, tout en permettant à plusieurs banques d’en bénéficier), Lopez Murphy (ministre pré-crise, resté à peine quelques jours au pouvoir, le temps de décider de baisser les salaires de l’éducation). On a beau ne plus se souvenir du nom de l’actuel ministre de l’économie tant il semble inutile – toutes les décisions se prennent dans la casa Rosada – il est tout de suite beaucoup plus sympathique.

Le décalage avec la réalité de la presse argentine, comme de ses homologues dans la région, est inquiétant, plus largement pour la démocratie, car les populations ne sont pas idiotes. Si les partis politiques constituent les institutions qui leur inspirent le moins de confiance, la presse est désormais bien placée dans ce palmarès du pire.