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Billet de blog 1 décembre 2009

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Les Etats-Unis ne sortent pas grandis de la mascarade électorale en Honduras

Un mort et au moins 83 blessés : tel est le bilan de la « fête électorale », qui mérite plutôt la qualification de mascarade ce dimanche en Honduras. Le gouvernement putschiste, installé suite au coup d'Etat qui a renversé le président constitutionnel Manuel Zelaya le 28 juin dernier, a réussi à organiser un scrutin, disposant de l'accord tacite de l'administration américaine.

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Un mort et au moins 83 blessés : tel est le bilan de la « fête électorale », qui mérite plutôt la qualification de mascarade ce dimanche en Honduras. Le gouvernement putschiste, installé suite au coup d'Etat qui a renversé le président constitutionnel Manuel Zelaya le 28 juin dernier, a réussi à organiser un scrutin, disposant de l'accord tacite de l'administration américaine.

La consultation a eu lieu avec l’armée dans les rues, une campagne de diabolisation du président légitime à la télévision, et des attaques sans détour contre le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, accusé d’abriter Zelaya dans l’ambassade brésilienne de Tegucigalpa, la capitale du Honduras. Les rares médias opposés au coup d’Etat — Radio Globo, Radio Uno, Radio Progreso, Gualcho, entre autres — sont réduits au silence ou surveillés de près.

Depuis la fin juin, la stratégie du régime est évidente : gagner du temps, espérer imposer le nouveau président en l’éviction définitive de Zelaya en tablant sur l’usure, et l’ennui qui gagne dans le reste de la planète. Après tout, qui se soucie du Honduras ? Une élection aurait l’avantage de « nettoyer », faire oublier le malaise provoqué par un coup d’Etat qui a contraint un président, encore en pyjama, à quitter en pleine nuit le pays sous la menace des armes. En Amérique Latine on connaît : le « truc » de la légitimation de la violence politique par le Congrès et les instances judiciaires est un classique, qui a très bien marché, notamment au Brésil, en 1964, plongeant le pays dans une dictature dont il émergera en 1985, et dont il paye le prix encore aujourd’hui. Et c’est précisément pour cela que le Honduras importe, même s’il mesure à peine plus que 100 000 kilomètres carrés pour 8 millions d’habitants, et qu’on peine à le placer sur la carte. Parce qu’une grande partie des pays latino-américains ont encore la mémoire à vif de ces longues années de nuit dictatoriale. Et plus encore dans cette Amérique centrale encore si fragile.

C’est au nom du respect des institutions, et de la démocratie que le Brésil a accueilli Zelaya et que le président Lula refuse aujourd’hui de reconnaître le président sorti des urnes, Porfirio Lobo, du Parti national, le représentant de la poignée de famille qui se considèrent « propriétaires » du Honduras. Les Etats-Unis ont fait savoir qu’ils ne comprenaient pas cette insistance brésilienne. Il y a deux semaines, Marco Aurelio Garcia, le bras droit de Lula sur les questions internationales me confiait sa déception envers la politique d’Obama dans la région. Bien sûr, le Brésil a pris et prendra d’autres sanctions à l’égard du gouvernement putschiste, mais que pèse-t-il face aux Etats-Unis, qui font la pluie et le beau temps en Amérique centrale : tout le commerce du Honduras dépend de Washington, tout comme l’aide humanitaire, les envois de devises des immigrés, et sans parler des précieux visas délivrés à l’élite hondurienne pour qu’elle aille s’amuser à Miami. « Si nous avions cette capacité de pression, nous l’utiliserions », poursuit Marco Aurelio Garcia.

Les Etats-Unis ne l’ont pas fait. Il ont mis plusieurs mois à reconnaître que le renversement de Zelaya était un coup d’Etat, ont prôné le « dialogue » avec les putchistes, et refusé de prendre de mesures rétorsives réelles à leur égard. Pire, le 18 novembre dernier, à l’issue d’une visite à Tegucigalpa, le sous-secrétaire d’Etat adjoint pour l’Hémisphère occidental Craig Kelly, a confirmé l’appui de la Maison Blanche à l’élection en déclarant que « personne n’a le droit d’enlever au peuple hondurien le droit de voter et de choisir ses dirigeants. »

Le cynisme de Washington est sans limite : d’un côté, les Etats-Unis se présentent comme les garants de la démocratie et des élections. De l’autre, ils rejettent toute critique qui soulignerait qu’ils constituent le seul pays capable d’imposer au gouvernement putchiste un respect des institutions et un retour du président déchu. La réponse est claire : les Etats-Unis ne sont plus comme avant, ils sont contre « l’ingérence », préférant laisser le « peuple hondurien » trouver lui-même une solution en « toute démocratie ». Comprenez avec des blindés dans les rues, des journaux muselés, et une féroce répression contre tous les opposants au nouveau gouvernement, légitime, car élu.

Le Brésil ou le Venezuela ne sont pas les seul pays à protester. Aucun organisme multilatéral – ni l’Organisation des Nations unies, ni l‘Organisation des Etats américains (OEA), ni le Groupe de Río ni l’ALBA - n’a accepté d’envoyer des observateurs pour l’élection. Deux jours après le scrutin, une majorité de chefs d’Etats de la région, réunis à Estoril au Portugal à l’occasion du sommet ibéro-américain ont rejeté l’élection, taxée de farce. Selon une déclaration unilatérale de la présidence portugaise du sommet, les chefs d'Etat et de gouvernement ibéro-américains ont "condamné le coup d'Etat" et jugé "fondamental" le rétablissement du président Zelaya, "démocratiquement élu". Seuls le Costa Rica, le Panama et la Colombie, principaux alliés des Etats-Unis dans la région ont formellement reconnu le scrutin. De son côté, Lula était catégorique : « Nous ne pouvons pas faire de concessions au putschiste (...) transiger avec le vandalisme politique, si cela se faisait, la démocratie courrait un risque grave en Amérique latine ».

L’histoire de ce petit pays montre que les Etats-Unis n’ont pas changé. Malgré Obama, malgré un prix Nobel de la paix dont on attend toujours la justification, Washington continue de considérer toute transformation sociale progressiste dans son « arrière-cour » comme un danger, auquel il répond par la violence du fait accompli, l’alliance avec la répression, et le cynisme.