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Billet de blog 2 juin 2010

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Oliver Stone est plein de bonnes intentions, mais viole la loi brésilienne

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L’arrivée lundi, du cinéaste américain Oliver Stone à São Paulo a provoqué un tumulte à l’aéroport international de Guarulhos : la star et son équipe avaient tout bonnement oublié qu’ils avaient besoin d’un visa pour pénétrer sur le territoire brésilien. Le voyage était plein de bonnes intentions : le metteur en scène de « Platoon » était là pour faire la promotion de son dernier documentaire « South of the Border » (« Au sud de la frontière »), qui traite de la gauche latino-américaine. Ce travail, présenté au festival de Venise l’année dernière en compagnie du président vénézuélien Hugo Chavez, est fondé sur les interviews des chefs d’Etat de la « vague rose » (ou rouge) latino-américaine. Hormis Chavez, Stone a longuement conversé avec Luiz Inácio Lula da Silva (Brésil) et Raul Castro (Cuba), Cristina Kirchner (Argentine) et Evo Morales (Bolivie) et Fernando Lugo (Paraguay)

Le Brésil est sans doute un des pays les plus ouverts du monde – des nationalités jugées ailleurs exotiques ont le droit d’entrer sans difficulté pour trois mois de séjour – mais il fonde sa politique de visa sur la réciprocité. En 2003, Washington a décidé d’imposer aux latino-américains non seulement un visa, y compris pour un simple transit dans un aéroport américain, même si la destination finale est l’Europe ou le Canada, mais aussi d’enregistrer les empreintes digitales à leur arrivée aux Etats-Unis. Hormis la pénibilité (personne ne garde un bon souvenir d’un entretien dans un consulat américain), le visa coûte cher : 100 dollars. Du coup, plusieurs voyageurs qui utilisaient l’aéroport de Miami comme simple correspondance ont changé de trajet, lui préférant Panama.

A l’époque, Brasilia avait grogné, mais sans riposter. Jusqu’à ce qu’un juge fédéral brésilien ordonne, au nom de la constitution, aux autorités de mettre en place un dispositif réciproque. Et, médusés, les ressortissants américains doivent, depuis le 1er janvier 2004, accepter de se laisser photographier et de déposer leurs empreintes digitales, après avoir demandé un visa dans un consulat brésilien. A l’époque, le gouvernement avait hésité à déposer un recours en justice, craignant l’impact sur le tourisme d’une telle décision, avant de réaliser, enquêtes d’opinion à l’appui, qu’elle était extrêmement populaire.

Aux Etats-Unis, les empreintes digitales et photos sont destinées à alimenter une base de données dans laquelle puiseront les consulats, afin d’identifier les personnes ayant un casier judiciaire ou appartenant à des groupes considérés comme « terroristes » par le gouvernement américain. Une décision «xénophobe», aux dires du juge brésilien. Il considère qu’elle «bafoue toute dignité humaine ».

Bon prince, le Brésil a finalement délivré, après des heures de pourparlers, un visa de huit jours à l’équipe d’Oliver Stone. Dans son documentaire, dont je recommande la vision –j’en joins un extrait-, le cinéaste démonte le manichéisme américain, montrant notamment comment les médias et les politiques américains diabolisent la gauche latino-américaine, et en premier lieu Chavez. Mais en débarquant sans visa, justement au sud de la frontière, il démontre que la désinvolture américaine à l’égard de cette région que Washington continue à considérer comme son arrière cour, est profondément culturelle, ni de droite, ni de gauche.