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Billet de blog 2 août 2009

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Miguel Tinker Salas: «Le pétrole est la clef politique et culturelle du Venezuela»

La crise économique et la chute brutale des prix du pétrole ont placé le gouvernement du président vénézuélien Hugo Chávez dans une situation délicate. Le pétrole représente 93% des exportations du pays et la moitié des ressources fiscales du gouvernement.

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La crise économique et la chute brutale des prix du pétrole ont placé le gouvernement du président vénézuélien Hugo Chávez dans une situation délicate. Le pétrole représente 93% des exportations du pays et la moitié des ressources fiscales du gouvernement. Reste qu’au Venezuela, le pétrole importe beaucoup plus que les yo-yo de la conjoncture économique. C’est ce que souligne l'historien vénézuélien Miguel Tinker Salas, professeur au Pomona College en Californie.Dans un remarquable ouvrage (« The enduring legacy. Oil culture, and society in Venezuela”, Miguel Tinker Salas, Duke University Press, http://www.amazon.fr/Enduring-Legacy-Culture-Society-Venezuela/dp/082234419X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&s=english-books&qid=1249248307&sr=8-1) il se penche sur l'héritage culturel du pétrole, soulignant à quel point il façonne la façon de voir le monde des Vénézuéliens.

Dans un entretien qu’il m’a récemment accordé, il revient sur l’histoire de la découverte du premier puits de pétrole en 1914 à nos jours, et nous livre plusieurs clefs pour comprendre la politique actuelle. Il souligne que dès le début du 20e siècle, les Vénézuéliens estiment que le pétrole doit subventionner un certain nombre d'avantages pour la société, et explique comment, parallèlement, cette richesse a influencé la politique étrangère du pays, contraignant le Venezuela à se placer dans l'orbite des États-Unis.

Une interview à lire en complément du reportage publié la semaine dernière par Mediapart (http://www.mediapart.fr/journal/international/230709/venezuela-la-revolution-bolivarienne-sans-petrodollars accès abonnés seulement) sur la révolution bolivarienne sans pétrodollars :

À partir de quand peut-on dire que le pétrole est un élément central de la culture vénézuélienne ?

La première production commerciale a commencé en 1914 à Mene Grande dans l'Etat de Zulia. Néanmoins, le véritable démarrage a lieu en 1922, à La Rosa avec une production de 100.000 barils par jour. Le processus par lequel le pétrole imprègne la culture et l'âme du Venezuela se fait petit à petit, tout au long du XXème siècle, au fur et à mesure que le pétrole devient un élément central de la politique et de l’économie. Il est surtout lié à la conception selon laquelle l'industrie du pétrole est le principal vecteur de modernisation et de progrès du pays. De cette façon, le futur du Venezuela est directement lié à celui de la production pétrolière, qui, jusqu’en 1976, est aux mains de sociétés étrangères. An clair ce que la politique doit privilégier, ce n’es pas seulement l’industrie en soi, mais également tout ce qui est en relation avec les compagnies étrangères qui s’en occupent. Une des conséquences en termes de politique étrangère, c’est que le Venezuela doit nécessairement rester dans l'orbite des Etats-Unis. Cela signifie non seulement l'adaptation d'un modèle économique mais aussi politique, social et même culturel.

Au Venezuela, le pétrole et le pouvoir semblent se confondre. Cela a toujours été le cas ?

Toujours oui, dès les premiers temps de l’exploitation. Le développement de l'industrie se produit dans l'ombre du dictateur Juan Vicente Gómez qui gouverne le Venezuela de 1908 à 1935. Il est le premier chef d’Etat de l'histoire du pays dont la perpétuation au pouvoir ne dépend pas des intérêts nationaux, mais plutôt de l'appui qu'il reçoit des compagnies pétrolières américaines et anglaises. À plusieurs reprises, les États-Unis l’ont aidé, en envoyant des délégations et des navires de guerre dans la zone maritime vénézuélienne pour montrer qu’ils étaient à ses côtés, et surtout, en lui fournissant des informations sur ses ennemis, ce qui contribuait à le maintenir au pouvoir. Avec la mort du dictateur en 1935, les entreprises étrangères doivent s'adapter à la nouvelle réalité politique. Ils comprennent que sans soutien du pouvoir autoritaire, il leur faut chercher à intervenir directement dans l’élaboration d’un projet de développement du pays pour que les élites adoptent l’idée selon laquelle ce qui est bon pour les entreprises pétrolières est bon pour le pays. Rapidement, le projet de développement de l’industrie pétrolière se confond avec le projet de la nation.

Peut-on distinguer une vision de droite et une vision de gauche du pétrole au Venezuela?

A l’origine, on perçoit une quasi-unanimité au sein de l'élite et de la classe politique sur la question pétrolière. Après la nationalisation du secteur qui a lieu au Mexique en 1938, le Venezuela devient même le seul pays d'Amérique latine qui permet aux sociétés étrangères de produire, raffiner et exporter le pétrole. Bien sûr, dès les années 30 du siècle dernier, certains pans de la gauche proposent la nationalisation du pétrole, mais sans jamais réussir à dominer le débat national. Lorsque finalement se produit la nationalisation en 1976, c’est seulement au terme d’un débat houleux et intense au Congrès. Le consensus a été difficile à atteindre, et il s’est fait en permettant aux sociétés étrangères de garder certains de leurs anciens privilèges, et de continuer à participer à la production en qualité de consultants et de sous-traitants. Le point le plus important, c’est que rien n’est fait pour changer la culture de PDVSA, la compagnie récemment créée, et dont l’expérience reste dominée par celle des deux principaux groupes étrangers : Creole (qui est en fait Exxon) et Shell.

Pendant longtemps, PDVSA a été longtemps été considérée comme un État dans l'État. Pourquoi?

Le concept d'un État dans l'État découle du rôle des sociétés pétrolières étrangères au Venezuela. Pour développer leur production, elles se voient contraintesd'assumer un grand nombre des fonctions qui devraient normalement relever de la responsabilité de l'État. Cela inclut la création d'infrastructures, les services de base comme l'eau, l'électricité, des installations médicales, les maisons pour les employés, ainsi qu’un vaste réseau de programmes sociaux et culturels. De cette façon, la notion d'État dans l'État a deux implications : une matérielle, mais aussi politique. La conséquence, c’est qu’au lendemain de la nationalisation, la nouvelle société PDVSA, tout comme les multinationales étrangères, exerce une énorme influence politique et défend avant tout ses intérêts. Ce qui compte, ce sont les intérêts de PDVSA avant ceux de la nation.

Le pétrole est-il une source de divisions entre les classes sociales ?


Depuis les années 30, l'État promeut une vision selon laquelle il faut «semer le pétrole» et utiliser les ressources qu’il dégage pour financer le développement économique non associé au pétrole. Ainsi, l'Etat assume le rôle de gestionnaire de la richesse pétrolière pour la nation. Au début, il entre en concurrence avec les compagnies pétrolières qui offrent également une gamme de prestations sociales à la population – pas seulement leurs employés, mais également tous ceux qui vivent à proximité des champs de pétrole. Mais à partir des années 50, le rôle social de l’industrie pétrolière diminue et est progressivement transféré vers l’Etat. Reste que dans ce contexte, être un employé d’une entreprise pétrolière est un privilège. Ils sont mieux payés, ils bénéficient des meilleurs avantages sociaux : alimentation, éducation et logements. Peu à peu, un fossé se creuse entre ce monde de l’industrie pétrolière et la réalité de la majorité des Vénézuéliens. C’est la crise des années 80 qui met en évidence cette brèche entre les bénéficiaires de l'industrie pétrolière, qui comprend de larges pans de la classe moyenne, et pour lesquels le développement impulsé par le pétrole ouvre réellement de nouveaux espaces, et ceux qui en sont exclus, et pour lesquels la richesse pétrolière est une illusion. Cette contradiction apparait clairement lors des émeutes du Caracazo, en novembre 1989, qui ont fait 400 morts selon le décompte officiel,plus de 1000 selon les mouvements sociaux. C’est aussi ce qui explique le rejet du modèle politique en vigueur, et donc l’avènement d’Hugo Chavez une décennie plus tard.

De quelle manière le pétrole influe sur la relation avec les Etats-Unis ?

Dès les débuts de la production, le pétrole oblige le Venezuela à fonctionner dans l'orbite des États-Unis. A partir de la Seconde Guerre mondiale, Caracas devient un élément clé de la politique militaire américaine. Pendant la guerre froide, le Venezuela est brandi comme le un modèle, une vitrine de la démocratie, qui devrait être copiée par tous ses voisins dans la région. Actuellement, même si le gouvernement de Chavez a cherché à diversifier sa clientèle en abordant de nouveaux marchés, le Venezuela continue d'exporter la majeure partie de son pétrole vers des Etats-Unis. Il y possède même un réseau de raffineries adaptéesau brut lourd vénézuélien

Le gouvernement de Chavez a mis sur pied une véritable diplomatie pétrolière en s’alliant à plusieurs pays de la région. Est-une nouveauté ?

Il ne fait pas de doute que le gouvernement de Chavez est à l’origine d’une nouvelle politique pétrolière avec notamment la formation d'accords tels que Petrocaribe, la recherche de nouveau marchés en Asie et l’association de nouveaux partenaires comme la Chine, l'Inde et la Russie. Cela ne veut pas dire que c’est le premier à utiliser le pétrole comme outil de diplomatie. D’une certaine façon, les autres gouvernements, en faisant des Etats-Unis l’unique client convoité, avaient aussi une diplomatie pétrolière, mais dans ce cas, alignée avec les intérêts des États-Unis.

Le pétrole est-il à l’origine d’une mentalité rentière au Venezuela ?

Malgré l'existence d'autres projets, le pays reste dépendant du pétrole. Le Venezuela n’est pas le seul dans cette situation. C’est aussi le cas dans presque toutes les nations où la mono-exportation a surgi à la fin du XXème siècle ou au cours les premières décennies du 20e siècle. Néanmoins, le fait que le pétrole reste un produit fondamental pour l’économie mondial contribue à souligner le poids du Venezuela, et la dépendance à son égard.

Le gouvernement refuse d’envisager toute augmentation du prix de l’essence, qui est pourtant le plus bas du monde. Comment l’expliquez-vous ?

Il y aune vision nationale selon laquelle le pétrole est un privilège pour tous les Vénézuéliens. Cela s’exprime à travers le prix de l'essence, qui est en effet le moins cher dans le monde, mais aussi à travers l’idée que l'Etat doit financer un certains nombres de services à la société. En ce sens, la mentalité rentière a infiltré toute l’économie.

Tout le monde se souvient du Caracazo, le 27 février 1989. Le point de départ de cette rebellion populaire a justement été le relèvement du prix de l’essence. Depuis, personne ne s’est risqué à l’augmenter.s revenus du pétrole se fait sentir dans de nombreuses façons dans l'ensemble de l'économie. Bien que le gouvernement actuel ait déclaré que le prix de l'essence n'est pas viable, il a aussi conscience, qu'il est un facteur culturel et social, et qu’augmenter le prix aurait des conséquences politiques importantes.

La chute brutale des prix du pétrole met-elle en danger la « Révolution bolivarienne » d’ Hugo Chavez ?

Le processus politique au Venezuela ne dépend pas seulement le prix du pétrole. N'oubliez pas que lorsque Chavez a été élu en 1998, le prix était d’environ 9 dollars le baril. Depuis, la hausse irrationnelle des cours s’explique avant tout par la spéculation qui sévit sur les marchés financiers. Bien sûr, la crise économique actuelle et la chute du prix du baril limitent les marges de manœuvre du gouvernement, qui devra donner la priorité à des projets sociaux au Venezuela et probablement réduire sa présence internationale. Mais je doute que le prix du baril se maintienne à des niveaux bas très longtemps. Il a déjà considérablement augmenté depuis les plus bas atteints au début de l’année.