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Billet de blog 3 janvier 2010

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L’Amérique latine choisira entre droite et gauche en 2010

Après une décennie marquée par l'ascension de la gauche en Amérique latine, la région se prépare à une nouvelle vague d'élections qui pourraient changer les équilibres locaux. Entre 1998 (élection d'Hugo Chavez au Venezuela) et 2009 (élection de Mauricio Funes au Salvador), une majorité de pays de la région ont basculé à gauche.

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Après une décennie marquée par l'ascension de la gauche en Amérique latine, la région se prépare à une nouvelle vague d'élections qui pourraient changer les équilibres locaux. Entre 1998 (élection d'Hugo Chavez au Venezuela) et 2009 (élection de Mauricio Funes au Salvador), une majorité de pays de la région ont basculé à gauche.

Cette tendance s'explique essentiellement par « l'échec des modèles néolibéraux des années 1980 et 1990 en terme de croissance, d'équité, d'inclusion sociale, d'efficacité et d'accessibilité des services privatisés », comme l'explique Marc Saint-Upéry, un Français installé en Equateur, spécialiste de l'Amérique latine auteur du Rêve de Bolivar, un ouvrage analysant les différents gouvernements progressistes dans la région.

Saint-Upéry signale également que l'ascension de la gauche s'explique aussi par un phénomène « d'émergence plébéienne » dans presque toutes les sociétés latino-américaines. L'expression a été inventée par le sociologue bolivien Álvaro García Linera – avant qu'il ne devienne vice-président de son pays – pour qualifier un effritement du colonialisme interne et de l'hégémonie symbolique et politique qu'exerçaient les élites traditionnelles sur la société, avec souvent de fortes connotations ethno-raciales. « C'est un phénomène qui ne profite pas nécessairement à la gauche – de fait, il a jadis favorisé le fujimorisme au Pérou – mais que la gauche a su capter au cours de ces dernières années », ajoute Saint-Upéry dans un récent article (http://www.article11.info/spip/spip.php?article583 ; http://www.article11.info/spip/spip.php?article585)

Le basculement à gauche est plus qu'un épisode éphémère, comme en témoignent les récentes réélections de plusieurs dirigeants progressistes dans la région, ou leur succession par un chef d'Etat du même camp.

Ainsi l'équatorien Rafael Correa s'est-il imposé une nouvelle fois à la suite de l'adoption d'une nouvelle constitution en avril 2009, après une première élection en novembre 2006. En Uruguay, l'ex-tupamaro Pepe Mujica a réussi le pari de maintenir la gauche au pouvoir en novembre dernier malgré le soutien peu appuyé de son prédécesseur, Tabaré-Vasquez.

La réélection la plus spectaculaire a bien sûr été enregistrée en Bolivie. Doté d'une formidable popularité, le président Evo Morales a obtenu 62% des suffrages dès le premier tour, distançant de plus de 35 points son rival de droite. Le MAS (mouvement vers le socialisme), parti du président, est également le grand vainqueur des élections, puisqu'il domine le Sénat et l'Assemblée nationale.

Au Venezuela, le président Hugo Chavez a emporté sans difficulté le référendum constitutionnel, qui em finissait avec les limitations de candidature, en février 2009. S'il ne s'agissait pas d'une élection proprement dite, le président comme l'opposition avaient tout fait pour en faire un plébiscite pour ou contre Chavez. Le résultat a démontré que Chavez restait très populaire, en particulier auprès des classes les plus défavorisées.

Dans tous ces pays, les électeurs plébiscitent une politique sociale tournée vers les classes les plus défavorisées de la population, une intervention plus importante de l'Etat après deux décennies d'absence, une politique culturelle tournée vers les populations indigènes et tournant le dos aux élites traditionnelles, mais aussi une distanciation à l'égard de Washington.

L'approbation de ces politiques ne signifie pas un maintien automatique des candidats de gauche. Dans plusieurs pays, il faut prendre en compte l'effet de l'usure du pouvoir et des promesses qui ne seront pas tenues, mais aussi des facteurs structurels.

C'est notamment le cas du Chili, qui ouvre ce 17 janvier le bal des élections de 2010. Le pays andin est dans une situation contradictoire : la présidente sortante Michelle Bachelet a une popularité proche de 75%, en particulier du fait de sa politique sociale. Pourtant, il ne manque que 430 000 voix au millionnaire Sebastian Pinera pour imposer le retour de la droite, vingt ans après la sortie de scène du dictateur Augusto Pinochet. Le 13 décembre dernier, il a réuni 44% des voix contre le candidat du gouvernement, l'ex-président Eduardo Frei, qui n'a attiré que 30% des voix.

Il ne faut pas pour autant en conclure que le Chili a basculé à droite. « La somme des votes pour les candidats progressistes est supérieure à 50% », rappelle Marta Lagos, qui dirige à Santiago l'institut Latinobarometro. « Mais la division de la gauche et la lassitude à l'égard du système politique peuvent faire gagner la droite », ajoute la politologue.

Hormis les bouleversements en termes de politique intérieure, les proches de Michelle Bachelet s'inquiètent de la création d'un « axe pacifique de droite », qui réunirait le Chili de Pinera, le Pérou de Garcia et la Colombie d'Alvaro Uribe.

C'est en effet l'autre élection à regarder avec attention dans la région. Le président colombien, principal allié de Washington dans la région, a déjà franchi une étape décisive pour réformer une nouvelle fois la constitution afin d'avoir le droit de briguer un nouveau mandat. Le Sénat et l'Assemblée nationale ont voté une loi lui permettant de soumettre la proposition par référendum à la population. Dans ce cas, il est fort probable qu'en mai prochain Alvaro Uribe se succède à lui-même.

Dans le Venezuela voisin, ce sont les élections législatives qui vont attirer tous les regards. En 2005, date du précédent scrutin, l'opposition de droite avait décidé de boycotter l'élection avec l'idée de la discréditer et de provoquer des condamnations de la communauté internationale. La stratégie avait échoué, provoquant l'absence totale de l'opposition des débats parlementaires, puisque l'Assemblée nationale était occupée exclusivement par des députés chavistes, seuls présents à l'élection.

Ce ne sera pas le cas cette année, lors du scrutin dont la date n'est pas encore fixée, à partir de l'été 2010. La droite a décidé de faire campagne, profitant des divisions au sein du parti socialiste unifié vénézuélien (PSUV), formé par Chavez, et surtout de la mauvaise situation de l'économie. Le Venezuela vient d'enregistrer sa première récession, avec une contraction de 2,9% de son PIB après cinq années de forte croissance.

Enfin, c'est au Brésil, en octobre 2010, que devrait se décider l'équilibre de la région. Le président Luiz Inacio Lula da Silva ne peut pas briguer sa propre succession, puisque la constitution interdit plus de deux mandats consécutifs. Il est probable qu'en février, le congrès du Parti des travailleurs (PT) désigne Dilma Roussef, l'actuelle chef de la Maison Civile (équivalent local de premier ministre) comme candidate. En face, la droite devrait probablement se ranger derrière le gouverneur de Sao Paulo, José Serra. Le bilan économique positif joue en faveur de la candidate officielle, tout comme la grande popularité de Lula, qui fera campagne pour elle.

Cette élection est la plus scrutée par les observateurs étrangers. C'est le cas des voisins directs (Bolivie, Paraguay, Argentine, Venezuela), dont les gouvernements progressistes ont bénéficié de l'appui de Brasilia au cours des deux derniers mandats. C'est aussi le cas du puissant voisin du Nord, les Etats-Unis, qui ont croisé le fer plusieurs fois au cours des derniers mois avec le gouvernement de Lula, notamment à propos du coup d'Etat en Honduras.