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Billet de blog 4 octobre 2010

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Au Brésil, le phénomène Marina provoque un second tour

On attendait une femme ce matin au Brésil, c’est une autre qui arrachait hier les cris d’admiration.

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On attendait une femme ce matin au Brésil, c’est une autre qui arrachait hier les cris d’admiration. Démentant tous les sondages, Marina Silva, l’ex-ministre de l’environnement de Lula (de 2003 à 2008) a obtenu ce dimanche 19,33% des suffrages, soit près de vingt millions de voix. Cette performance record a provoqué le second tour que le gouvernement redoutait. Dilma Rousseff, la candidate adoubée par Lula a rassemblé 46,9% des voix. C’est énorme quand on se souvient qu’elle n’a jamais brigué aucun mandat, et qu’elle doit ce résultat à la popularité du président sortant et à son bilan flatteur. Mais elle a perdu des voix au cours des dernières semaines, ce qui la contraint à un second tour, le 31 octobre prochain. Contrairement à ce qu’on imaginait, ce n’est pas José Serra, son adversaire futur, qui a capté ses voix perdues. Avec 32,6%, il fait un score honorable, mais rien d’extraordinaire pour un ex-gouverneur de Sao Paulo à la longue carrière politique à la tête d’un grand parti. Marina est donc la grande gagnante.

L’interprétation de ce vote est multiple. Il y a d’une part le vote « éthique », issu des déçus du pétisme. Ces dernières semaines, un scandale mêlant Erenice Guerra, l’ex-bras droit de Dilma Rousseff à la Maison Civile (équivalent de Premier ministre), et qui lui a succédé à ce poste depuis, a jeté le trouble dans l’esprit d’une parti des électeurs. Le fils d’Erenice Guerra est soupçonné de trafic d’influence dans un marché concernant une commande de l’Etat. On ne sait pour l’heure rien de ce qu’il en est mais la ministre a dû démissionner. Elle est peut-être innocente – la presse brésilienne l’a déjà condamnée, mais, très hostile à Lula, elle le fait systématiquement – mais elle a au moins péché par maladresse éthique. Quand on occupe un haut poste de l’Etat, on évite que sa famille ne s’approche de la machine publique. Cet épisode est venu rappeler les crises autour du financement illégal de campagne du PT qui ont marqué le premier mandat de Lula. D’où la désillusion d’une partie des électeurs.

Une autre partie des votes de Marina vient de son engagement auprès de l’Eglise évangélique. Alors que Dilma était très discrète sur le thème de l’avortement – sa position officielle est de le légaliser dans certaines conditions –, Marina est contre pour des raisons religieuses. Dilma a souffert ces dernières semaines d’une campagne de calomnies sur internet la présentant comme « anti-chrétienne ». Elle a eu beau ramer en assurant qu’elle «remerciait Dieu » de lui avoir permis d’être dans la course à la présidence, une partie de ces votes ont été perdus.

Enfin, une troisième partie vient des personnes séduites par l’engagement autour du développement durable de Marina. Ces électeurs viennent des grandes villes, ils sont instruits et ont des revenus élevés – Brasilia, où le revenu par tête est le plus élevé du pays, a voté massivement pour Marina, avec plus de 40% des voix –, et rêvent d’une troisième voix.

Dans un Brésil massivement en faveur d’un développement et d’une croissance à tout prix, le score de Marina est intéressant. La réalité va ainsi à l’encontre de ce que j’écrivais précédemment. Marina se trouve toutefois aujourd’hui dans une situation compliquée : pour qui voter au second tour ? Sa formation politique, les Verts, penchent en majorité pour José Serra. Rien de bien étonnant pour un parti sans vrai ancrage idéologique, dont l’histoire est marquée par l’opportunisme. On voit mal, toutefois, Marina accepter un tel choix. Si elle a quitté le Parti des Travailleurs (PT) l’année dernière, elle a tout de même passé vingt ans de sa vie au sein de ce parti, dont plus de cinq au gouvernement. Elle y a tissé son réseau politique et d’amitiés. Opter pour la droite, ce serait trahir, et collerait mal avec la biographie de Marina, jusqu’à aujourd’hui très cohérente. Choisir Dilma ? Pas simple : les deux femmes n’ont aucune sympathie l’une pour l’autre et Dilma a beaucoup affronté les positions de Marina au sein du gouvernement. Et comment peser sur son éventuel gouvernement ? Ne pas choisir, c’est, étant donné son histoire, voter Serra. Marina doit trouver un moyen d’imposer au prochain gouvernement les plus intéressants de ses engagements pour l’environnement – on espère que les plus rétrogrades, les religieux, seront moins dans la négociation – sans pour autant vendre son âme. Son parti l’a déjà vendue, mais elle ne lui doit rien : ses 20% de voix, elle les a obtenus toute seule.

Pour les abonnés de Mediapart, j'ai publié la semaine dernière trois grands papiers sur le bilan de Lula : comment il a changé le Brésil, le nouveau poids du pays sur la scène internationale, et les métamorphoses du Parti des Travailleurs. Ci-dessous, les trois liens :

http://www.mediapart.fr/journal/international/021010/bravo-lula

http://www.mediapart.fr/journal/international/011010/comment-le-bresil-est-devenu-un-poids-lourd-sur-la-scene-internationale

http://www.mediapart.fr/journal/international/300910/bresil-les-metamorphoses-de-lula