C’est entendu, le Brésil est entré dans la Cour des grands. Plus question de crises financières à répétition, de dévaluation intempestives : la semaine dernière, le Brésil vient d’être admis dans le club des pays « économiquement sûrs ». C’est l’agence de notation « Standard&Poor’s » qui le dit, en reconnaissant au géant latino-américain le titre d’«investment grade », « degré d’investissement en français ». Rassurez-vous, vous n’êtes pas les seuls à ne pas vous y retrouver dans ce jargon de la finance. Le président Lula lui-même s’est écrié « Je ne sais même pas comment on prononce « investment grade » ».
Et l’ex-syndicaliste de la métallurgie d’enchaîner : « si on veut traduire cela en un langage que les Brésiliens comprennent, ça veut dire que le Brésil a été déclaré un pays sérieux », a-t-il ajouté, avant de conclure, jubilatoire : « c’est un moment magique ! ».
Magique ? Bien sûr, il n’y a que le demander au Pérou, qui, un mois avant le Brésil, a eu droit au titre magique. Le 1er avril, c’est une autre agence de notation Fitch Ratings qui a déclaré le Pérou « investment grade ». Explication : grâce à la forte hausse du cours des matières premières, notamment des produits miniers, à un scrupuleux contrôle de l’inflation (3,9%), et une bonne tenue des finances publiques, le Pérou est revenu dans le droit chemin. L’«investment grade », cela veut dire que le pays ne fera pas faillite tout de suite, qu’on peut acheter des titres de sa dette sans prendre de risque.
Mais le Pérou ne va pas bien, plus de 40% de la population est sous le seuil de pauvreté, et les fruits de la croissance (9% cette année) ne sont pas plus distribués qu’hier. Fitch Ratings s’en moque, et en un sens, l’agence de notation a raison. Son travail n’est pas de se prononcer sur la justice sociale,le bon gouvernement, ou les risques politiques d’une absence de redistribution. Il est de prévenir les investisseurs et les spéculateurs des bons endroits où aller. Le Pérou en est un, le Brésil aussi. Grâce à cet indicateur, les fonds de pension vont pouvoir placer leurs capitaux dans les bourses brésiliennes et péruviennes, et sortir aussi vite quand cela sentira le roussi.
L « ’investment grade » ne veut rien dire de plus, et tant pis la presse économique, et surtout les gouvernements, décident de faire de cette notation privée et non sans calculs (l’annonce de l’« investment grade » a provoqué une explosion de la bourse brésilienne qui a profité aux biens informés) un gage de bonne politique. C’est dommage, car le Brésil va vraiment mieux.
Quand Lula a été élu, en 2002, le pays était au bord du gouffre, contraint d’emprunter dans l’urgence 30 milliards de dollars au Fonds monétaire international. Depuis, il a tout remboursé au FMI et au Club de Paris, ses réserves battent les records et dépassent le montant de la dette, le real est revalorisé, la croissance vient de dépasser 5%, et surtout, grâce à un boom de création d’emplois formels, plus de dix millions de personnes sont sorties de la pauvreté.
Le gage du bon fonctionnement du pays fut la réélection de Lula avec plus de 61% des suffrages en octobre 2006, et sa popularité record. Dommage que Lula succombe lui aussi à la « magie » de l’investment grade. Sa seule existence souligne à quel point il ne s'agit que d'un rideau de fumée.