« Brésil, terre d’avenir », répétait Stefan Zweig, à son arrivée à Rio de Janeiro. Fuyant la barbarie du continent européen, l’écrivain autrichien était émerveillé par la bonne humeur et l’optimisme des Brésiliens. Désespéré de voir le Vieux Continent s’enfoncer dans le nazisme, il a finalement mis fin en 1942 à ses jours à Petropolis, une ville de montagne à proximité de Rio de Janeiro. Il n’a pas vu les Alliés gagner, mais a laissé un remarquable petit ouvrage sur le Brésil. Peu renseigné, il fait preuve de beaucoup d’ingénuité dans son observation de la société brésilienne, dont il célèbre par exemple l’absence totale de racisme. Mais comme lui, on reste ébahi devant la capacité de ce peuple à célébrer le futur alors qu’il massacre sa jeunesse. L’Ipea, l’équivalent de l’Insee brésilien, vient de publier un énorme rapport sur les jeunes brésiliens et les politiques sociales de l’Etat. Le constat est alarmant. Les jeunes sont les premières victimes du chômage : près de la moitié des chercheurs d’emploi ont entre 15 et 24 ans, et la proportion a augmenté ces dernières années. Dans leur majorité, ils ne bénéficient à cet âge d’aucune protection sociale. Beaucoup sont contraints d’abandonner l’école pour travailler, afin de nourrir leurs proches. Les plus chanceux ont un retraité dans la famille, ce qui leur permet de prolonger leurs études. Surtout, les jeunes sont devenus les premières victimes de mort violente – homicide en majorité et accidents de la route. Alors que le taux de mortalité baisse dans tout le pays, grâce à une amélioration réelle des conditions de vie, on observe un mouvement contraire au sein de la population âgée de 15 à 29 ans. Quelques 38% des morts enregistrées dans cette tranche d’âge sont provoquées par des assassinats. On compte 120 homicides pour une population de 100 000 habitants chez les jeunes, une hécatombe digne d’une guerre. Même quand ils ne meurent pas, les jeunes sont les principales victimes de tous les types de violence : lésions corporelles, tentatives d’homicides, enlèvement, viol, attentat à la pudeur. Parallèlement, les jeunes sont aussi les premiers auteurs de tous ces crimes. Depuis l’institutionnalisation des gangs, dans les années 80 dans les grands centres urbains du brésil, la « main-d’œuvre » est de plus en plus jeune. Sans éducation, sans perspective, beaucoup de jeunes sont tentés par la possibilité de gagner de l’argent facilement en se livrant au crime, ce qui leur permet d’accéder aux biens de consommation, et à la mode. Pourquoi des Nike sont-elle si importantes ? Elles constituent, selon les chercheurs de l’Ipea, une forme d’intégration dans la société qui contraste avec l’exclusion réelle dont sont victimes les jeunes brésiliens, en particulier s’ils sont pauvres, noirs et vivent dans les périphéries urbaines. Le massacre continue, mais dans les centres villes, on garde le sourire en répétant, "Brésil terre d’avenir".
Billet de blog 5 juin 2008
La jeunesse sacrifiée du Brésil
« Brésil, terre d’avenir », répétait Stefan Zweig, à son arrivée à Rio de Janeiro. Fuyant la barbarie du continent européen, l’écrivain autrichien était émerveillé par la bonne humeur et l’optimisme des Brésiliens. Désespéré de voir le Vieux Continent s’enfoncer dans le nazisme, il a finalement mis fin en 1942 à ses jours à Petropolis, une ville de montagne à proximité de Rio de Janeiro.