Au Brésil, toutes les professions ont droit à leur journée de commémoration : le 7 avril est le jour du journaliste, le 30 septembre, celui de la secrétaire, alors que le professeur est fêté le 15 octobre. Le plus vieux métier du monde n’y échappe pas : le 2 juin est le jour international de la prostituée. Le ministère de la santé en a profité pour divulguer sur les réseaux sociaux une campagne sous le slogan « Je suis heureuse d’être prostituée ». Nulle ironie derrière ce titre, ni volonté de nier la misère qui pousse parfois des femmes à vendre leurs faveurs pour une poignée de reais. L’objectif du gouvernement est double : en faisant poser de véritables professionnelles, il veut sensibiliser cette population à risque sur le port du préservatif pour éviter la contamination par le Sida et les maladies sexuellement transmissibles, mais aussi en finir avec la très hypocrite mise à l’index des prostituées. Le message serait d’ailleurs, selon le quotidien Estado de S. Paulo, très bien perçu par les groupes féministes.
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Au-delà d’une éventuelle polémique sur l’apologie de la profession, la campagne est apparue comme le signe d’un changement de ton du gouvernement. Ces derniers mois, il s’est en effet illustré par sa timidité, et ses marches arrière sur les questions liées à la sexualité, notamment sous la pression des groupes religieux, évangéliques et catholiques unis pour la cause, et faisant lobby à tous les niveaux de pouvoir. En mars dernier, le ministère de la Santé avait ainsi ordonné la suspension de la distribution dans les écoles d’un matériel éducatif sur la prévention du Sida, destiné aux adolescents.
La décision avait provoqué un tollé auprès de la communauté médicale, qui rappelle que ce kit n’avait rien de subversif, il avait été réalisé en collaboration avec l’Unesco. « C’est une marche arrière inquiétante », estimait Pedro Chequer, qui dirige à Brasilia le programme de l’ONU contre le sida. D’ordinaire très discret, il concluait que « le gouvernement transmet ainsi une image rétrograde, sous l’influence de dogmes religieux ». Car ce n’était pas une première, il y a deux ans, la présidente Dilma Rousseff avait déjà mis fin à la distribution de matériel pédagogique dans les collèges et lycées destiné à lutter contre l’homophobie. Aux dires des évangéliques, ce « kit gay », comme ils l’ont surnommé, était une incitation au « passage à l’acte homosexuel ».
La campagne des « prostituées heureuses » a donc été interprétée par beaucoup de progressistes comme une volonté du gouvernement de relancer les politiques de prévention qui ont fait le succès du Brésil dans la lutte contre le sida. Souvent pleines d’humour, les campagnes étaient connues pour leur franc-parler, et leur refus du politiquement correct. Mais la satisfaction n’aura été que de courte durée. Une fois de plus, Brasilia fait marche arrière : le ministre de la Santé Alexandre Padilha, déjà à l’origine du retrait du kit de prévention contre le sida dans les collèges a ordonné la suspension de la campagne.
Une fois de plus, il a expliqué que le ministère n’était pas à l’origine de sa réalisation. Une fois de plus, on hésite à rire de l’incapacité du ministre - par ailleurs brillant médecin engagé longtemps en Amazonie, mais de plus en plus conservateur depuis qu’il s’est mis en tête de briguer le gouvernement de l’Etat de Sao Paulo l’année prochaine - à gérer correctement son administration, puisque c’est l’excuse invoquée. On a surtout envie de pleurer quand on réalise que, dans les faits, il semble reculer face à ceux qui se sont précipités aujourd’hui pour condamner la campagne pour des motifs moralisateurs du plus mauvais goût, en profitant au passage pour exiger une criminalisation de la prostitution. « Ce gouvernement a une capacité à mettre en avant certains thèmes qui me fait peur », a par exemple souligné lé député de droite Joao Campos. « Je suis heureuse d’être prostituée, dit la campagne. Je vois déjà les slogans des prochaines campagnes : je suis heureux en adultère ; je suis en faveur de l’inceste, suivez-moi ; je suis pédophile, je suis comblé ».