Compagnon d’un jour, compagnon toujours. Les ingénus qui croyaient l’entrepreneur Sebastian Pinera débarassé des oripeaux du régime du général Pinochet, au nom d’une droite libérale à tous les sens du terme, en sont aujourd’hui pour leurs frais. Le chef d’Etat a profité de la torpeur de l’été austral pour inclure discrètement une modification dans les livres d’histoire des écoliers et lycéens.
L’expression « dictature militaire » utilisée pour qualifier les 17 ans de Pinochet au pouvoir, serait désormais remplacé par «gouvernement militaire ».
Mieux, le ministère de l’éducation se propose d’envisager le coup d’Etat qui a mis fin au gouvernement de Salvador Allende et poussé ce dernier au suicide d’une autre façon. Il s’agira de « comparer les différences visions sur la rupture de la démocratie au Chili, le régime militaire, et le processus de récupération de la démocratie à la fin du XXème siècle, considérant les différents acteurs, les expériences et les points de vie, ainsi que le consensus actuel entourant la valeur de la démocratie ».
Cette belle phrase, typique de la pensée d’une majorité de la classe moyenne pour laquelle les victimes de la dictature sont des dommages collatéraux (on ne fait pas d’omelette sans casser d’oeufs, vous répète-t-on souvent à Santiago) ne devrait pas simplifier la vie du nouveau ministre de l’éducation, Harald Beyer, un technocrate tout juste arrivé à un portefeuille qui a déjà vu valser deux titulaires en six mois, suite aux mobilisations étudiantes de l’année passée. Le malheureux, qui se trouvait dans le Palais de la Moneda avec le Président à l’heure où le scandale a éclaté, s’est trouvé contraint de justifier cette modification au nom d’un « concept plus général » de l’histoire du Chili. Il a toutefois ajouté que lui n’avait aucun problème à reconnaître que le « régime militaire » en question était en fait une dictature, faisant les délices des réseaux sociaux.
Si la gauche a crié au scandale, la droite se divise, et les masques tombent. D’un côté, il y a ceux, comme le député de la très conservatrice Union démocrate indépendante (UDI) qui défendent « l’oeuvre » du général. « C’est une décision juste, il faut raconter l’histoire de façon objective, ce qui n’était pas le cas jusqu’à maintenant. Parler de dictature est une façon de stigmatiser un gouvernement qui a cédé démocratiquement le pouvoir », a-t-il affirmé.
D’autres, comme la députée Karla Rubilar ont tenu à marquer leur distance : « Les dictatures sont les dictatures, partout dans le monde, et l’histoire doit les reconnaître comme telles ». Les associations de victime de la dictature tirent la sonnette d’alarme. A ce rythme, bientôt, les « crimes » de l’ère Pinochet n’auront plus droit qu’à la douce appellation d’«excès ».