C’est une des plus jolies scènes du film « Petit guide pour mari volage », (A guide for the Married Man). Dans la comédie, signée par Gene Kelly en 1967, Ed explique à son ami Paul que même en cas de flagrant délit dans un lit avec une blonde pulpeuse, il faut toujours « nier, nier, nier ». La séquence est visible ici.
Au Brésil, la réalité dépasse la fiction. Le président de l’Assemblée nationale, Eduardo Cunha est poursuivi par le parquet pour avoir touché des dessous-de-table de 5 millions de dollars (4,46 millions d’euros) en favorisant un contrat avec la compagnie d’hydrocarbures Petrobras. L’accusation, d’abord issue d’une dénonciation, n’a pas été faite à la légère : des comptes à son nom ont été découverts en Suisse, et confirmés par un procureur helvète. Les preuves sont connues de tous depuis des semaines, mais Eduardo Cunha est toujours au Perchoir, avec une stratégie : « nier, nier, nier ».
Elle vient d’atteindre son summum hier : le député Carioca a fait fuiter à la presse sa ligne de défense. Oui, il a bien de l’argent à l’étranger, mais cela n’a rien à voir avec quelconque pot de vin, il s’agirait de dépôts provenant de vente de viande en conserve dans les années 1980 au… Congo et au Zaïre (devenu depuis République Démocratique du Congo). De cette façon, il pourrait être accusé de fraude fiscale, mais pas de corruption. Une supercherie que la plupart des députés, y compris ceux du Parti des Travailleurs de la Présidente Dilma Rousseff et de l’ex-Président Lula semblent prêts à soutenir, tant ils craignent d’éventuelles rétorsions de Cunha, l’une des figures du PMDB.
Ce n’est qu’un épisode de la télénovela qui a pris possession du Brésil depuis quelques mois, le transformant en gigantesque farce. On pourrait citer la ministre de l’Agriculture, Katia Abreu, qui compte parmi les plus puissants des plus propriétaires terriens, affirmant que la « réforme agraire est inutile, puisqu’il n’existe plus de latifundio au Brésil », en référence aux possessions qui dépassent parfois la dimension de pays européens comme la Belgique. Dans le registre surréaliste, le gouverneur de l’Etat de Sao Paulo, Geraldo Alckmin, a reçu en septembre dernier des mains de la chambre des députés un prix pour « bonne gestion de la crise hydrique ». Rappelons que Sao Paulo, la capitale de l’Etat, et poumon économique du pays, est soumise à des coupures d’eau permanentes, privant des centaines de milliers de foyers pauvres. Pour des raisons électorales, le gouverneur avait préféré, en 2014, ne prendre aucune mesure préventive, craignant qu’elle nuise à l’obtention d’un second mandat.
Il y a plus drôle encore : la semaine dernière, les conseilleurs municipaux de Campinas, une grande ville de l’Etat de Sao Paulo, abritant une des plus prestigieuses universités du pays, ont voté une motion de censure contre… Simone de Beauvoir !!! Ils protestaient ainsi contre le fait qu’une des questions de l’ENEM, une épreuve nationale effectuée à la fin du lycée pour entrer à l’université, citait la fameuse phrase de la philosophe : « On ne naît pas femme, on le devient », issue du « Deuxième sexe ». Pour le conseiller municipal Campos Filho du parti de droite (pratiquement extrême) DEM, en proposant aux étudiants de réfléchir sur la pensée de Simone de Beauvoir, le ministère de l’éducation introduit une « idéologie de genre ». Je recommande aux lusophones de suivre le vote de la motion. Campos Filho a d’ailleurs démontré toute sa connaissance en incitant ses collègues à voter son texte : « ils ont été chercher des informations d’une philosophes des années 1300 et quelques »…
De Paris, on me demande souvent si la crise économique et politique brésilienne va durer longtemps ou non. Ces petites histoires soulignent qu’il ne s’agit pas seulement d’une mauvaise passe. Ce qui se passe au Brésil est beaucoup plus grave que ce qu’on imagine.