C’est une révolution : pour la première fois de l’histoire, plus de la moitié des familles brésiliennes considèrent qu’elles font partie de la classe moyenne. C’est le résultat de deux études différentes, publiées respectivement par la Fondation Getulio Vargas (FGV) et l’Institut de recherches économiques appliquées, deux organismes prestigieux. Selon la FGV, la part de la population active faisant partie de la classe moyenne (« classe C ») selon le jargon statistique local, représente 51,89% de la population, contre 42,49% il y a six ans. L’enquête a été effectuée à partir des six premières régions métropolitaines, qui concentrent l’essentiel de la population. Elle a une limitation : elle porte sur le revenu par foyer et non par tête, or la situation n’est pas la même selon qu’un toit abrite deux ou sept personnes. Malgré les critiques, la tendance est claire, et impressionnante. La Fondation estime que la vitalité du marché de l’emploi est la principale explication de cette évolution. Au cours des seuls derniers douze mois, plus d’1,8 million d’emplois formels ont été créés. Le phénomène génère un cercle vertueux auquel le Brésil a longtemps tourné le dos : ce sont ces membres de la classe moyenne qui manquent de tout, et se lancent éperdument de la consommation, de la casserole à l’internet, en passant par les livres (dont les ventes connaissent une forte augmentation), les cours d’espagnol ou les sorties au bistrot du coin.
Le dynamisme du secteur privé n’est pas le seul à l’origine de cet enrichissement progressif de la population. Débarrassé des recommandations du Fonds monétaire international (toute la dette a été remboursée, et Lula a refusé d’entamer un nouveau programme avec l’organisme international), Brasilia a entamé une importante revalorisation des traitements des fonctionnaires. L’ensemble de la masse salariale des agents de l’etat fédéral est passé de 75 à 130 milliards de reais. Tous les niveaux ont été augmenté. Pour les plus modestes, la hausse a pu atteindre 255%. Il faut dire que les huit années du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso s’étaient distinguées par un gel total des traitements de fonctionnaires, dont certains devenaient misérables, avec de nombreux effets pervers. C’est très net dans l’éducation : être professeur des universités fédérales n’était plus tenable, et les meilleurs éléments allaient se vendre aux universités privés, inaccessibles à la majorité de la population. Lula a également augmenté le nombre de concours, substituant le plus possibles les personnes qui travaillaient en sous-traitance (porte ouverte à la violation des droits des travailleurs, et au népotisme). Bien sûr, cette politique a ses limites. D’une part elle est limitée, les salaires des professeurs de l’enseignement primaire et secondaire par exemple ne dépendent pas de l’Union, mais des états fédérés, qui en font à leur guise, préférant souvent investir dans un pont que dans l’éducation, moins visible à court terme (électoral) Ensuite, il reste au pachyderme public à démontrer ses capacités. Les Brésiliens payent beaucoup d’impôts pour des services publics souvent indigents. Hormis une réforme de l’Etat, la réforme fiscale reste urgente.
Enfin, le recul de la pauvreté doit beaucoup aux politiques sociales. La hausse du salaire minimum, qui touche des millions d’actifs brésiliens, et de retraités par ricochet, puisque leur pension est indexée à cet indicateur.
Alléluia ? Bien sûr, mais rien n’est acquis. L’histoire enseigne que les classes moyennes sont aussi les plus rapidement frappées par les crises tant que leur statut dépend exclusivement du revenu - la classe moyenne consolidée est aussi plus éduquée, plus attentive au recours au crédit, succombe moins facilement au surendettement…Or, la hausse récente et constante des taux d’intérêts, pourrait affecter la croissance, et partant cette dynamique. Un cercle vertueux est né, il ne faudrait pas en tester trop vite et violemment la résistance.