Depuis le début de la semaine, mon téléphone ne cesse de sonner, ma boîte à emails est encombrée : ce sont des parents et amis en quête de rassurance, de Paris, Rabat, Buenos Aires, Caracas ou Santiago : « On vient de voir les images des pluies à Rio de Janeiro ; tu vas bien ? ». Je vais bien oui. Ce que les images diffusées en quelques secondes sur les écrans du monde entier omettent, c'est qu'il y a deux Rio de Janeiro : celui des riches, et de la classe moyenne, et celui des pauvres.
Les pluies diluviennes se sont abattues sur la même ville, et sur ses municipalité les plus proches - 280 millimètres les premières 24 heures, soit le double de ce qui est normalement prévu pour le mois d'avril, et les trombes n'ont pas cessé. Mais il y a ceux, comme moi, qui ont eu la chance de voir le ciel se déchaîner derrière leur fenêtre, et ceux qui pleurent leurs morts, qui se chiffrent pas centaines. Toutes, les victimes, je dis bien toutes, viennent des favelas, accrochées aux flancs des « morros », ces collines caractéristiques de la ville merveilleuse. La pluie à Rio, c'est une autre façon de rappeler que malgré les progrès, le Brésil reste un des pays les plus injustes du monde.
Imaginez, la ville compte plus de 1000 favelas. Toutes ne sont pas en hauteur, mais c'est le cas de nombre d'entre elles. Les maisons se sont progressivement installées sur les hauteurs, coupant les arbres par dizaines, ce qui finit de fragiliser la structure des sols. Les morros cariocas sont des roches, couverts d'une mince pellicule de terre. On a vu l'histoire se répéter à plusieurs reprises : il pleut, la terre ne tient pas, les racines ne font pas leur travail, les maisonnettes, toutes imbriquées, s'effondrent comme dans des dominos. Que font-ils ainsi perchés me dierez-vous, pourquoi ne vont-ils pas plus loin sur la terre ferme ? Parce que l'emploi est ici, ce sont eux qui font tourner silencieusement la ville - portiers, femmes de ménages, nounous, garçons de cafés, balayeurs -et qu'il n'existe aucun de système de transport public intégré. Ceux qui habitent loin doivent payer plus de 8 euros de transport par jour - vous avez bien lu, ce sont des euros - souvent un bon tiers de leur salaire journalier. Pour les moins bien payés, travailler si loin ne vaut pas la peine, il vaut mieux rester sans occupation.
La première nuit, lundi, les pouvoirs publics ont invoqué la malédiction des pluies, l'impossibilité de s'organiser. Dans la soirée de mercredi, 48 heures après les premières tempêtes, un drame est venu rappeler l'incurie. Il s'est produit dans la ville de Niteroi, celle qui fait face à Rio de Janeiro dans la baie de Guanabara et lui sert de réservoir de main-d'œuvre. Niteroi a aussi ses plages merveilleuses, ses appartements aux vues imprenables et ses favelas. La nuit était déjà tombée quand un grondement a averti les voisins de la tragédie : le morro de Bumba s'est effondré, sur 50 mètres de larges, emportant plus de 50 maisons, une église, une crèche, deux rues... On s'aperçoit alors qu'il ne s'agissait pas d'une colline naturelle, mais d'une ancienne décharge abandonnée et recouverte de terre, sans structure solide. Des familles se sont installées depuis les années 80, les municipalités successives n'ont rien trouvé à redire. On a même « urbanisé » la favela, en apportant l'asphalte, l'eau, l'électricité. Cela fait dix ans que des spécialistes alertent, avertissent que la zone n'est pas habitable, qu'elle est empoisonnée et instable. Les différents maires ont archivés les rapports.
Hier, on a retiré 17 corps des décombres, ils sont encore plus de 150 dessous. Pendant la nuit, voisins et pompiers ensemble ont creusé la terre parfois de leurs mains en espérant sauver des vies. Le soleil, le matin, a démontré l'étendue des dégâts : la trainée de boue a couvert plus de 600 mètres de longueur, trainant tout sur son passage. « C'est beaucoup de terre sur mon fils », pleurait une mère, consciente qu'elle devait dire adieu à son petit garçon de six ans. Au Brésil, qu'on soit riche ou pauvre, même les intempéries vous traitent différemment.