Le monde s’apprête à commémorer dans quelques mois le vingtième anniversaire la chute du mur de Berlin, pour s’en féliciter ou la pleurer. A l’époque, on a voulu y voir l’émergence d’un monde nouveau, sans rideau de fer. La chute du mur signifiait le retour de la liberté pour tous, qu’on assimilait hâtivement à l’instauration du libre-marché. D’un coup, pauvres et riches, dominés et dominants ne s’affronteraient plus, puisque la liberté avait gagné. L’effondrement du système capitaliste auquel on assite depuis plusieurs mois souligne l’ampleur de l’ingénuité. Mais sur le terrain, la construction de plusieurs murs, des mains de ceux qui se prétendaient messagers de la liberté accusent plus encore la fin du mythe.
Il y a bien sûr le mur de la honte, dans les territoires Palestiniens, qui annihile toute perspective d’un état autonome. Quelques mois plus tard, c’est à la frontière mexicaine que les Américains ont commencé à ériger un mur. La secrétaire du déparement d’Etat Hillary Clinton a beau reconnaître son inutilité, les travaux se poursuivent, et des centaines d’agents de la garde nationale surarmés sont désormais là pour le doubler.
L’Amérique du Sud n’est plus en reste. La semaine dernière, les habitants de la favela de Dona Marta, dans la zone sud de Rio de Janeiro, se sont réveillés en partie encerclés par un mur haut de trois mètres. C’est le premier d’une série d’« éco-limites », qui viendront border dix favelas de Rio de Janeiro. Officiellement, c’est pour protéger les quelques arbres qui ont survécu au massacre de la Mata Atlantica, la forêt qui borde tout le littoral brésilien, et dont seule 7% de la surface originale subsiste. On ne peut que souligner toutefois que cette « préservation » n’est prévue que dans la « zone sud » de Rio de Janeiro, la plus riche, qui borde les plages, Copacabana, Ipanema, Leblon, Barra. Ce n’est pas une réponse au criant problème du logement – on estime quelques 50 millions de Brésiliens vivent dans des favelas, et la seule ville de Rio de Janeiro en compte plus de 700 – mais pour l’élite de Rio, le mur permet de contenir les constructions sauvages, la violence, et l’image de la pauvreté.
A Buenos Aires, la construction d’un mur dans la zone nord, là encore la plus chic, a provoqué une bataille judiciaire. Un juge vient d’ordonner l’arrêt de la construction d’une barrière de 240 mètres, faite de métal, décidée par le maire de San Isidro, un quartier aisé, pour empêcher les « délinquants » du bidonville Villa Jardin de circuler à leur guise. Le mur a été critiqué par les autorités de la province de Buenos Aires et par la présidente, Cristina Kirchner, mais le maire a préféré aller de l’avant. La juge a ordonné l’arrêt des travaux quand plusieurs manifestants ont commencé à attaquer les barrières. Le mur de Berlin est tombé, des dizaines d’autres s’apprêtent à surgir.