Comme en 2003, en Cancun, quand le Brésil avait surpris les puissances traditionnelles, en prenant la tête du G20, un groupe de vingt pays émergents opposés aux subventions agricoles, le gouvernement de Lula tient de nouveau tête aux « grandes capitales ». Cette fois-ci, le sujet est beaucoup moins grand public, il concerne la désignation du prochain président de l’OMPI, l’Office mondial de la protection intellectuelle. Mais attention, ce n’est pas un vague rassemblement de bureaucrates, mais pratiquement le centre du capitalisme mondialisé. De lui dépendent tous les brevets et patentes mondiales. Pour les pays occidentaux, dont sont issues les plus grandes multinationales, il est impératif que la direction leur revienne, ou qu’elle soit au moins aux mains d’un homme lige. Le 13 mai dernier, le comité de sélection a désigné l’Australien Francis Gurry, avec une voix d’avance sur son rival brésilien José Graça Aranha (42 voix contre 41). L'ambassadeur du Pakistan à l'ONU était arrivé troisième. La victoire de l'Australien avait constitué une surprise, les pays du Sud ayant accepté le départ précoce de son prédécesseur, le soudanais Kamil Idris en échange de la promesse tacite de l'élection d'un représentant des pays du Sud pour lui succéder. Le lobbying de Washington a permis de faire basculer le scénario. Mais rien n’est gagné (ou perdu…). Il suffit qu’un seul pays soit opposé à la nomination du directeur-général pour que sa désignation soit de nouveau soumise à votation, la confirmation finale n’étant prévu qu’en septembre. Le Brésil a fait savoir qu’il ne comptait pas jeter l’éponge. La proposition, formulé ces derniers jours, par le candidat australien, d’offrir un poste élevé dans son équipe à un fonctionnaire brésilien, en échange du silence de Brasilia a été perçue ici comme une tentative de corruption. Pour le Brésil, la victoire de l’Australien d’une voix ne constitue en rien une majorité, mais au contraire le symbole d’un monde divisé en deux : le nord (les Etats-Unis, la Suisse et l’Allemagne sont les plus fervents partisans de Gurry) contre le sud. Lula estime qu’il n’est pas question d’abandonner un sujet aussi important entre les mains de capitales qui dépendent tellement du lobby des multinationales. Pour Washington, laisser le Brésilien l’emporter serait une catastrophe. Ces derniers mois, le gouvernement brésilien a clairement montré son intention d’attaquer ou de détourner les brevets quand ceux-ci constituaient un obstacle pour la popularisation d’un produit. C’est notamment le cas sur la question du traitement contre le sida. Il y a un an, Le Brésil a décidé unilatéralement de « casser » le brevet du laboratoire pharmaceutique Merck, pour pouvoir importer et produire des médicaments rétroviraux à moindre coût. Un impératif pour les finances publiques dans la mesure où tous les malades ont droit ici à un traitement gratuit. Le Brésil est d’ailleurs montré en exemple par l’Organisation mondiale de la santé. Brasilia n’est pas en reste sur l’informatique : le gouvernement refuse à Microsoft l’accès à ses administrations, et mène une bataille pour les logiciels libres, seule solution à démocratisation de la révolution digitale. Et cette fois-ci, les multinationales et les think-tank ne peuvent plus crier à l’«insécurité juridique », qui empêcherait l’arrivée d’investissements extérieurs au Brésil : les flux atteignent des records historiques.
Billet de blog 10 juin 2008